Cour d’appel de Nîmes, le 28 août 2025, n°23/01906

Par un arrêt de la Cour d’appel de Nîmes du 28 août 2025, la deuxième chambre section A statue sur un litige de voisinage. Des propriétaires, installés depuis plusieurs décennies, contestent les effets d’une construction voisine autorisée en 2016 et édifiée très près de la limite séparative. Ils invoquent des pertes d’ensoleillement, une atteinte esthétique notable et des vues, réclamant la démolition, subsidiairement la suppression d’ouvertures, ainsi qu’une indemnisation accrue. Après constat, expertise ordonnée en référé, puis action au fond, le tribunal judiciaire d’Avignon, le 12 mai 2023, retient la responsabilité pour trouble anormal. Il refuse la démolition, alloue des dommages-intérêts et ordonne la taille de végétaux empiétant sur le fonds voisin, sous astreinte. Les appelants sollicitent l’aggravation des mesures et l’augmentation des indemnités; l’intimé demande la nullité du rapport et des dommages au titre des végétaux. La cour écarte la nullité, confirme l’existence de troubles, refuse les démolitions, majore l’indemnité économique et maintient les obligations d’élagage. La décision traite d’abord des conditions de nullité d’une expertise contestée, puis de l’office du juge dans la caractérisation et la réparation des troubles.

I. Le contrôle de l’expertise judiciaire

A. La nullité conditionnée par une irrégularité substantielle et un grief

La cour rappelle le cadre de la nullité des mesures d’instruction. Elle cite l’article 114 du code de procédure civile: « Aucun acte de procédure ne peut être déclaré nul pour vice de forme si la nullité n’en est pas expressément prévue par la loi, sauf en cas d’inobservation d’une formalité substantielle ou d’ordre public. » L’article 175 précise encore que « la nullité des décisions et actes d’exécution relatifs aux mesures d’instruction est soumise aux dispositions qui régissent la nullité des actes de procédure. » S’agissant de l’office de l’expert, l’article 237 impose: « Le technicien commis doit accomplir sa mission avec conscience, objectivité et impartialité. » L’article 238 ajoute: « Il ne doit jamais porter d’appréciations d’ordre juridique. »

L’arrêt retient que les prescriptions de l’article 238 « ne sont pas sanctionnées de nullité » et qu’une nullité suppose l’inobservation d’une formalité substantielle et la démonstration d’un grief. Les expressions malheureuses relevées dans le rapport, telles que « la délivrance du permis de construire est incompréhensible », ne suffisent pas à caractériser une partialité. L’arrêt souligne qu’« il n’est pas justifié d’un grief » dès lors que le débat contradictoire a permis les observations utiles, et que le juge peut « faire abstraction des appréciations juridiques » et trancher en droit.

B. L’appréciation souveraine du juge et l’absence de partialité caractérisée

La cour rappelle qu’un éventuel dépassement de mission ne prive pas le rapport de tout caractère probant. Elle cite à cet égard que « les juges du fond sont en droit de s’approprier l’avis de l’expert même si celui-ci a exprimé une opinion excédant les limites de sa mission » (Civ. 3e, 17 oct. 2012, n° 10-23.971). Le défaut de réponse exhaustive à certains dires n’emporte pas davantage nullité, le juge n’étant pas lié par les conclusions de l’expert et restant maître de l’appréciation des éléments contradictoirement débattus.

La cour constate enfin l’absence de manquement déontologique établi. L’expert a répondu aux points essentiels de sa mission, laquelle incluait des vérifications d’urbanisme clairement fixées par l’ordonnance de désignation. L’irrégularité alléguée n’atteint donc ni une formalité substantielle ni les droits de la défense. La demande de nullité est, en conséquence, rejetée.

II. Le trouble anormal de voisinage et ses réparations

A. Une caractérisation autonome, indépendante des normes d’urbanisme

La cour énonce le principe directeur: « Il est de principe que nul ne doit causer à autrui un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage. » Cette responsabilité est objective et « le respect des normes, notamment d’urbanisme, n’est pas exclusif de l’existence d’un trouble anormal de voisinage », la méconnaissance des règles n’impliquant pas non plus nécessairement un trouble.

Les éléments matériels sont établis par les pièces et l’expertise: pertes significatives d’ensoleillement selon les saisons, et surtout une lourde atteinte esthétique liée à un long pignon élevé, à faible distance de la limite. La cour retient l’anormalité de ces nuisances, appréciée in concreto. En revanche, s’agissant des vues, les constatations montrent une protection effective par une haie en limite, couvrant les principales pièces du rez-de-chaussée et une part du terrain. Il en résulte que « ces vues plongeantes […] ne sauraient être constitutives d’un trouble anormal de voisinage », faute d’atteinte grave et constante à l’intimité étayée par la preuve.

B. Une réparation mesurée: rejet de la démolition, indemnisation accrue

Sur le mode de réparation, la cour rappelle qu’« il appartient au juge de déterminer souverainement les mesures propres à remédier au trouble ». L’argumentation fondée sur la proportionnalité conventionnelle est écartée, « l’invocation du principe de proportionnalité […] est inopérante » en ce domaine. La régularité urbanistique n’oriente pas la sanction civile du trouble, « ne saurait être prise en considération » pour dicter la démolition dans cette configuration factuelle.

La démolition est donc jugée inadaptée et disproportionnée au regard de l’ampleur réelle des nuisances et des moyens atténuateurs existants. La suppression des ouvertures et de la terrasse est également refusée, l’anormalité des vues n’étant pas caractérisée. La cour privilégie une indemnisation calibrée. Elle corrige l’évaluation de première instance, considérant que la pondération retenue minorait trop la perte d’ensoleillement et surtout la disparition d’une vue dégagée conférant un attrait particulier au bien. L’indemnité économique est portée à 40 000 euros, tandis que les chefs de préjudices moral et d’agrément, déjà indemnisés, restent justement appréciés.

La décision complète enfin la réparation par la police des plantations. Il est constaté que « la hauteur de deux mètres prévue à l’article 671 du code civil a été dépassée » et que la végétation débordait sur le fonds voisin; l’injonction de taille sous astreinte est confirmée. En revanche, l’allocation de dommages-intérêts distincts pour ces végétaux est écartée, faute de preuve d’un préjudice autonome et suffisant, ni de frais établis. L’économie de l’arrêt conjugue ainsi la rigueur de la caractérisation des troubles avec une sanction proportionnée, centrée sur la compensation financière et la remise en conformité des limites végétales.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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