Cour d’appel de Metz, le 25 juillet 2025, n°24/00941

Rendue par la cour d’appel de Metz le 25 juillet 2025, la décision avant dire droit intervient à la suite d’un litige locatif marqué par l’exécution imparfaite d’une injonction de travaux. Saisie d’un appel contre un jugement du juge de l’exécution de Metz du 25 avril 2024 ayant liquidé une astreinte, la cour choisit de rouvrir les débats pour apprécier la proportionnalité de la somme arrêtée au regard de l’enjeu du litige.

Les faits tiennent à un bail d’habitation assorti d’une obligation de remise en état des installations et parois intérieures, ordonnée par ordonnance de référé du tribunal judiciaire de Metz du 16 décembre 2021. L’astreinte, fixée à cent euros par jour après un délai de deux mois, sanctionnait l’inexécution des travaux requis et la production de justificatifs professionnels. La contestation porte sur l’étendue des diligences accomplies, la persistance de désordres et la réalité d’éventuels obstacles.

La procédure a connu un sursis à statuer au 9 février 2023 dans l’attente de la décision au fond du 1er juin 2023. Par la suite, le juge de l’exécution a liquidé l’astreinte à 52 300 euros, retenant une période allant du 23 février 2022 au 31 juillet 2023. L’appelant sollicite la suppression, à défaut la réduction substantielle de la somme, invoquant des travaux réalisés et des difficultés de coordination. L’intimé requiert la confirmation intégrale et rappelle la finalité comminatoire de la sanction.

La question posée tient au point de savoir si la liquidation d’une astreinte provisoire doit faire l’objet d’un contrôle de proportionnalité au regard du droit de propriété garanti par le protocole n°1, au vu des buts légitimes poursuivis et des circonstances de l’espèce. La cour y répond en affirmant que « Il en résulte que le juge qui statue sur la liquidation d’une astreinte provisoire doit apprécier le caractère proportionné de l’atteinte qu’elle porte au droit de propriété du débiteur au regard du but légitime qu’elle poursuit. » Elle ordonne en conséquence la réouverture des débats afin de recueillir des observations ciblées, précisant qu’ »Il convient en conséquence d’ordonner la réouverture des débats et d’inviter les parties à présenter leurs observations sur le rapport raisonnable de proportionnalité entre le montant auquel le juge de l’exécution a liquidé l’astreinte et l’enjeu du litige ».

I. Le cadre conventionnel et l’office du juge de la liquidation

A. L’astreinte comme ingérence patrimoniale encadrée par le protocole n°1
La cour rappelle que l’astreinte, une fois liquidée, emporte une condamnation pécuniaire susceptible d’affecter substantiellement le débiteur. Elle souligne que « L’astreinte, en ce qu’elle impose, au stade de sa liquidation, une condamnation pécuniaire au débiteur de l’obligation, est de nature à porter atteinte à un intérêt substantiel de celui-ci. Elle entre ainsi dans le champ d’application de la protection des biens garantie par le protocole n°1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. » La qualification emporte une double exigence : légalité de la mesure et adéquation entre la charge imposée et le but de bonne administration de la justice.

L’astreinte demeure un instrument de coercition indirecte, destiné à favoriser l’exécution effective dans un délai raisonnable. Elle ne constitue pas, par nature, une sanction contraire aux exigences conventionnelles, dès lors qu’elle est prévue par la loi et calée sur la finalité d’efficacité des décisions. Encore faut-il que sa liquidation prenne en compte les circonstances concrètes, notamment la temporalité, l’utilité des travaux, la valeur des intérêts en présence et la situation du débiteur.

B. Le contrôle de proportionnalité et la prise en compte des diligences
L’office du juge de la liquidation impose une appréciation concrète, individualisée et motivée du quantum. La cour explicite que, « Dès lors, si l’astreinte ne constitue pas, en elle-même, une mesure contraire aux exigences du protocole en ce que, prévue par la loi, elle tend, dans l’objectif d’une bonne administration de la justice, à assurer l’exécution effective des décisions de justice dans un délai raisonnable, tout en imposant au juge appelé à liquider l’astreinte, en cas d’inexécution totale ou partielle de l’obligation, de tenir compte des difficultés rencontrées par le débiteur pour l’exécuter et de sa volonté de se conformer à l’injonction, il appartient au juge saisi d’apprécier, de manière concrète, s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre le montant auquel il liquide l’astreinte et l’enjeu du litige. »

Ce contrôle suppose d’apprécier les diligences effectuées, l’ampleur des retards, la contribution des tiers aux difficultés, et la réalité de l’exécution conforme aux règles de l’art. Il conduit à un raisonnement gradué, organisé autour de l’enjeu du litige, de la finalité comminatoire et de la nécessité d’éviter des montants manifestement excessifs au regard des intérêts réellement protégés.

II. L’application aux faits et la portée de l’arrêt avant dire droit

A. Les critères opérationnels de la proportionnalité dans l’espèce
La liquidation initiale retient un montant de 52 300 euros, calculé sur une période longue et pointée comme persistante. L’appel soutient des travaux réalisés dès mai 2022, des pièces justificatives et des sujétions pratiques, tandis que l’intimé allègue une exécution incomplète et des désordres résiduels. Le débat se cristallise sur l’effectivité des reprises techniques, la qualification du professionnel intervenant et la conformité aux règles de l’art.

Dans ce cadre, la proportionnalité commande d’examiner l’utilité des jours d’astreinte réellement efficaces, le degré de résistance du débiteur, et les obstacles rencontrés. Elle requiert aussi d’évaluer la valeur des intérêts protégés par l’injonction, la décence du logement après intervention, ainsi que l’incidence d’événements ultérieurs, sans confondre la réparation des préjudices avec l’objet proprement comminatoire de l’astreinte.

B. Les conséquences procédurales et normatives de la réouverture des débats
La cour privilégie un débat contradictoire resserré sur le « rapport raisonnable de proportionnalité » entre le montant liquidé et l’enjeu, afin d’asseoir la décision sur des éléments techniques vérifiables. Cette méthode renforce la motivation, favorise l’objectivation des critères et prévient les dérives punitives étrangères à la finalité d’exécution.

En ordonnant la réouverture des débats, la formation met en œuvre une pédagogie contentieuse conforme aux exigences conventionnelles. Elle invite les parties à produire des pièces probantes sur l’exécution, les difficultés rencontrées et la valeur des intérêts en cause. La solution attendue visera un équilibre entre l’efficacité des injonctions et la protection du patrimoine du débiteur, conformément au standard ainsi rappelé et à l’économie des textes internes applicables.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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