Par un arrêt en date du 5 juin 2025, la cour administrative d’appel de Versailles a été amenée à se prononcer sur la légalité d’un refus de permis de construire modificatif opposé par un maire au sein d’un site inscrit. En l’espèce, des pétitionnaires avaient sollicité une autorisation pour la réalisation de divers travaux, notamment la création d’un garage en sous-sol et l’édification de clôtures. Le projet ayant reçu un avis défavorable simple de l’architecte des Bâtiments de France, l’autorité compétente a rejeté la demande, motivant sa décision par une reprise des arguments formulés dans cet avis. Saisi par les pétitionnaires, le tribunal administratif de Versailles a annulé l’arrêté de refus, retenant une erreur de droit au motif que le maire ne pouvait se fonder sur de simples recommandations de l’architecte, ainsi qu’une erreur d’appréciation quant à l’atteinte portée au site. La commune a interjeté appel de ce jugement. Se posait alors la question de savoir si un maire commet une erreur de droit en fondant son refus de permis de construire sur les recommandations non contraignantes d’un architecte des Bâtiments de France, et si, en tout état de cause, une telle décision est justifiée au regard de l’atteinte alléguée au caractère d’un site inscrit. La cour administrative d’appel de Versailles rejette la requête de la commune. Elle juge que le maire pouvait légalement s’inspirer des recommandations de l’architecte sans commettre d’erreur de droit, infirmant ainsi sur ce point le raisonnement des premiers juges. Toutefois, elle confirme l’annulation de la décision de refus en retenant, après une analyse concrète des faits, que le maire a commis une erreur manifeste d’appréciation quant à l’impact réel du projet sur son environnement, et écarte par ailleurs la demande de substitution de motifs présentée par l’administration.
La décision de la cour permet ainsi de préciser la portée juridique des avis simples émis en matière d’urbanisme (I), tout en réaffirmant le contrôle entier du juge sur l’appréciation des faits fondant une décision de refus (II).
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I. La portée juridique clarifiée des recommandations de l’architecte des Bâtiments de France
La cour administrative d’appel, tout en confirmant l’annulation de l’acte attaqué, opère une rectification du raisonnement des premiers juges s’agissant de la valeur d’un avis simple. Elle valide la possibilité pour le maire de s’inspirer d’un tel avis (A), tout en rappelant implicitement la distinction fondamentale entre cette inspiration et une obligation de suivi (B).
A. La légalité de la motivation fondée sur un avis simple
Le tribunal administratif avait considéré que le maire avait entaché sa décision d’une erreur de droit en fondant son refus sur les recommandations de l’architecte des Bâtiments de France. La cour d’appel censure cette analyse en affirmant qu’il était parfaitement loisible à l’autorité compétente de reprendre à son compte les arguments développés dans cet avis, même si celui-ci n’avait pas force contraignante. L’arrêt énonce en effet qu’« il était loisible à l’ABF d’assortir son avis simple de recommandations qui ne constituent pas des prescriptions s’imposant comme telles ni au maire, ni au pétitionnaire, et le maire a pu, sans commettre une erreur de droit, motiver son refus de délivrance de permis de construire modificatif en s’inspirant de ces recommandations ». Cette solution réaffirme que le maire, lorsqu’il statue sur une demande de permis de construire, dispose d’un pouvoir propre d’appréciation. L’avis de l’architecte, lorsqu’il est simple, constitue un éclairage technique et esthétique, mais ne lie pas sa décision finale. En s’appropriant les motifs de l’avis, le maire ne fait qu’exercer sa propre compétence en se fondant sur une expertise qu’il juge pertinente.
B. La distinction maintenue entre inspiration et compétence liée
En validant la faculté pour le maire de s’inspirer de l’avis de l’architecte, la cour prend soin de ne pas transformer cet avis simple en un avis conforme déguisé. L’inspiration n’emporte aucune automaticité. La décision reste celle du maire, prise sous sa seule responsabilité et soumise au plein contrôle du juge administratif. Si le maire choisit de suivre les recommandations, les motifs qu’il invoque deviennent les siens et doivent être matériellement exacts et juridiquement fondés. Cette approche maintient un équilibre essentiel : elle respecte l’expertise de l’architecte des Bâtiments de France en tant qu’élément d’appréciation, sans pour autant déposséder l’autorité administrative de son pouvoir de décision. Le maire n’est donc pas dans une situation de compétence liée par de simples recommandations ; il demeure libre de s’en écarter, à condition de motiver sa propre décision, tout comme il est libre de les suivre, à condition d’en assumer la légalité.
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II. Le contrôle souverain du juge sur l’appréciation de l’atteinte au site
Si la cour rectifie l’analyse juridique du tribunal quant au rôle de l’avis, elle en confirme la conclusion en se livrant à un examen rigoureux de la matérialité des faits. Elle censure ainsi l’erreur d’appréciation commise par l’administration (A) et refuse par conséquent de faire droit à la tentative de régularisation par une substitution de motifs (B).
A. La censure de l’erreur manifeste d’appréciation
L’essentiel du litige repose sur l’article R. 111-27 du code de l’urbanisme, qui permet de refuser un projet portant atteinte à l’intérêt des lieux avoisinants. Le maire, suivant l’architecte, a estimé que le projet dévalorisait le site. La cour administrative d’appel procède à une analyse concrète et détaillée de l’environnement du projet. Elle constate que « le terrain d’assiette du projet est situé au sein d’une zone particulièrement hétérogène s’agissant du bâti existant, comportant des habitations avec des clôtures dissemblables sur l’ensemble de la rue (…), dont certaines avec des murs pleins hauts ». Fort de cette observation factuelle, le juge conclut que « le maire de la commune a commis une erreur de fait et d’appréciation en se fondant sur des constats erronés ». Cette censure illustre parfaitement l’office du juge de l’excès de pouvoir, qui, sans se substituer à l’administration dans ses choix d’opportunité, vérifie que les faits sur lesquels elle fonde sa décision sont exacts et que l’appréciation qu’elle en tire n’est pas manifestement erronée. L’hétérogénéité du paysage existant prive ici de pertinence l’argumentation fondée sur une prétendue rupture d’harmonie.
B. Le rejet de la demande de substitution de motifs
À titre subsidiaire, la commune sollicitait que le juge procède à une substitution de motifs, en fondant le refus non plus sur l’atteinte au site, mais sur la méconnaissance du plan local d’urbanisme. Le juge examine avec la même rigueur ce nouveau fondement. Il analyse point par point les dispositions du règlement local prétendument violées, relatives aux terrassements et aux clôtures. Concernant le sous-sol, il juge que le projet ne crée pas un « bouleversement intempestif du terrain ». Quant aux clôtures, il relève que leur hauteur respecte le règlement et que, dans un environnement non caractérisé par une harmonie particulière, leur aspect ne méconnaît pas les prescriptions locales. L’arrêt conclut qu’il ne résulte pas de l’instruction que « l’administration aurait pris la même décision si elle s’était fondée initialement sur ce motif ». Le refus de procéder à la substitution est ainsi justifié. Cette démarche démontre que la substitution de motifs n’est pas un mécanisme de sauvetage automatique pour l’administration, mais un outil subordonné à la double condition que le motif de substitution soit légalement fondé et qu’il corresponde à l’intention réelle de l’auteur de l’acte à la date de sa signature.