Cour d’appel de Cayenne, le 4 septembre 2025, n°24/00268

La Cour d’appel de Cayenne, 4 septembre 2025, statue sur la validité d’un commandement de quitter les lieux délivré dans le cadre d’un bail commercial. Le litige naît d’impayés anciens, d’un premier échéancier judiciaire non respecté, puis d’un accord de médiation homologué assorti d’une clause d’expulsion en cas de défaillance. La locataire a saisi le juge de l’exécution, qui a rejeté la nullité du commandement, le sursis à statuer, la médiation et les délais, décision confirmée en appel.

Le bail commercial avait été conclu fin 2017 pour l’exploitation d’un café-snacking et d’un espace de coworking. Des impayés ont conduit à un premier commandement visant la clause résolutoire et à une ordonnance de référé accordant un échéancier. Un second commandement a suivi en 2020. Une médiation ordonnée en 2020 a abouti à un accord signé en janvier 2021, homologué en février 2021. La défaillance subséquente a entraîné la délivrance d’un commandement de quitter en novembre 2023, puis la saisine du juge de l’exécution. Celui-ci, par jugement du 3 juin 2024, a validé l’acte et refusé toute mesure de temporisation. L’appelante soutenait l’absence de titre exécutoire adéquat, l’exécution de l’accord jusqu’à des désordres allégués, la mauvaise foi du bailleur, ainsi que l’influence d’une expertise en cours. L’intimée répliquait que l’accord homologué prévoyait expressément l’expulsion en cas de manquement, que l’acte répondait aux exigences du code des procédures civiles d’exécution, et qu’au surplus la clause résolutoire avait produit ses effets en 2020.

La question posée était celle de savoir si un accord de médiation homologué, stipulant l’expulsion en cas d’inexécution, constitue un fondement exécutoire suffisant pour délivrer un commandement de quitter, nonobstant l’absence d’un jugement constatant la résiliation et l’existence d’une expertise. La cour répond positivement, après avoir contrôlé les mentions obligatoires de l’acte et l’économie de l’accord homologué, puis confirme le refus de sursis, de médiation et de délais. Elle souligne que, d’après l’accord, « Le bailleur pourra alors se prévaloir de l’acquisition de la clause résolutoire et poursuivre l’expulsion du locataire après un commandement de quitter les lieux ».

I. Fondement exécutoire et contrôle du commandement

A. L’accord de médiation homologué, titre exécutoire opérant

La cour s’attache d’abord à la force exécutoire de l’accord homologué, pivot du dispositif. Elle rappelle que l’accord, signé en janvier 2021 et homologué en février 2021, comporte un échéancier et une clause d’expulsion en cas de défaillance. Elle en cite la stipulation centrale, déterminante pour le sort du litige: « Le locataire payera la somme de 60 000€ en 60 mensualités de 1000€ chacune, outre les loyers courants à échéance régulière, et qu’à défaut de règlement d’une seule mensualité à son terme, l’intégralité de la dette deviendra immédiatement exigible. Le bailleur pourra alors se prévaloir de l’acquisition de la clause résolutoire et poursuivre l’expulsion du locataire après un commandement de quitter les lieux ».

En qualifiant l’accord, la cour ajoute que « Cet accord est valablement intervenu entre les parties concernant le retard de paiement des loyers, et ce nonobstant le fait qu’une expertise concernant les locaux aurait été en cours ». Le raisonnement confère à l’homologation une portée autonome: l’inexécution postérieure déclenche les voies d’exécution prévues, indépendamment des griefs relatifs à l’état des locaux. La décision réinscrit ainsi le débat sur le terrain de l’exécution d’un titre, plutôt que sur celui des obligations réciproques au fond.

La cour en déduit que l’acte de 2023 s’adosse à un titre exécutoire pertinent, propre à fonder la poursuite de l’expulsion. Elle écarte, par ricochet, l’argument tenant à l’absence de constat judiciaire de résiliation, dès lors que l’accord homologué prévoit la reprise des mesures d’expulsion en cas de défaillance. L’économie de l’arrêt rattache donc la validité du commandement à la combinaison de l’homologation et de la clause conventionnelle d’expulsion.

B. Les exigences formelles de l’article R411-1 CPCE

Le contrôle se prolonge sur le terrain formel. La cour cite le texte applicable: « Aux termes de l’article R411-1 du code des procédures civiles d’exécution, ‘le commandement d’avoir à libérer les locaux prend la forme d’un acte d’huissier de justice signifié à la personne expulsée et contient à peine de nullité : 1° L’indication du titre exécutoire en vertu duquel l’expulsion est poursuivie; 2° La désignation de la juridiction devant laquelle peuvent être portées les demandes de délais et toutes contestations relatives à l’exécution des opérations d’expulsion; 3° L’indication de la date à partir de laquelle les locaux devront être libérés; 4°L’avertissement qu’à compter de cette date il peut être procédé à l’expulsion forcée du débiteur ainsi qu’à tous occupant de son chef.’ ».

Constatant les mentions requises, la cour retient que l’acte litigieux « comporte bien l’ensemble des mentions requises par les dispositions susvisées pour sa validité ». Elle précise que l’acte vise l’ordonnance de référé de décembre 2019, l’accord de médiation de janvier 2021 et l’ordonnance d’homologation de février 2021. Le visa du titre apparaît donc conforme à l’exigence du 1°, tandis que la date de libération et l’avertissement sont rappelés. L’argument tiré d’une irrégularité formelle se trouve dès lors épuisé.

La portée de ce contrôle est claire. Saisie d’une contestation par la voie de l’article R411-1, la juridiction d’appel s’en tient au périmètre normatif du juge de l’exécution, limité à la validité du titre et des actes d’exécution. Les critiques substantielles, fondées sur des désordres allégués et une expertise pendante, ne prévalent pas sur la force probante attachée à l’accord homologué.

II. Valeur et portée de la solution retenue

A. L’articulation clause résolutoire et médiation homologuée

La cour renforce son analyse par un motif surabondant relatif à la clause résolutoire. Elle énonce: « A titre surabondant, il peut être relevé que la résiliation du bail de plein droit aurait pu être constatée par le juge des référés dès l’ordonnance du 13 décembre 2019 ». Puis elle ajoute que, après le second commandement demeuré infructueux, « le bail commercial était résilié de plein droit au 20 mars 2020 ». Cette seconde assise confère à la solution une dualité de fondements, l’un conventionnel-judiciaire par l’accord homologué, l’autre légal par la clause résolutoire.

Cette articulation est cohérente. La résiliation de plein droit, une fois acquise, ôte tout aléa sur le droit du bailleur à obtenir la libération des lieux. L’accord de médiation, en offrant une ultime chance d’apurement, avait réorganisé l’exécution sans purger rétroactivement l’effet de la clause. Le retour à l’expulsion, prévu par l’accord, retrouve ainsi sa justification première lorsque l’échéancier échoue. Le raisonnement préserve la sécurité des relations contractuelles, en sanctionnant la défaillance malgré des griefs techniques non déterminants au regard du titre.

Sur le plan critique, la solution peut surprendre au regard des difficultés d’exploitation invoquées. Cependant, la cour rattache logiquement la discussion aux seules conditions d’exécution du titre, laissant à d’autres voies l’examen de l’inexécution alléguée du bailleur. L’homologation confère, en outre, une autorité particulière à l’économie conventionnelle choisie, laquelle incluait le réenclenchement de l’expulsion.

B. Pouvoirs du juge de l’exécution, rejet du sursis, de la médiation et des délais

La cour maintient strictement le périmètre du contrôle. Elle relève que « La demande de sursis à statuer sera également rejetée en l’absence de motivation ayant une incidence sur la validité du commandement de quitter les lieux ». Elle écarte pareillement une médiation sur le fondement de la défaillance antérieure à un accord déjà homologué, estimant « qu’au regard du précédent accord homologué n’ayant pas été respecté, […] il n’y a pas lieu d’enjoindre les parties à rencontrer un médiateur ». Les délais pour quitter sont refusés faute d’éléments sur un relogement impossible dans des conditions normales.

Cette approche confirme une jurisprudence constante sur les attributions du juge de l’exécution. Celui-ci vérifie l’existence et la régularité du titre, la conformité de l’acte aux mentions requises, et les conditions de l’expulsion. Il n’entre pas à ce stade à apprécier les fautes contractuelles substantielles, sauf à ce qu’elles affectent la validité du titre ou de l’acte. La présence d’une expertise en cours ne neutralise pas l’exécution d’un accord homologué, sauf clause contraire ou décision spécialement motivée.

La portée pratique de l’arrêt est nette. Le commandement fondé sur un accord de médiation homologué, prévoyant clairement l’expulsion en cas de défaillance, satisfait aux exigences de l’article R411-1 dès lors qu’il vise utilement ce titre et comporte les mentions prescrites. Les contestations relatives à l’état des locaux ou à la bonne foi contractuelle ne sauraient, en l’absence d’atteinte au titre, paralyser l’exécution. La cour en conclut logiquement que « Le jugement déféré sera par conséquent confirmé en toutes ses dispositions ».

Au total, la décision renforce la sécurité attachée aux accords homologués en matière locative commerciale. Elle conforte l’idée que l’homologation fige les modalités d’exécution, y compris l’éventuelle reprise des mesures d’expulsion, sans que des incidents techniques ultérieurs, non articulés à la validité de l’acte, ne puissent en différer le cours. Elle illustre enfin un usage mesuré, mais ferme, des pouvoirs du juge de l’exécution, ordonné autour du contrôle du titre et de l’acte, dans un cadre où l’exigence de prévisibilité prime.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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