Cour d’appel de Paris, le 4 juillet 2025, n°24/19045

La Cour d’appel de Paris, 4 juillet 2025 (Pôle 1, chambre 8, n° RG 24/19045), est saisie d’un appel dirigé contre une ordonnance de référé rendue le 10 juillet 2024 par le juge des contentieux de la protection. Un bail d’habitation conclu en 2018 a donné lieu à des impayés, puis à un commandement de payer délivré le 24 novembre 2023 au visa de la clause résolutoire. Le bailleur a sollicité la constatation de l’acquisition de la clause, l’expulsion et une provision, tandis que les locataires ont opposé la prescription triennale pour une fraction de la dette et l’exception d’inexécution tirée de l’insalubrité du logement.

En première instance, la résiliation a été constatée à la date du 5 janvier 2024, l’expulsion ordonnée et une somme provisionnelle accordée. En appel, les locataires sollicitent l’infirmation et demandent, à titre principal, que soit retenue la prescription partielle, puis, subsidiairement, que l’insalubrité constatée, assortie d’un arrêté préfectoral du 21 mai 2024, justifie la suspension ou l’imputation des loyers. Le bailleur conclut à la confirmation, soutenant l’absence de contestation sérieuse et l’imputabilité des désordres.

La question de droit porte d’abord sur l’office du juge des référés saisi d’une clause résolutoire lorsque la décence du logement est gravement discutée et juridiquement encadrée par un arrêté d’insalubrité. Elle porte ensuite sur la possibilité d’allouer une provision en présence d’un tel débat, ainsi que sur l’étendue des pouvoirs du juge en matière de travaux et de dommages-intérêts. La cour rappelle que « En vertu de ces textes, il est possible, dans le cadre d’une procédure en référé, de constater la résiliation de plein droit d’un contrat de location en application d’une clause résolutoire », tout en vérifiant, de manière préalable, l’existence d’une contestation sérieuse. Elle retient l’interruption de la prescription par reconnaissance de dette et, surtout, l’existence d’une contestation sérieuse fondée sur l’insalubrité et ses effets légaux, ce qui conduit, d’un double chef, à dire qu’il n’y a pas lieu à référé. La formulation est nette: « Il convient donc, infirmant l’ordonnance entreprise, de dire n’y avoir lieu à référé de ce chef. »

I. La contestation sérieuse neutralisant la clause résolutoire en référé

A. La vérification des conditions de la clause résolutoire et l’interruption de prescription

La cour rappelle la logique des articles 834 et 835 du code de procédure civile permettant, en référé, de constater la résiliation de plein droit, à la condition de l’absence de contestation sérieuse. Elle souligne que le commandement de payer, visant la clause résolutoire, était demeuré infructueux à l’expiration du délai légal. Le constat est explicite et s’appuie sur les pièces: « Il n’apparaît pas des pièces produites que les causes de ce commandement ont été réglées dans le délai imparti aux preneurs. » À ce premier stade, l’acquisition de la clause apparaît donc réunie selon le droit commun des baux d’habitation.

La défense tirée de la prescription triennale est simultanément écartée. La motivation de la cour est brève et exacte: la reconnaissance de dette, intervenue en cours de relation, a interrompu le délai. Cette interruption vaut pour les loyers antérieurs visés par l’acte, en stricte application de l’article 2240 du code civil. La cour en déduit « Il en résulte que ce premier moyen ne saurait constituer une contestation sérieuse. » La conséquence est déterminante pour la suite: le débat ne se déplace pas vers la prescription, mais vers l’état du logement et les effets juridiques qui en découlent, spécialement au regard de la décence et de l’insalubrité.

B. L’insalubrité comme fondement d’une contestation sérieuse faisant obstacle au constat en référé

La cour expose une chronologie matérielle précise: signalements sanitaires, enquêtes répétées, risques identifiés, arrêté préfectoral de traitement de l’insalubrité, travaux entrepris, puis nouvelles constatations défavorables. Elle rappelle utilement les normes substantielles. Ainsi, « Il est constant qu’en application de l’article 6 de la loi du 6 juillet 1989, le bailleur est tenu de remettre au locataire un logement décent. » Elle mobilise également le régime du code de la construction et de l’habitation relatif à la suspension des loyers pendant la période couverte par les mesures de police sanitaire.

La combinaison de ces données normatives et factuelles conduit la cour à tenir la contestation pour sérieuse. Les rapports successifs et l’arrêté préfectoral non abrogé rendent incertain le quantum des loyers dus et le jeu des exceptions, y compris pour la période antérieure lorsque la gravité des désordres est étayée. La cour tranche par une formule décisive et parfaitement adaptée à l’office du juge des référés: « Il convient donc, infirmant l’ordonnance entreprise, de dire n’y avoir lieu à référé de ce chef. » Le message est clair: l’intensité de la contestation, ici adossée à l’insalubrité et à ses effets de droit, interdit de constater la résiliation en référé.

II. La portée de l’arrêt sur l’office du juge des référés en matière locative

A. Le refus de la provision et la rigueur du contrôle des pouvoirs de référé

La même logique gouverne la demande de provision au titre de l’arriéré locatif. L’article 835, alinéa 2, exige que l’obligation soit « non sérieusement contestable ». Or, la cour transpose ses constats relatifs à l’insalubrité et à la décence, en jugeant: « Mais, au regard des motifs qui précèdent, la demande de provision au titre des loyers et charges impayés se heurte à une contestation sérieuse. » L’exigence probatoire imposée au créancier se rehausse donc lorsque l’état du logement est en cause et juridiquement encadré. Le référé demeure un juge de l’évidence et non du fond.

S’agissant des dommages-intérêts réclamés par les locataires, la motivation est classique et pédagogique. La cour rappelle la limite structurelle du référé aux mesures provisoires. Elle énonce clairement: « Il n’entre pas dans les pouvoirs du juge statuant en référé d’octroyer des dommages et intérêts. » Seule une provision, sur préjudice évident, serait envisageable, ce qui n’est pas le cas au regard des incertitudes techniques et des imputations contradictoires. Cette solution préserve l’équilibre de l’office du juge des référés, en évitant toute pré-judication du fond.

B. Travaux, décence et articulation avec l’obligation d’entretien: portée et conséquences

La demande d’astreinte aux fins de travaux illustre la même retenue. La cour constate l’exécution d’interventions significatives, puis l’apparition de désordres nouveaux, enfin des causes discutées. Dans ce contexte, elle refuse d’ordonner des mesures de faire en référé, au motif de la contestation sérieuse sur l’obligation alléguée et son imputabilité. La solution est conforme au régime des mesures de remise en état, qui supposent l’évidence du trouble et la nécessité immédiate d’y mettre fin, ce que l’alternance des constats ne permettait pas d’établir avec certitude.

La portée de l’arrêt est double. D’une part, il confirme que l’arrêté d’insalubrité, conjugué à des éléments techniques probants, peut faire obstacle à la constatation de la clause résolutoire en référé, en faisant naître une contestation sérieuse sur l’exigibilité des loyers et, partant, sur les effets de la clause. D’autre part, il réaffirme que la suspension des loyers, organisée par le code de la construction et de l’habitation, ainsi que l’exception d’inexécution, s’apprécient au regard d’un faisceau d’indices contemporains et concordants, que le référé ne tranche pas au fond.

La solution protège corrélativement les droits des occupants en période de police sanitaire, sans dessaisir le juge du fond de l’examen complet des imputabilités, travaux complémentaires, remises en état et responsabilités. Elle maintient, enfin, une incitation forte à la célérité des remises en conformité, puisque la persistance d’un arrêté non abrogé obère toute prétention provisionnelle et fragilise toute démarche d’expulsion immédiate. En définitive, la cour articule avec sobriété l’économie du référé et les exigences de décence, en réservant au juge du fond les conflits techniques et causaux qui commandent l’issue définitive du litige.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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