Tribunal judiciaire de Bordeaux, le 16 juin 2025, n°24/02366
Le juge des référés du tribunal judiciaire de Bordeaux, par ordonnance du 16 juin 2025 (n° RG 24/02366), a eu à connaître d’un différend relatif à l’exécution de clauses d’un bail commercial et au respect d’un règlement intérieur de centre commercial. La bailleresse invoquait un manquement du preneur aux stipulations relatives au paiement des loyers par prélèvement, ainsi qu’à l’obligation d’exploitation continue. Le preneur soutenait, d’une part, avoir réglé les loyers par chèque, d’autre part, que l’exigence d’ouverture permanente était déséquilibrée, voire potestative, et justifiait des fermetures ponctuelles. Il formulait en outre des demandes reconventionnelles portant sur le chauffage et la climatisation du local.
Assignation a été délivrée le 28 octobre 2024. Après un renvoi, l’affaire a été plaidée le 19 mai 2025. Par dernières écritures, la bailleresse a demandé, notamment, l’injonction de mise en place d’un prélèvement automatique et l’exploitation du local sans fermeture annuelle, sous astreinte. Le preneur a conclu au rejet, rappelant un encaissement de chèques en novembre 2024, et a sollicité la communication de pièces et la réalisation de diagnostics sur le système thermique du local, également sous astreinte.
Se posait ainsi une double question. D’abord, la possibilité pour le juge des référés, sur le fondement de l’article 835 du code de procédure civile, d’ordonner l’exécution d’une obligation de faire stipulée au bail, quand son existence ne prête pas à discussion. Ensuite, les limites de cet office lorsque l’exécution sollicitée suppose une interprétation contractuelle discutée, ou révèle un débat sérieux sur la répartition des obligations liées à la délivrance et à l’entretien des équipements privatifs.
Le juge rappelle que « L’article 835 alinéa 2 du code de procédure civile permet au juge des référés lorsque l’obligation n’est pas sérieusement contestable, d’allouer une provision au créancier ou d’ordonner l’exécution de cette obligation même lorsqu’il s’agit d’une obligation de faire. » Il retient que l’obligation de paiement par prélèvement, stipulée à l’article 10.2 du bail, présente un caractère certain, de sorte qu’il convient de l’ordonner « sans qu’il ne soit nécessaire d’assortir cette mesure d’une astreinte ». En revanche, il juge que le débat sur l’ouverture ininterrompue, au regard du règlement intérieur, « s’apparentent à des contestations sérieuses dont l’examen ne relève pas du pouvoir du juge des référés ». Les demandes reconventionnelles relatives au chauffage et à la climatisation encourent le même sort, car « se heurtent à des contestations sérieures qu’il n’appartient pas au juge des référés de trancher. » Il condamne le preneur à mettre en place le prélèvement, déboute du surplus, et statue sur les dépens et l’article 700.
I. L’office du juge des référés face aux obligations contractuelles non sérieusement contestables
A. L’injonction de mise en place du prélèvement automatique, stricte exécution d’une clause certaine
Le dispositif s’adosse à une clause dépourvue d’ambiguïté. Le bail prévoit que « le loyer devra être versé par prélèvements automatiques sur un compte bancaire désigné par le preneur ». L’obligation de faire est clairement individualisée, son contenu est déterminé, et sa source n’est ni contestée ni sujette à interprétation. Le juge en déduit que l’exigence est « n’étant pas sérieusement contestable », de sorte que l’injonction relève pleinement de l’article 835, alinéa 2, du code de procédure civile.
La solution illustre la finalité du référé de l’évidence. Il ne s’agit pas d’imposer un mode de paiement nouveau, mais d’assurer l’effectivité d’une modalité contractuelle convenue, restée inexécutée. La précision, enfin, selon laquelle l’exécution sera ordonnée « sans qu’il ne soit nécessaire d’assortir cette mesure d’une astreinte » souligne un contrôle de proportionnalité dans le choix des mesures. L’injonction suffit ici à restaurer l’économie contractuelle sans sanction comminatoire immédiate.
B. Le refus d’ordonner l’exploitation ininterrompue, en présence d’un débat sérieux sur l’opposabilité et la portée
L’exigence d’ouverture continue trouve sa source dans le règlement intérieur. Celui-ci énonce que « le centre commercial et les commerces exploités dans le centre seront ouverts pendant les douze mois de l’année sans interruption ni fermeture annuelle », et précise un horaire général. Le bail renvoie à ce document par une clause d’adhésion. Deux constats de commissaire de justice attestent de fermetures au mois d’août et en décembre. L’apparente évidence appelle pourtant réserve.
Le preneur conteste l’obligation au double plan de la validité et de l’application. Il soutient que de telles exigences seraient déséquilibrées ou potestatives, et invoque une situation de santé justifiant des fermetures temporaires. Surtout, l’interprétation combinée du bail et du règlement appelle un examen du périmètre exact de l’obligation et des dérogations possibles. Le juge en conclut que ces éléments, « qui conduisant à analyser et interpréter les clauses contractuelles », révèlent une contestation sérieuse. L’exécution forcée en référé excéderait alors l’office du juge de l’évidence.
II. Valeur et portée de la décision dans la pratique des baux commerciaux
A. La justiciabilité en référé des modalités de paiement du loyer, vecteur d’effectivité contractuelle
La solution conforte une jurisprudence attentive à l’effectivité des stipulations claires et précises. L’article 835, alinéa 2, permet d’ordonner une obligation de faire sans trancher le fond, lorsque la clause ne requiert ni interprétation ni qualification complexe. La phrase « d’ordonner l’exécution de cette obligation même lorsqu’il s’agit d’une obligation de faire » assoit cette compétence. L’injonction de mise en place d’un prélèvement automatique s’inscrit dans cette lignée, à l’égal d’ordres de remise de documents contractuels ou d’ouverture d’un accès convenu.
Le refus d’une astreinte immédiate appelle une appréciation mesurée. La contrainte financière peut être utile pour prévenir l’inertie, mais elle n’est pas un préalable nécessaire dès lors que l’exécution attendue est simple et immédiatement contrôlable. Un constat ultérieur permettra, le cas échéant, d’envisager une modulation comminatoire. La décision valorise ainsi une graduation des mesures, au profit d’une exécution spontanée et rapide.
B. Les limites du référé en matière d’exploitation et d’équipements privatifs, renvoi nécessaire au juge du fond
L’enjeu de l’exploitation ininterrompue excède la simple matérialité d’un horaire. La portée du règlement intérieur dépend de son articulation avec le bail, des clauses de dérogation, et des circonstances particulières d’exploitation. L’argument relatif au caractère potestatif ou déséquilibré, s’il n’est pas tranché en référé, n’est pas dépourvu de consistance et commande une analyse de validité au regard du droit des clauses abusives entre professionnels ou du droit commun des contrats. Dans ce contexte, l’injonction immédiate présenterait un risque d’irréversibilité inopportun.
Les demandes reconventionnelles confirment ce périmètre. Le preneur sollicitait des injonctions touchant au chauffage et à la climatisation, en s’appuyant sur le bail et le règlement intérieur. La bailleresse soutenait, inversement, que la délivrance d’un « local brut de gros œuvre » excluait une obligation d’équipement privatif, et que seules les charges communes étaient à sa charge. Le juge observe « qu’il ressort de cette argumentation » que les prétentions « se heurtent à des contestations sérieures qu’il n’appartient pas au juge des référés de trancher. » Ce constat est décisif. Il met en avant la nécessité, pour ces questions techniques et normatives, d’un examen au fond, voire de mesures d’instruction ciblées, préalables à tout ordre d’exécution.
Au total, l’ordonnance opère une ligne de partage nette entre ce qui relève de l’évidence contractuelle, immédiatement exigible, et ce qui exige un contrôle de validité et d’interprétation contradictoire. En ordonnant l’exécution du prélèvement automatique, le juge des référés assure l’effectivité d’une clause claire. En refusant d’imposer l’ouverture continue et les obligations thermiques litigieuses, il préserve la sécurité juridique des parties, que seul le juge du fond peut arbitrairement départager après une analyse circonstanciée. Cette méthode, sobre et rigoureuse, épouse l’économie des articles 834 et 835 et éclaire utilement la pratique des baux en centre commercial.
Le juge des référés du tribunal judiciaire de Bordeaux, par ordonnance du 16 juin 2025 (n° RG 24/02366), a eu à connaître d’un différend relatif à l’exécution de clauses d’un bail commercial et au respect d’un règlement intérieur de centre commercial. La bailleresse invoquait un manquement du preneur aux stipulations relatives au paiement des loyers par prélèvement, ainsi qu’à l’obligation d’exploitation continue. Le preneur soutenait, d’une part, avoir réglé les loyers par chèque, d’autre part, que l’exigence d’ouverture permanente était déséquilibrée, voire potestative, et justifiait des fermetures ponctuelles. Il formulait en outre des demandes reconventionnelles portant sur le chauffage et la climatisation du local.
Assignation a été délivrée le 28 octobre 2024. Après un renvoi, l’affaire a été plaidée le 19 mai 2025. Par dernières écritures, la bailleresse a demandé, notamment, l’injonction de mise en place d’un prélèvement automatique et l’exploitation du local sans fermeture annuelle, sous astreinte. Le preneur a conclu au rejet, rappelant un encaissement de chèques en novembre 2024, et a sollicité la communication de pièces et la réalisation de diagnostics sur le système thermique du local, également sous astreinte.
Se posait ainsi une double question. D’abord, la possibilité pour le juge des référés, sur le fondement de l’article 835 du code de procédure civile, d’ordonner l’exécution d’une obligation de faire stipulée au bail, quand son existence ne prête pas à discussion. Ensuite, les limites de cet office lorsque l’exécution sollicitée suppose une interprétation contractuelle discutée, ou révèle un débat sérieux sur la répartition des obligations liées à la délivrance et à l’entretien des équipements privatifs.
Le juge rappelle que « L’article 835 alinéa 2 du code de procédure civile permet au juge des référés lorsque l’obligation n’est pas sérieusement contestable, d’allouer une provision au créancier ou d’ordonner l’exécution de cette obligation même lorsqu’il s’agit d’une obligation de faire. » Il retient que l’obligation de paiement par prélèvement, stipulée à l’article 10.2 du bail, présente un caractère certain, de sorte qu’il convient de l’ordonner « sans qu’il ne soit nécessaire d’assortir cette mesure d’une astreinte ». En revanche, il juge que le débat sur l’ouverture ininterrompue, au regard du règlement intérieur, « s’apparentent à des contestations sérieuses dont l’examen ne relève pas du pouvoir du juge des référés ». Les demandes reconventionnelles relatives au chauffage et à la climatisation encourent le même sort, car « se heurtent à des contestations sérieures qu’il n’appartient pas au juge des référés de trancher. » Il condamne le preneur à mettre en place le prélèvement, déboute du surplus, et statue sur les dépens et l’article 700.
I. L’office du juge des référés face aux obligations contractuelles non sérieusement contestables
A. L’injonction de mise en place du prélèvement automatique, stricte exécution d’une clause certaine
Le dispositif s’adosse à une clause dépourvue d’ambiguïté. Le bail prévoit que « le loyer devra être versé par prélèvements automatiques sur un compte bancaire désigné par le preneur ». L’obligation de faire est clairement individualisée, son contenu est déterminé, et sa source n’est ni contestée ni sujette à interprétation. Le juge en déduit que l’exigence est « n’étant pas sérieusement contestable », de sorte que l’injonction relève pleinement de l’article 835, alinéa 2, du code de procédure civile.
La solution illustre la finalité du référé de l’évidence. Il ne s’agit pas d’imposer un mode de paiement nouveau, mais d’assurer l’effectivité d’une modalité contractuelle convenue, restée inexécutée. La précision, enfin, selon laquelle l’exécution sera ordonnée « sans qu’il ne soit nécessaire d’assortir cette mesure d’une astreinte » souligne un contrôle de proportionnalité dans le choix des mesures. L’injonction suffit ici à restaurer l’économie contractuelle sans sanction comminatoire immédiate.
B. Le refus d’ordonner l’exploitation ininterrompue, en présence d’un débat sérieux sur l’opposabilité et la portée
L’exigence d’ouverture continue trouve sa source dans le règlement intérieur. Celui-ci énonce que « le centre commercial et les commerces exploités dans le centre seront ouverts pendant les douze mois de l’année sans interruption ni fermeture annuelle », et précise un horaire général. Le bail renvoie à ce document par une clause d’adhésion. Deux constats de commissaire de justice attestent de fermetures au mois d’août et en décembre. L’apparente évidence appelle pourtant réserve.
Le preneur conteste l’obligation au double plan de la validité et de l’application. Il soutient que de telles exigences seraient déséquilibrées ou potestatives, et invoque une situation de santé justifiant des fermetures temporaires. Surtout, l’interprétation combinée du bail et du règlement appelle un examen du périmètre exact de l’obligation et des dérogations possibles. Le juge en conclut que ces éléments, « qui conduisant à analyser et interpréter les clauses contractuelles », révèlent une contestation sérieuse. L’exécution forcée en référé excéderait alors l’office du juge de l’évidence.
II. Valeur et portée de la décision dans la pratique des baux commerciaux
A. La justiciabilité en référé des modalités de paiement du loyer, vecteur d’effectivité contractuelle
La solution conforte une jurisprudence attentive à l’effectivité des stipulations claires et précises. L’article 835, alinéa 2, permet d’ordonner une obligation de faire sans trancher le fond, lorsque la clause ne requiert ni interprétation ni qualification complexe. La phrase « d’ordonner l’exécution de cette obligation même lorsqu’il s’agit d’une obligation de faire » assoit cette compétence. L’injonction de mise en place d’un prélèvement automatique s’inscrit dans cette lignée, à l’égal d’ordres de remise de documents contractuels ou d’ouverture d’un accès convenu.
Le refus d’une astreinte immédiate appelle une appréciation mesurée. La contrainte financière peut être utile pour prévenir l’inertie, mais elle n’est pas un préalable nécessaire dès lors que l’exécution attendue est simple et immédiatement contrôlable. Un constat ultérieur permettra, le cas échéant, d’envisager une modulation comminatoire. La décision valorise ainsi une graduation des mesures, au profit d’une exécution spontanée et rapide.
B. Les limites du référé en matière d’exploitation et d’équipements privatifs, renvoi nécessaire au juge du fond
L’enjeu de l’exploitation ininterrompue excède la simple matérialité d’un horaire. La portée du règlement intérieur dépend de son articulation avec le bail, des clauses de dérogation, et des circonstances particulières d’exploitation. L’argument relatif au caractère potestatif ou déséquilibré, s’il n’est pas tranché en référé, n’est pas dépourvu de consistance et commande une analyse de validité au regard du droit des clauses abusives entre professionnels ou du droit commun des contrats. Dans ce contexte, l’injonction immédiate présenterait un risque d’irréversibilité inopportun.
Les demandes reconventionnelles confirment ce périmètre. Le preneur sollicitait des injonctions touchant au chauffage et à la climatisation, en s’appuyant sur le bail et le règlement intérieur. La bailleresse soutenait, inversement, que la délivrance d’un « local brut de gros œuvre » excluait une obligation d’équipement privatif, et que seules les charges communes étaient à sa charge. Le juge observe « qu’il ressort de cette argumentation » que les prétentions « se heurtent à des contestations sérieures qu’il n’appartient pas au juge des référés de trancher. » Ce constat est décisif. Il met en avant la nécessité, pour ces questions techniques et normatives, d’un examen au fond, voire de mesures d’instruction ciblées, préalables à tout ordre d’exécution.
Au total, l’ordonnance opère une ligne de partage nette entre ce qui relève de l’évidence contractuelle, immédiatement exigible, et ce qui exige un contrôle de validité et d’interprétation contradictoire. En ordonnant l’exécution du prélèvement automatique, le juge des référés assure l’effectivité d’une clause claire. En refusant d’imposer l’ouverture continue et les obligations thermiques litigieuses, il préserve la sécurité juridique des parties, que seul le juge du fond peut arbitrairement départager après une analyse circonstanciée. Cette méthode, sobre et rigoureuse, épouse l’économie des articles 834 et 835 et éclaire utilement la pratique des baux en centre commercial.