Cour d’appel de Pau, le 28 juillet 2025, n°24/02881

Rendue par la Cour d’appel de Pau le 28 juillet 2025, la décision tranche un litige de bail commercial ouvert par un commandement de payer d’octobre 2023. Le bail avait été conclu en décembre 2021 avec loyer annuel payable mensuellement, assorti de charges et taxes récupérables.

Par ordonnance de référé du 15 mai 2024, l’acquisition de la clause résolutoire a été constatée, l’expulsion ordonnée, des provisions allouées, et une astreinte fixée. La locataire a interjeté appel, sollicitant des délais rétroactifs avec suspension des effets de la clause résolutoire, sur le fondement des textes relatifs au délai de grâce.

La bailleresse a conclu à la confirmation, invoquant la persistance d’impayés postérieurs, l’absence de pièces comptables probantes, et la révélation d’une trésorerie disponible par saisie-attribution. La question portait sur les conditions d’octroi de délais rétroactifs propres à neutraliser une clause résolutoire, en présence de paiements partiels suivis de nouveaux manquements.

La cour confirme le référé, refuse les délais pour défaut de justification et inexécution persistante, précise la nature « constatée » de la résiliation et le caractère provisionnel des condamnations. Le raisonnement s’inscrit dans le cadre de l’article L 145-41 du code de commerce, combiné à l’article 1343-5 du code civil, et s’appuie sur une appréciation concrète des éléments financiers produits et des impayés réitérés.

I – L’office du juge des délais face à la clause résolutoire

A – Le principe légal de suspension judiciaire

Le cadre normatif est rappelé avec netteté. La cour souligne que « les juges saisis d’une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l’article 1345-5 du code civil peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets de la clause résolutoire, lorsque la résiliation n’est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l’autorité de la chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas, si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge. » La solution s’articule ainsi autour d’un pouvoir de suspension rattaché aux délais de grâce, à condition que la résiliation ne soit pas irrévocablement acquise.

La cour rappelle en outre le contenu du délai de grâce de droit commun, en des termes explicites. Elle cite que « L’article 1343-5 du code civil dispose que le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues. » Le pouvoir juridictionnel s’exerce donc selon une logique bilatérale d’équilibre, impliquant un examen croisé des capacités du débiteur et des intérêts légitimes du créancier.

B – La rétroactivité encadrée par l’apurement intégral à l’audience

La juridiction précise la condition d’une rétroactivité efficace, souvent discutée en pratique locative. Elle énonce que « Il est constant que le juge peut, sur le fondement de l’article L 145-41 précité, accorder rétroactivement des délais de paiement au locataire, suspendre les effets de la clause résolutoire et dire qu’elle n’a jamais produit ses effets après avoir constaté que les paiements intervenus ont permis l’apurement de la dette locative au jour de l’audience. » L’apurement intégral au jour de l’audience constitue donc un pivot fonctionnel de la neutralisation rétroactive.

Cette exigence formelle répond à un impératif de sécurité juridique dans les rapports locatifs commerciaux. Elle évite les suspensions de principe détachées des réalités de paiement, et conditionne l’effacement des effets à une purge effective et démontrée. La mécanique protège la stabilité contractuelle tout en maintenant une ouverture mesurée en faveur du débiteur diligent et transparent.

II – Les critères d’appréciation et les précisions de portée

A – Persistance de l’inexécution et défaut de preuve excluant les délais

L’appréciation in concreto conduit ici au refus des délais de grâce, pour deux raisons convergentes. D’une part, l’absence de justificatifs comptables ne permettait pas d’appréhender des difficultés conjoncturelles alléguées, pourtant décisives à l’exercice du pouvoir de modulation. D’autre part, des impayés postérieurs ont persisté, y compris sur les loyers courants, révélant un défaut d’exécution non accidentel.

La cour l’exprime clairement: « En outre, des délais emportant suspension des effets de la clause résolutoire ne sauraient être accordés en cas de manquement persistant du locataire dans l’exécution de ses obligations financières. » Ce considérant délimite l’office du juge en excluant la protection de comportements d’inexécution durable. La révélation d’une trésorerie crédite un diagnostic d’inexécution volontaire, ce qui altère la légitimité d’une protection par délais.

Cette grille s’accorde avec une jurisprudence de principe qui subordonne les délais à la bonne foi, à la transparence et à la diligence de paiement. L’articulation avec l’apurement exigé au jour de l’audience renforce l’idée d’un seuil d’entrée utile, centré sur la preuve d’un redressement effectif et sincère plutôt que sur de simples promesses.

B – Résiliation constatée et condamnations provisionnelles: clarifications utiles

La cour complète sa décision par une précision bienvenue sur la nature de la résiliation et la portée des condamnations. Elle énonce que « Il s’ensuit que l’ordonnance entreprise sera entièrement confirmée sauf à préciser que, en conséquence de l’acquisition de la clause résolutoire, la résiliation du bail est constatée et non prononcée et que les condamnations au titre de l’arriéré locatif et des indemnités d’occupation sont provisionnelles. » La qualification emporte des conséquences procédurales nettes.

Qualifier la résiliation de « constatée » s’accorde avec la logique de la clause résolutoire, dont les effets se produisent de plein droit après commandement resté infructueux. Le juge des référés se borne alors à vérifier les conditions et à constater l’acquisition, sans prononcer une sanction nouvelle. La précision relative au caractère provisionnel respecte le périmètre du référé, où seules des créances non sérieusement contestables appellent une provision.

La portée pratique est double. D’abord, l’exécution d’une expulsion demeure possible, sous réserve des délais légaux et des voies de droit adéquates. Ensuite, les montants provisionnels restent ouverts à une liquidation ou à une discussion au fond, suivant l’évolution de la situation et des pièces. L’ordonnance confirmée, ainsi précisée, assure une lisibilité accrue pour les acteurs du bail commercial.

Au bilan, l’arrêt illustre une économie de décision équilibrée, conjuguant l’ouverture des délais de grâce et la rigueur requise contre l’inexécution persistante. Les praticiens retiendront la centralité de l’apurement démontré à l’audience et la nécessité d’un dossier financier étayé, conditions sine qua non d’une suspension utile des effets d’une clause résolutoire.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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