Cour d’appel de Toulouse, le 26 juin 2025, n°24/01312

Par un arrêt du 26 juin 2025, la Cour d’appel de Toulouse (3e chambre) précise le régime de la clause résolutoire en contexte de surendettement, en particulier l’articulation des paragraphes VI et VIII de l’article 24 de la loi du 6 juillet 1989. La décision confronte une clause résolutoire acquise à la suite d’impayés et un rétablissement personnel sans liquidation judiciaire, intervenu postérieurement à l’audience de première instance.

Un bail d’habitation a été conclu en 2017. Des commandements de payer ont été délivrés en 2022 et 2023. Une assignation en référé a suivi en octobre 2023. La commission de surendettement a déclaré recevable la demande en décembre 2023. Le juge des contentieux de la protection de Toulouse, par ordonnance du 21 mars 2024, a constaté l’acquisition de la clause résolutoire, refusé des délais de paiement et ordonné la libération des lieux.

En appel, la locataire sollicite des délais et la suspension des effets de la clause, au visa de l’article 24, V et VII. Le bailleur conclut à la confirmation. La question posée tient à la portée respective des paragraphes VI et VIII de l’article 24 lorsque, au jour de l’audience de première instance, le paiement des loyers courants n’a pas été repris, mais qu’un rétablissement personnel sans liquidation judiciaire est ensuite imposé puis validé. La cour tranche en deux temps : d’abord, « Il ne pouvait donc être fait application du VI de l’article 24 de la loi du 6 juillet 1989 » ; ensuite, « Dès lors cette mesure a pour effet, au visa de l’article 24 VIII précité, qui n’opère aucune distinction entre une clause résolutoire acquise ou pas, de suspendre les effets de la clause de résiliation de plein droit pendant un délai de deux ans à partir de la date de la décision imposant les mesures d’effacement ou du jugement de clôture, c’est à dire à compter du 22 février 2024. » Elle ajoute que « La reprise actuelle du paiement du loyer courant n’est pas contestée à hauteur de cour » et conclut : « La cour confirmera en conséquence l’ordonnance du 21 mars 2024 mais y ajoutant suspendra les effets de la clause résolutoire, dans les conditions énoncées au dispositif. »

I. Les conditions d’accès au régime protégé du VI de l’article 24

A. La double exigence du paragraphe VI : recevabilité et reprise effective du loyer courant

Le paragraphe VI de l’article 24 réserve l’octroi de délais automatiques, en présence d’une procédure de surendettement ouverte, à la condition expresse que « au jour de l’audience, le locataire a repris le paiement du loyer et des charges ». La Cour d’appel de Toulouse retient que cette condition temporelle stricte n’était pas remplie lors de l’audience de première instance. La recevabilité du dossier ne suffit donc pas à elle seule à ouvrir le régime impératif du VI.

La motivation est nette et rigoureuse. En rappelant l’exigence de reprise au jour de l’audience, la cour sécurise l’appréciation du juge et l’incite à se fixer sur un critère objectivable et daté. Elle confirme, en filigrane, que la simple perspective d’un apurement, même sérieuse, ne vaut pas reprise effective du courant. La solution évite d’absorber le V et le VI dans une même logique d’appréciation globale, ce que le texte ne permet pas.

B. L’office du juge des délais au titre du V : marge d’appréciation circonscrite par la solvabilité

Le paragraphe V autorise le juge à accorder des délais, dans la limite de trois ans, au locataire « en situation de régler sa dette locative ». Le premier juge avait refusé de tels délais en raison d’une charge d’apurement jugée incompatible avec les capacités financières, ce que la cour ne contredit pas. L’économie de la décision d’appel se concentre sur le VIII, rendant sans objet une réouverture du débat d’opportunité au titre du V.

L’articulation entre V et VI demeure cohérente : le VI repose sur des conditions légales cumulatives et contraignantes ; le V laisse au juge une latitude, bornée par les perspectives concrètes d’apurement et la préservation de l’exécution du bail. L’arrêt confirme que, lorsque le VIII trouve à s’appliquer, l’outil discrétionnaire du V devient secondaire, sans disparaître en principe des hypothèses voisines.

II. La suspension automatique au titre du VIII et ses effets sur la clause résolutoire

A. Une suspension obligatoire et indifférente à l’acquisition antérieure de la clause

Le cœur de la solution tient au paragraphe VIII, déclenché par l’imposition d’un rétablissement personnel sans liquidation judiciaire. La cour énonce sans ambiguïté que le texte « n’opère aucune distinction entre une clause résolutoire acquise ou pas ». La suspension de plein droit prévaut durant deux ans, à compter de la décision imposant l’effacement. La précision de la date d’effet ancre la protection dans le temps, en neutralisant les effets de la résiliation de plein droit dès l’intervention de la mesure.

Cette lecture consacre la finalité du VIII : offrir une respiration effective au locataire surendetté, indépendamment du débat antérieur sur l’acquisition de la clause. Elle est d’autant plus lisible que la cour rappelle la continuité de l’exigence d’exécution du bail, en droite ligne du texte qui prévoit que ce délai « ne peut affecter l’exécution du contrat de location ». L’affirmation selon laquelle « La reprise actuelle du paiement du loyer courant n’est pas contestée à hauteur de cour » renforce la cohérence de l’aménagement prononcé.

B. Les conséquences pratiques : stabilisation provisoire du bail et conditionnalité stricte

Le dispositif retient que la suspension joue pour deux ans et qu’elle purge rétroactivement l’effet de la clause si le paiement courant est assuré pendant toute la période. La cour ordonne ainsi : « Suspend les effets de la clause de résiliation de plein droit du bail du 14 novembre 2017 pendant un délai de deux ans à compter du 22 février 2024. » La clause reprendra « son plein effet » en cas de défaillance, avec reprise de la procédure d’expulsion dans les termes antérieurement fixés.

La portée est nette. Le VIII transforme une résiliation acquise en sursis probatoire, sous la condition stricte du paiement courant. Le bailleur conserve un levier efficace, puisque le moindre incident fait renaître la clause. Le locataire obtient une chance réelle de stabilisation, corrélée à l’effacement de passif décidé dans la procédure de surendettement. L’équilibre recherché par le législateur apparaît respecté : l’exécution du bail demeure la règle, la sanction ne s’efface que si la conduite locative redevient régulière.

L’arrêt de la Cour d’appel de Toulouse clarifie ainsi l’ordre d’examen des régimes : défaut de reprise au jour de l’audience exclut le VI ; rétablissement personnel ultérieur commande le VIII, avec suspension de plein droit et conditionnalité limitée au seul paiement courant. La formulation, précise et pédagogique, conforte la lisibilité du droit positif et sécurise les stratégies procédurales des parties, sans excéder la lettre du texte ni affaiblir la fonction disciplinaire de la clause résolutoire.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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