Par un arrêt en date du 22 septembre 2025, une cour administrative d’appel a été amenée à se prononcer sur la légalité d’une autorisation de création d’un établissement cinématographique délivrée par la commission nationale d’aménagement cinématographique. Cette décision offre l’occasion de préciser l’étendue du contrôle exercé par le juge administratif sur les appréciations de la commission, ainsi que les règles procédurales applicables à l’instruction des demandes.
En l’espèce, une société avait obtenu d’une commission départementale d’aménagement cinématographique l’autorisation de créer un complexe de six salles. Une société concurrente, porteuse d’un projet de plus grande envergure dans la même zone d’influence, a exercé un recours devant la commission nationale. Cette dernière a rejeté le recours et confirmé l’autorisation. La société requérante a alors saisi la juridiction administrative afin d’obtenir l’annulation de cette décision, invoquant plusieurs illégalités, tenant tant à la procédure suivie qu’à des erreurs d’appréciation au regard des objectifs fixés par le code du cinéma et de l’image animée. La question de droit soulevée par ce litige portait sur la mesure dans laquelle le juge administratif contrôle l’appréciation de la commission nationale s’agissant de l’impact d’un projet sur la diversité cinématographique et l’aménagement du territoire, ainsi que sur la possibilité pour un pétitionnaire de modifier son dossier en cours d’instruction.
La cour administrative d’appel rejette la requête, validant ainsi la décision de la commission. Elle juge d’une part que des compléments peuvent être apportés au dossier de demande durant la phase d’instruction, et d’autre part que l’appréciation portée par la commission sur les effets du projet n’était entachée d’aucune erreur manifeste. La solution retenue confirme la marge d’appréciation dont dispose l’administration tout en en fixant les limites (I), et valide l’intégration du projet dans son environnement culturel et territorial (II).
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I. La validation d’une appréciation souple et prospective du projet
La cour valide la méthode d’instruction suivie par la commission nationale, en admettant la possibilité pour le pétitionnaire d’amender son projet (A), tout en exerçant un contrôle restreint sur l’analyse économique et concurrentielle effectuée par celle-ci (B).
A. La légalité admise des compléments de dossier en cours d’instruction
Le juge administratif écarte le moyen tiré de l’irrégularité de la procédure. La société requérante soutenait que le dossier de demande, ayant été complété par des engagements de programmation après son examen par la commission départementale, aurait dû être rejeté. La cour adopte une solution pragmatique en affirmant qu’« en l’absence de dispositions expresses du code du cinéma et de l’image animée y faisant obstacle, il est loisible à l’auteur d’une demande d’aménagement cinématographique d’apporter à son projet, pendant la phase d’instruction (…) des éléments complémentaires (…) qui n’en changent pas la nature ». Cette position favorise un dialogue constructif durant la procédure de recours administratif, permettant au porteur de projet d’ajuster son offre pour mieux répondre aux objectifs légaux ou aux préoccupations soulevées par les concurrents ou l’administration. La solution préserve ainsi l’esprit de la loi, qui vise à la réalisation matérielle d’objectifs culturels plutôt qu’à un formalisme excessif, sous la seule réserve que les modifications apportées ne dénaturent pas le projet initial.
B. Un contrôle restreint sur l’appréciation de la fréquentation potentielle
La cour examine ensuite l’argument relatif au caractère prétendument irréaliste des prévisions de fréquentation. Elle juge que l’estimation de 200 000 entrées annuelles n’est pas entachée d’erreur d’appréciation. Pour ce faire, elle relève que la commission s’est fondée sur des données pertinentes, en privilégiant une tendance de long terme observée avant la crise sanitaire plutôt que des chiffres conjoncturels. Le juge constate que la requérante « n’établit pas que la tendance de fond résultant d’une comparaison des statistiques pour les années 2010 à 2019 n’était pas la plus pertinente ». En se référant également à la forte croissance démographique de la zone et aux moyennes de fréquentation d’établissements similaires, la cour confirme la validité du raisonnement de l’administration. Cet examen illustre la nature du contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation : le juge ne substitue pas sa propre analyse économique à celle de la commission, mais vérifie que celle-ci repose sur des données objectives et un raisonnement cohérent, ce qui était le cas en l’espèce.
II. La confirmation de l’intégration du projet dans son environnement
Au-delà des aspects économiques, la cour confirme que le projet répondait de manière satisfaisante aux objectifs d’aménagement culturel du territoire (A) et qu’il s’insérait correctement dans son cadre urbanistique et environnemental (B).
A. L’apport jugé positif à la diversité de l’offre cinématographique
La juridiction estime que le projet, loin de fragiliser l’offre existante, contribue à la diversité cinématographique locale. Elle observe que si la programmation est principalement généraliste, elle comporte une part significative de films classés « Art et Essai », genre dont l’exposition était jusqu’alors faible dans la zone. La décision met en lumière que « le projet litigieux permettra ainsi de renforcer l’exposition des films » Art et Essai » au sein de la ZIC ». De plus, la cour valide les engagements pris par le pétitionnaire pour garantir l’accès des cinémas de proximité aux films les plus porteurs. Elle juge ces engagements « suffisamment précis et fermes », considérant que les dérogations prévues sont limitées et justifiées. L’arrêt démontre ainsi que l’appréciation de l’effet d’un projet se fait au travers d’un bilan global, où les apports positifs peuvent compenser d’éventuelles tensions concurrentielles, dès lors que des mesures correctrices adéquates sont mises en place.
B. La neutralisation des critiques d’ordre urbanistique et environnemental
Enfin, la cour rejette les arguments de la requérante relatifs à l’impact négatif du projet sur l’aménagement du territoire. Concernant le parc de stationnement, jugé incitatif à l’usage de la voiture, elle le dissocie juridiquement du projet cinématographique en relevant que « le parc de stationnement ne relève pas du projet contesté mais de l’opération distincte d’aménagement de la ZAC ». S’agissant de la faible proportion d’espaces verts, le juge se borne à constater la conformité du projet au plan local d’urbanisme, ce qui suffit à écarter le grief en l’absence de méconnaissance manifeste d’un objectif environnemental propre à la législation sur le cinéma. Cette approche illustre une application rigoureuse du principe de légalité, où la conformité d’un projet est examinée au regard des règles qui lui sont directement opposables, sans que lui soient imputées les caractéristiques de l’opération d’aménagement plus large dans laquelle il s’insère.