Cour d’appel administrative de Versailles, le 17 avril 2025, n°23VE01220

Par un arrêt en date du 17 avril 2025, la cour administrative d’appel de Versailles a précisé les contours de l’appréciation du défaut d’entretien normal d’un ouvrage public. Une personne se déplaçant avec une béquille à la suite d’une opération a été victime d’une chute provoquée par la fermeture des portes automatiques de l’hôtel de ville d’une commune. Cet accident lui a occasionné plusieurs fractures. La victime a alors recherché la responsabilité de la collectivité gestionnaire de l’ouvrage. Le tribunal administratif d’Orléans, par un jugement du 6 avril 2023, a reconnu l’entière responsabilité de la personne publique et l’a condamnée à réparer les préjudices de la victime ainsi qu’à rembourser les débours de l’organisme de sécurité sociale. La collectivité a interjeté appel de ce jugement, contestant d’une part le lien de causalité entre l’ouvrage et le dommage, et soutenant d’autre part avoir rapporté la preuve d’un entretien normal des portes automatiques, cause exonératoire de sa responsabilité. La question de droit qui se posait à la cour était de savoir si la preuve d’un entretien technique régulier d’un ouvrage public suffisait à exonérer la collectivité de sa responsabilité, alors même que des témoignages concordants faisaient état de dysfonctionnements répétés. La cour administrative d’appel a rejeté l’appel, confirmant la solution des premiers juges. Elle a considéré que la survenance de deux incidents similaires sur une période rapprochée suffisait à caractériser un dysfonctionnement de l’ouvrage, et que la collectivité ne rapportait donc pas la preuve de son entretien normal, eu égard notamment à l’exigence d’accessibilité d’un tel lieu.

Il convient d’étudier la méthode par laquelle le juge administratif établit la défaillance de l’ouvrage public (I), avant d’analyser l’approfondissement du contrôle qu’il opère sur l’obligation d’entretien normal (II).

I. L’imputation du dommage à un ouvrage public défaillant

La cour administrative d’appel confirme la condamnation de la personne publique en retenant une appréciation pragmatique du lien de causalité (A) et en écartant les éléments de preuve qui tendaient à démontrer un entretien technique suffisant de l’ouvrage (B).

**A. Une preuve du lien de causalité souplement appréciée**

En matière de responsabilité pour dommage de travaux publics, il incombe à la victime d’établir la réalité de son préjudice et l’existence d’un lien de causalité direct entre l’ouvrage et ce dommage. En l’espèce, la cour se satisfait d’une unique attestation pour considérer ce lien comme établi. Le témoignage de la personne qui accompagnait la victime le jour de l’accident suffit, aux yeux du juge, à prouver que la chute a bien été « causée par la fermeture automatique des portes de la mairie ». Cette approche pragmatique se manifeste également par la manière dont la cour écarte les preuves contraires. Les témoignages des agents d’accueil, produits pour la première fois en appel, sont jugés insuffisants à contredire cette première attestation, au motif qu’ils ne sont pas datés. La cour fait ainsi prévaloir un témoignage direct et circonstancié sur des déclarations plus tardives et moins précises, ce qui facilite l’établissement du fait générateur de la responsabilité.

**B. L’insuffisance d’un entretien technique formel**

Face à l’engagement de sa responsabilité, la collectivité en charge de l’ouvrage peut s’exonérer en rapportant la preuve de son entretien normal. La personne publique produisait en ce sens les rapports de l’entreprise de maintenance, attestant de vérifications effectuées quelques mois avant et après l’accident, lesquelles n’avaient révélé aucune anomalie. Toutefois, la cour ne s’est pas satisfaite de ces éléments formels. Elle a mis en balance ces documents avec le témoignage d’une autre usagère indiquant avoir subi un incident similaire à la même période. La simple existence de ces deux événements rapprochés suffit au juge pour écarter la preuve de l’entretien normal. Cette confrontation des preuves révèle que la seule certification d’un prestataire technique ne suffit pas à établir l’absence de défaut de l’ouvrage, si des éléments factuels concrets démontrent un fonctionnement anormal.

II. L’approfondissement du contrôle de l’obligation d’entretien normal

La cour ne se limite pas à constater la défaillance de l’ouvrage, elle en précise les critères d’appréciation en déduisant le dysfonctionnement de la récurrence des incidents (A) et en le rapportant à la finalité même du service public (B).

**A. La caractérisation du dysfonctionnement par la récurrence factuelle**

Le raisonnement du juge est particulièrement notable en ce qu’il infère l’existence d’un vice de l’ouvrage à partir d’un faisceau d’indices. La cour estime que « ces deux incidents, survenus sur une période rapprochée, traduisent nécessairement un dysfonctionnement des capteurs de présence ou, à tout le moins, un mauvais réglage du temps de latence ». Par cette formule, elle postule que le fonctionnement normal d’un tel équipement exclut par principe qu’il puisse se refermer sur un usager. Le juge se livre ainsi à une analyse concrète du fonctionnement de l’ouvrage, qui dépasse la simple vérification formelle de sa maintenance. Un fonctionnement objectivement dangereux, même s’il n’est pas détecté par les opérations techniques de contrôle, constitue un défaut d’entretien normal. La répétition d’un même type de problème devient la preuve même de l’entretien défectueux.

**B. Une exigence d’entretien adaptée à la destination de l’ouvrage**

La cour achève son raisonnement en introduisant un critère téléologique dans son appréciation de l’entretien normal. Elle souligne en effet que sa conclusion s’impose « eu égard au surplus à la destination des locaux de la mairie dont les voies d’accès doivent être adaptées à tous les publics ». Ce faisant, elle rehausse le niveau d’exigence qui pèse sur l’administration. L’entretien d’un ouvrage public ne doit pas seulement garantir l’absence de vice technique, il doit également assurer une utilisation sûre et adaptée à l’ensemble des usagers potentiels, y compris les plus vulnérables. La destination d’un ouvrage qui, par nature, est destiné à accueillir tout type de public, comme un hôtel de ville, impose une obligation de sécurité renforcée. Le fonctionnement des équipements doit intégrer cette contrainte d’accessibilité universelle pour que l’entretien puisse être qualifié de normal.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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