Première chambre civile de la Cour de cassation, le 9 juillet 2025, n°24-14.352

Par un arrêt du 9 juillet 2025, la première chambre civile casse partiellement une décision de la cour d’appel de Chambéry du 22 février 2024. Le litige concerne un prêt immobilier en francs suisses consenti à un emprunteur travaillant alors en Suisse et garanti par des cautions personnelles. Après un rétablissement personnel sans liquidation judiciaire ayant effacé ses dettes, la cour d’appel a jugé sans objet ses demandes relatives aux clauses abusives et à la nullité.

Le contrat, conclu le 1er avril 2011, prévoyait un prêt libellé et remboursable en francs suisses pour l’acquisition d’un bien situé en France. Après la perte de son emploi fin 2012 et des difficultés de remboursement, l’emprunteur a obtenu, en juillet 2016, la suspension judiciaire des échéances durant vingt-quatre mois. Estimant le prêt inadapté et certaines stipulations abusives, il a assigné la banque en annulation du contrat le 28 décembre 2017.

La banque a opposé la prescription de plusieurs demandes, tandis que la procédure de surendettement aboutissait à un effacement total des dettes le 4 mai 2021. Par l’arrêt du 22 février 2024, la cour d’appel a déclaré sans objet les prétentions relatives aux clauses abusives et à la nullité du prêt. Le tribunal judiciaire de Thonon-les-Bains avait auparavant statué, notamment sur la prescription d’une action fondée sur l’information et la mise en garde.

La question posée était de savoir si l’effacement des dettes prive d’objet une action visant l’anéantissement rétroactif du contrat pour clauses abusives. La Cour de cassation répond par la négative et censure le raisonnement, au visa de l’article L. 132-1 du code de la consommation. « En application de ces dispositions, d’ordre public, les clauses abusives sont réputées non écrites et le contrat qui les contient reste applicable dans toutes ses dispositions autres que celles jugées abusives s’il peut subsister sans lesdites clauses. »

I. La persistance de l’objet de l’action malgré l’effacement des dettes

A. Le fondement textuel et la logique du réputé non écrit

Le visa de l’article L. 132-1, dans sa rédaction applicable, rappelle la portée impérative du contrôle des clauses déséquilibrées. La sanction du réputé non écrit opère de plein droit et ne dépend ni de la solvabilité du consommateur ni du traitement collectif de ses dettes. La cour d’appel a considéré que « l’objet même du litige portant sur le caractère abusif des clauses du contrat et son éventuelle nullité a disparu », en raison de l’effacement, ce que la censure dément fermement. La cohérence du système impose que la sanction protectrice conserve sa substance, y compris lorsque la dette a été traitée par la voie du surendettement.

Cette approche évite qu’un mécanisme de traitement des dettes neutralise la police des clauses abusives. Elle garantit l’examen de la validité contractuelle à raison d’un déséquilibre significatif, indépendamment des aléas ultérieurs d’exécution.

B. Les effets attachés à l’anéantissement rétroactif et l’accessoire des cautionnements

La Cour rattache l’intérêt à agir à deux effets juridiques essentiels de la nullité invoquée. D’une part, « le[ contrat] emportait des restitutions de plein droit entre les parties », dont l’octroi n’exige pas de conclusions spécifiques lorsqu’une nullité est recherchée. D’autre part, il entraînait « la résolution des cautionnements qui en étaient l’accessoire », ce qui intéresse directement l’emprunteur exposé aux recours des cautions.

La conséquence est nette : « de sorte que sa demande continuait à avoir un objet consistant à déterminer si la validité du contrat de prêt était affectée ». L’intérêt à agir subsiste tant dans le rapport principal avec la banque que pour prévenir un recours personnel des cautions, que l’effacement n’éteint pas par lui-même.

II. Portée et appréciation critique de la censure

A. Renforcement de l’effectivité du contrôle des clauses abusives

La solution consolide l’effectivité du contrôle des clauses abusives en le détachant du sort économique du débiteur surendetté. En refusant que l’effacement prive l’action de son objet, elle évite qu’une mesure de traitement neutralise la finalité préventive et dissuasive attachée au réputé non écrit. La référence aux « restitutions de plein droit » assure la réparation normative de l’atteinte à l’équilibre contractuel, même en l’absence de chiffrage distinct.

Ce raisonnement s’accorde avec l’exigence d’un contrôle concret et utile des clauses déséquilibrées, qui ne saurait être paralysé par l’extinction procédurale de la dette. Il préserve l’autorité de la sanction, et la cohérence des effets accessoires touchant les sûretés personnelles.

B. Incidences procédurales et questions encore ouvertes

La cassation partielle, avec renvoi devant la cour d’appel de Grenoble, rétablit l’examen au fond de la validité contractuelle et des effets accessoires. Demeurent inchangées la recevabilité de l’appel et la solution relative à la fin de non-recevoir tirée de la prescription concernant l’obligation d’information et de mise en garde.

Les autres griefs ne sont pas tranchés et pourront être discutés devant la juridiction de renvoi, notamment la prescription de l’action en responsabilité fondée sur le dol et la charge de la preuve alléguée. Sur le plan pratique, l’articulation entre procédures de surendettement et contentieux de validité devra être maîtrisée, afin d’éviter des contradictions et de prévenir les recours des cautions.

La décision fixe enfin un repère méthodologique pour les juges du fond : l’effacement des dettes ne fait pas disparaître l’objet d’une action en anéantissement rétroactif fondée sur des clauses abusives, dès lors que subsistent des effets restitutoires et des conséquences sur les sûretés. Elle invite à juger la validité avant de constater un éventuel non-lieu.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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