Tribunal judiciaire de Paris, le 19 juin 2025, n°25/00540
Le tribunal judiciaire de Paris, par jugement du 19 juin 2025, tranche un litige né d’une expertise ordonnée avant tout procès sur le fondement de l’article 145. Un syndicat de copropriétaires réclame réparation délictuelle des honoraires d’avocat exposés lors du référé, imputant à une copropriétaire une initiative procédurale jugée coûteuse et inutile. L’ordonnance du 3 septembre 2021 avait ordonné l’expertise, plus tard clôturée par un rapport retenant l’origine privative des désordres, sans que l’ordonnance ait été frappée d’appel. Devant le juge du fond, le syndicat demande réparation sur le fondement de l’article 1240, tandis que la défenderesse sollicite notamment l’indemnisation d’une prétendue procédure abusive. La question posée est de savoir si la demande d’une mesure d’instruction in futurum, reconnue légitime par le juge des référés, peut constituer une faute génératrice d’un dommage indemnisable. Le tribunal répond négativement, rappelant les exigences probatoires de la responsabilité délictuelle et l’économie de l’article 145, puis rejetant les prétentions reconventionnelles faute d’abus caractérisé et de préjudice établi.
I. Le cadre de la responsabilité et de la preuve
A. Les exigences de l’article 1240 et l’office du juge L’arrêt rappelle d’abord la norme matricielle de la responsabilité délictuelle. Le tribunal cite l’article 1240 et réaffirme que « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ». L’exigence d’une faute, d’un dommage et d’un lien causal demeure cumulative et indérogeable, indépendamment du contexte procédural ayant précédé la saisine du juge du fond. La formulation est classique, mais elle structure la suite du raisonnement.
La décision précise ensuite la charge probatoire incombant au demandeur à l’action en responsabilité. Le juge énonce que « Il revient ainsi au syndicat réclamant la réparation au sens de l’article 1240 du code civil de démontrer l’existence d’une faute, la matérialité et l’effectivité d’un préjudice, et le lien de causalité entre la faute qui aurait été démontrée et le préjudice subi ». L’énoncé ferme la voie aux raisonnements inférés d’une simple issue technique défavorable de l’expertise, le juge exigeant des éléments objectifs et circonstanciés caractérisant une faute autonome.
L’application à l’espèce demeure fidèle à ce cadre. Le tribunal constate l’absence de griefs précis et individualisés, malgré l’invocation d’une initiative supposée « coûteuse ». La faute alléguée se confond avec l’exercice d’un droit processuel prévu par la loi, ce qui appelle une mise en perspective au regard du régime des mesures d’instruction in futurum.
B. La mesure d’instruction de l’article 145 et l’absence de faute Le juge du fond replace la demande de réparation dans l’économie propre de l’article 145 du code de procédure civile. Il rappelle que « Il convient de rappeler, néanmoins, que l’article 145 du code de procédure civile prévoit la possibilité d’instaurer une mesure d’instruction parmi toutes celles légalement admissibles, avant tout procès, en vue de conserver ou d’établir la preuve de faits susceptibles d’avoir une incidence sur la solution d’un litige ». Le référé-expertise répond à une finalité probatoire, distincte du jugement du fond, sans préjuger de la responsabilité ultérieure des parties.
La décision souligne aussi le contrôle exercé par le juge des référés sur la légitimité de la demande. Elle énonce que « A ce titre, il est relevé que l’opportunité de cette mesure relève du pouvoir souverain d’appréciation du juge et reste susceptible d’appel, ce qui suppose que la requérante a justifié d’un motif légitime, c’est-à-dire qu’elle a démontré que la mesure sollicitée est pertinente, utile et proportionnée au litige ultérieur, au moins potentiel ». La légitimité ainsi reconnue, non contestée par la voie de l’appel, vide de sa substance l’allégation de faute tirée de la seule initiative d’instruction.
La conséquence s’impose avec netteté. Le tribunal conclut, au terme de son syllogisme, que « De ce fait, aucune faute ne peut être caractérisée ». L’absence de faute emporte le rejet de la demande indemnitaire, les frais engagés à l’occasion du référé n’ouvrant pas, en eux-mêmes, droit à réparation délictuelle en l’absence de comportement blâmable distinct.
II. Appréciation et portée du raisonnement adopté
A. L’abus du droit d’agir et la nécessaire démonstration du préjudice Le juge se prononce ensuite sur les demandes reconventionnelles indemnitaires, articulées à la fois autour de l’abus du droit d’agir et de plusieurs chefs de préjudices allégués. La décision rappelle la définition classique de l’abus procédural, insistant sur la nécessité d’un comportement fautif avéré et d’un préjudice en résultant. Elle souligne, spécialement, que « Toutefois le simple fait que toutes les demandes d’une partie aient été rejetées ne saurait caractériser un abus de droit ». L’affirmation, fréquemment reprise par la jurisprudence, protège le droit d’accès au juge et prévient une pénalisation systématique de l’exercice contentieux.
Le tribunal exige, avec constance, la preuve du principe et du quantum des dommages invoqués. Aucune pièce ne vient étayer la réalité, l’étendue ou la spécificité des atteintes alléguées, qui demeurent indéterminées. La demande au titre de la procédure abusive est logiquement rejetée, faute de démonstration d’un comportement téméraire ou de mauvaise foi, comme celles relatives aux préjudices moral et d’image, faute d’éléments probants.
B. Incidences pratiques sur le contentieux de copropriété et la répartition des coûts La portée de la solution invite à distinguer nettement l’office respectif des articles 145, 1240, 696 et 700 du code de procédure civile. L’action fondée sur l’article 1240 ne peut servir de voie générale de remboursement des honoraires exposés lors d’une mesure in futurum régulièrement ordonnée. Le juge rappelle, en creux, que la prise en charge des frais relève d’abord des dépens et des frais irrépétibles, appréciés dans le cadre de la procédure concernée, et subsidiairement du pouvoir d’appréciation du juge saisi du fond. Le choix retenu, condamnant la partie succombante aux dépens et allouant une somme au titre de l’article 700, réinscrit les coûts dans leur régime naturel.
L’enseignement est particulièrement utile en copropriété, où les expertises préalables éclairent souvent l’origine des désordres. La décision valorise la recherche de preuve proportionnée et utile sans encourir le grief de faute par nature, dès lors qu’un motif légitime a été constaté par le juge des référés et qu’aucun abus caractérisé n’est établi. Elle prévient, enfin, une dérive consistant à instrumentaliser l’article 1240 pour déplacer, a posteriori, la charge financière d’actes d’instruction légalement décidés, au risque d’entraver la manifestation de la vérité.
Le tribunal judiciaire de Paris, par jugement du 19 juin 2025, tranche un litige né d’une expertise ordonnée avant tout procès sur le fondement de l’article 145. Un syndicat de copropriétaires réclame réparation délictuelle des honoraires d’avocat exposés lors du référé, imputant à une copropriétaire une initiative procédurale jugée coûteuse et inutile. L’ordonnance du 3 septembre 2021 avait ordonné l’expertise, plus tard clôturée par un rapport retenant l’origine privative des désordres, sans que l’ordonnance ait été frappée d’appel. Devant le juge du fond, le syndicat demande réparation sur le fondement de l’article 1240, tandis que la défenderesse sollicite notamment l’indemnisation d’une prétendue procédure abusive. La question posée est de savoir si la demande d’une mesure d’instruction in futurum, reconnue légitime par le juge des référés, peut constituer une faute génératrice d’un dommage indemnisable. Le tribunal répond négativement, rappelant les exigences probatoires de la responsabilité délictuelle et l’économie de l’article 145, puis rejetant les prétentions reconventionnelles faute d’abus caractérisé et de préjudice établi.
I. Le cadre de la responsabilité et de la preuve
A. Les exigences de l’article 1240 et l’office du juge
L’arrêt rappelle d’abord la norme matricielle de la responsabilité délictuelle. Le tribunal cite l’article 1240 et réaffirme que « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ». L’exigence d’une faute, d’un dommage et d’un lien causal demeure cumulative et indérogeable, indépendamment du contexte procédural ayant précédé la saisine du juge du fond. La formulation est classique, mais elle structure la suite du raisonnement.
La décision précise ensuite la charge probatoire incombant au demandeur à l’action en responsabilité. Le juge énonce que « Il revient ainsi au syndicat réclamant la réparation au sens de l’article 1240 du code civil de démontrer l’existence d’une faute, la matérialité et l’effectivité d’un préjudice, et le lien de causalité entre la faute qui aurait été démontrée et le préjudice subi ». L’énoncé ferme la voie aux raisonnements inférés d’une simple issue technique défavorable de l’expertise, le juge exigeant des éléments objectifs et circonstanciés caractérisant une faute autonome.
L’application à l’espèce demeure fidèle à ce cadre. Le tribunal constate l’absence de griefs précis et individualisés, malgré l’invocation d’une initiative supposée « coûteuse ». La faute alléguée se confond avec l’exercice d’un droit processuel prévu par la loi, ce qui appelle une mise en perspective au regard du régime des mesures d’instruction in futurum.
B. La mesure d’instruction de l’article 145 et l’absence de faute
Le juge du fond replace la demande de réparation dans l’économie propre de l’article 145 du code de procédure civile. Il rappelle que « Il convient de rappeler, néanmoins, que l’article 145 du code de procédure civile prévoit la possibilité d’instaurer une mesure d’instruction parmi toutes celles légalement admissibles, avant tout procès, en vue de conserver ou d’établir la preuve de faits susceptibles d’avoir une incidence sur la solution d’un litige ». Le référé-expertise répond à une finalité probatoire, distincte du jugement du fond, sans préjuger de la responsabilité ultérieure des parties.
La décision souligne aussi le contrôle exercé par le juge des référés sur la légitimité de la demande. Elle énonce que « A ce titre, il est relevé que l’opportunité de cette mesure relève du pouvoir souverain d’appréciation du juge et reste susceptible d’appel, ce qui suppose que la requérante a justifié d’un motif légitime, c’est-à-dire qu’elle a démontré que la mesure sollicitée est pertinente, utile et proportionnée au litige ultérieur, au moins potentiel ». La légitimité ainsi reconnue, non contestée par la voie de l’appel, vide de sa substance l’allégation de faute tirée de la seule initiative d’instruction.
La conséquence s’impose avec netteté. Le tribunal conclut, au terme de son syllogisme, que « De ce fait, aucune faute ne peut être caractérisée ». L’absence de faute emporte le rejet de la demande indemnitaire, les frais engagés à l’occasion du référé n’ouvrant pas, en eux-mêmes, droit à réparation délictuelle en l’absence de comportement blâmable distinct.
II. Appréciation et portée du raisonnement adopté
A. L’abus du droit d’agir et la nécessaire démonstration du préjudice
Le juge se prononce ensuite sur les demandes reconventionnelles indemnitaires, articulées à la fois autour de l’abus du droit d’agir et de plusieurs chefs de préjudices allégués. La décision rappelle la définition classique de l’abus procédural, insistant sur la nécessité d’un comportement fautif avéré et d’un préjudice en résultant. Elle souligne, spécialement, que « Toutefois le simple fait que toutes les demandes d’une partie aient été rejetées ne saurait caractériser un abus de droit ». L’affirmation, fréquemment reprise par la jurisprudence, protège le droit d’accès au juge et prévient une pénalisation systématique de l’exercice contentieux.
Le tribunal exige, avec constance, la preuve du principe et du quantum des dommages invoqués. Aucune pièce ne vient étayer la réalité, l’étendue ou la spécificité des atteintes alléguées, qui demeurent indéterminées. La demande au titre de la procédure abusive est logiquement rejetée, faute de démonstration d’un comportement téméraire ou de mauvaise foi, comme celles relatives aux préjudices moral et d’image, faute d’éléments probants.
B. Incidences pratiques sur le contentieux de copropriété et la répartition des coûts
La portée de la solution invite à distinguer nettement l’office respectif des articles 145, 1240, 696 et 700 du code de procédure civile. L’action fondée sur l’article 1240 ne peut servir de voie générale de remboursement des honoraires exposés lors d’une mesure in futurum régulièrement ordonnée. Le juge rappelle, en creux, que la prise en charge des frais relève d’abord des dépens et des frais irrépétibles, appréciés dans le cadre de la procédure concernée, et subsidiairement du pouvoir d’appréciation du juge saisi du fond. Le choix retenu, condamnant la partie succombante aux dépens et allouant une somme au titre de l’article 700, réinscrit les coûts dans leur régime naturel.
L’enseignement est particulièrement utile en copropriété, où les expertises préalables éclairent souvent l’origine des désordres. La décision valorise la recherche de preuve proportionnée et utile sans encourir le grief de faute par nature, dès lors qu’un motif légitime a été constaté par le juge des référés et qu’aucun abus caractérisé n’est établi. Elle prévient, enfin, une dérive consistant à instrumentaliser l’article 1240 pour déplacer, a posteriori, la charge financière d’actes d’instruction légalement décidés, au risque d’entraver la manifestation de la vérité.