Cour d’appel de Aix-en-Provence, le 2 septembre 2025, n°24/14812

Par un arrêt au fond du 2 septembre 2025, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, chambre 1-1, statue sur l’étendue de l’effet dévolutif d’un appel. Le litige naît d’une opération immobilière ayant conduit à l’administration provisoire d’une association syndicale libre et à l’avance de dépenses d’eau communes. Le promoteur réclame le remboursement des avances jusqu’à l’installation des compteurs individuels, tandis que l’association conteste la qualité à agir et le principe du remboursement. Le juge de la mise en état rejette la fin de non-recevoir tirée de la qualité, se déclare incompétent sur le fond, et l’association interjette appel. La déclaration d’appel vise les demandes rejetées, mais omet d’identifier les chefs du dispositif critiqués, question déterminante au regard des textes réformés. La cour précise d’ailleurs que « La déclaration d’appel ayant été formée le 12 décembre 2024 les textes du code de procédure civile applicables à l’espèce sont ceux résultant de la réforme du 23 décembre 2023. »

I. Le sens de la décision

A. Le contexte factuel et procédural

L’association syndicale libre, issue d’un programme neuf, a été administrée provisoirement par le promoteur jusqu’à l’assemblée constitutive. Durant cette phase, un compteur général a été posé et des frais d’eau ont été avancés dans l’attente des compteurs individuels. Une fois l’organe de gestion élu, le promoteur sollicite le remboursement des dépenses engagées au titre des services communs. Assignation est délivrée, puis un incident devant le juge de la mise en état aboutit au rejet d’une irrecevabilité de qualité, le reste étant renvoyé au fond.

L’appel est interjeté contre l’ordonnance. La déclaration d’appel reproduit des prétentions, non des chefs du dispositif, et l’intimé invoque l’absence d’effet dévolutif. L’appelante dépose ensuite des conclusions identifiant précisément les chefs critiqués, en espérant régulariser l’acte d’appel par le jeu de l’article 915-2 du code de procédure civile. La cour vérifie alors la portée de la réforme et l’articulation des textes nouveaux avec la jurisprudence antérieure.

B. Le mécanisme de l’effet dévolutif précisé

La cour rappelle la trilogie des articles 901, 562 et 915-2 du code de procédure civile, dans leur rédaction issue du décret n° 2023-1391. Elle souligne d’abord que l’omission des chefs critiqués constitue une irrégularité formelle soumise à grief, tout en n’entraînant pas mécaniquement l’effet dévolutif. Elle énonce expressément que « La méconnaissance de l’article 901-,7é du code de procédure civile est une nullité de forme et il appartient à la cour d’apprécier si l’absence de précision des chefs du jugement critiqués empêche l’adversaire de préparer utilement sa défense et constitue un grief. »

S’appuyant sur la jurisprudence, la cour cite la solution de principe selon laquelle « lorsque la déclaration d’appel tend à la réformation du jugement sans mentionner les chefs de jugement qui sont critiqués, l’effet dévolutif n’opère pas ». Elle ajoute, en application des textes réformés, que la déclaration d’appel doit délimiter la dévolution et que les premières conclusions ne peuvent, par elles seules, créer l’objet du litige d’appel. La motivation insiste ainsi : « Ainsi, lorsque la déclaration d’appel ne vise que les demandes de première instance elle ne vise aucun des chefs critiqués du jugement tel que mentionné par l’article 901 7é. » La régularisation suppose une nouvelle déclaration, dans le délai utile, plutôt qu’une simple précision ultérieure par conclusions. D’où l’affirmation selon laquelle « Dés lors seule une nouvelle déclaration d’appel aurait pu régulariser dans le délai pour conclure, la première ne mentionnant aucun chef de jugement qu’elle critique ». Concluant la chaîne déductive, la cour retient enfin que « Il s’en déduit que l’effet dévolutif n’ayant pu jouer, la cour n’est effectivement pas saisie d’un quelconque chef de jugement ».

II. Valeur et portée

A. Une lecture cohérente et prévisible des textes réformés

La solution s’inscrit dans la finalité assignée par l’article 901, qui confère à la déclaration d’appel une fonction de délimitation claire de l’objet dévolu. La cour articule utilement ce formalisme avec l’article 915-2, en restreignant la régularisation par conclusions aux seuls chefs « ainsi déterminés », ce qui interdit de créer ex nihilo le périmètre de l’appel par la suite. La continuité avec la jurisprudence antérieure, maintenue malgré la réforme, renforce la prévisibilité et la sécurité procédurale. Il en ressort une exigence de lisibilité du litige porté devant le juge d’appel, gage d’un contradictoire loyal et d’une économie de procédure maîtrisée.

L’arrêt apporte également une précision opérationnelle appréciable. La cour rappelle que l’effet dévolutif peut encore jouer lorsque le dispositif ne comporte qu’un débouté global, si la déclaration le vise expressément. D’où l’utile mise au point suivante : « Enfin, l’effet dévolutif opère si la déclaration d’appel mentionne uniquement le chef de débouté des demandes, dès lors que le dispositif du jugement ne précise que cela. » La solution évite de piéger les appelants lorsque la décision attaquée est peu détaillée, à condition d’identifier correctement le chef unique.

B. Les risques d’un formalisme excessif et les enseignements pratiques pour les praticiens

La rigueur de l’exigence, si elle clarifie la dévolution, comporte une zone de risque non négligeable pour le droit d’accès au juge. L’éviction de l’appel sur le seul terrain de l’effet dévolutif, alors même qu’une nullité de forme requiert grief, peut paraître sévère pour l’appelant diligent mais imprécis. La conciliation avec l’exigence d’un procès équitable commande une vigilance accrue dans la mise en œuvre, en particulier lorsque l’erreur procède d’un formulaire ou d’une interface procédurale normalisée.

L’enseignement pratique est net. Il faut recopier les chefs du dispositif du jugement, tels qu’ils figurent dans la décision, et les lister un à un dans la déclaration d’appel, en recourant si besoin à une annexe. À défaut, une seconde déclaration doit être formée dans le délai des conclusions pour régulariser l’étendue de la dévolution, à l’exclusion d’une simple précision par conclusions. La présente décision en tire les conséquences procédurales, sans excès, en énonçant que « Déclare la cour saisie d’aucun chef de jugement sans qu’il y ait lieu de prononcer la nullité de la déclaration d’appel ». La cour n’examine pas le fond, les prétentions demeurant inchangées devant le premier juge, l’appelante supportant les dépens d’appel, tandis qu’« L’équité ne commande pas de faire droit à la demande […] sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. »

Ainsi compris, l’arrêt conforte un formalisme fonctionnel de la déclaration d’appel, dont l’objet est de délimiter précisément la saisine de la juridiction du second degré. Il invite les avocats à sécuriser l’acte introductif d’appel, en calquant la déclaration sur le dispositif, et à mobiliser la régularisation par nouvelle déclaration lorsque l’omission l’exige, faute de quoi l’effet dévolutif demeure inopérant.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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