Par un arrêt en date du 8 juillet 2025, la cour administrative d’appel se prononce sur l’étendue de la responsabilité d’une commune du fait des dommages causés à une propriété privée par des arbres implantés sur le domaine public. En l’espèce, une propriétaire a constaté l’apparition de fissures sur son mur de clôture et a, après une expertise amiable contradictoire, recherché la responsabilité de la collectivité. L’expertise avait conclu que les désordres provenaient conjointement de la poussée exercée par les racines des arbres et de défauts de conception du mur lui-même. Saisi du litige, le tribunal administratif de Toulouse a retenu une responsabilité partielle de la commune, l’a condamnée au versement d’une indemnité limitée et lui a enjoint de procéder à l’élagage des arbres. La propriétaire a interjeté appel de ce jugement, en sollicitant l’indemnisation intégrale de son préjudice et l’abattage des arbres. Par la voie d’un appel incident, la commune a demandé à être totalement exonérée de sa responsabilité. Il appartenait ainsi au juge d’appel de déterminer dans quelle mesure la responsabilité du maître d’un ouvrage public peut être engagée lorsque la chose de la victime présente des défectuosités ayant contribué au dommage, et de se prononcer sur les mesures matérielles pouvant être ordonnées pour faire cesser le trouble. La cour administrative d’appel confirme le partage de responsabilité et le montant de l’indemnisation fixés par les premiers juges, mais réforme leur décision en annulant l’injonction d’élagage. Elle rejette également la demande d’abattage des arbres.
L’arrêt permet ainsi de préciser les conditions de l’engagement de la responsabilité du fait d’un ouvrage public en présence d’une co-causalité du dommage (I), tout en opérant un contrôle rigoureux des mesures en nature susceptibles d’être ordonnées par le juge (II).
I. La détermination d’une responsabilité partagée en matière de dommage de travaux publics
La cour administrative d’appel rappelle d’abord le fondement de l’action en responsabilité avant d’apprécier concrètement le lien de causalité pour justifier un partage des torts.
A. La confirmation d’un régime de responsabilité sans faute conditionné
L’arrêt énonce avec clarté le principe selon lequel « le maître de l’ouvrage est responsable, même en l’absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement ». La cour qualifie les arbres plantés sur le trottoir d’accessoire de la voie publique communale et la propriétaire riveraine de tiers par rapport à cet ouvrage. Elle applique donc le régime de la responsabilité sans faute pour dommage permanent causé par un ouvrage public.
Cependant, elle précise aussitôt que le dommage étant « inhérent à l’existence même de ces arbres », il appartient à la victime de démontrer le caractère grave et spécial du préjudice subi. Cette solution classique distingue le dommage accidentel, qui n’exige pas une telle preuve, du dommage permanent qui, étant une conséquence prévisible de la présence de l’ouvrage, ne peut être indemnisé que s’il excède les inconvénients normaux du voisinage. En l’espèce, la fissuration d’un mur de clôture a été implicitement considérée comme un préjudice remplissant ces conditions, permettant ainsi la mise en jeu de la responsabilité de la personne publique.
B. L’appréciation souveraine du lien de causalité et de la faute de la victime
Le point central de la décision réside dans l’analyse de la causalité. Pour limiter le droit à indemnisation de la requérante, la cour se fonde sur le rapport d’expertise amiable qui avait relevé que les désordres provenaient non seulement de la poussée racinaire, mais également « de défauts constructifs de cet ouvrage dépourvu de joints de fractionnement, voire de raidisseurs, ainsi que d’une insuffisance de portance du sol d’assise des fondations ». La défectuosité du mur de la victime constitue ainsi un fait contribuant à la réalisation du dommage.
En conséquence, la cour considère que la poussée des racines n’est pas la cause exclusive des désordres. Elle valide l’appréciation des premiers juges qui avaient fixé la part de responsabilité de la commune à hauteur de 25 %, écartant les prétentions de la victime qui n’apportait « aucun élément technique de nature à les remettre en cause ». Cette approche pragmatique illustre que la faute de la victime, ou plus exactement le fait de la chose de la victime, peut conduire à une exonération partielle du maître de l’ouvrage, le juge administratif appréciant souverainement la part de responsabilité incombant à chacun.
II. Le contrôle rigoureux des mesures correctrices par le juge administratif
Au-delà de la question indemnitaire, la cour administrative d’appel exerce un contrôle strict sur les autres moyens de défense soulevés et sur les injonctions sollicitées, en procédant à une mise en balance des intérêts en jeu.
A. Le rejet pragmatique de l’exception de risque accepté
La commune tentait de s’exonérer de toute responsabilité en invoquant la théorie du risque accepté, arguant que la propriétaire avait acquis son bien en connaissance de cause, les arbres étant déjà plantés. La cour rejette ce moyen en développant un raisonnement en deux temps. Elle admet d’abord que les arbres étaient vraisemblablement présents avant l’acquisition du terrain par la requérante.
Toutefois, et c’est le point décisif, elle juge qu’« il ne résulte pas de l’instruction que [l’appelante] ait eu connaissance, à la date d’acquisition de son terrain, des inconvénients pouvant résulter de la proximité de ces tilleuls et notamment du risque présenté par leur développement racinaire ». En exigeant la preuve d’une connaissance effective du risque spécifique par la victime, et non la simple conscience de la présence de l’ouvrage, le juge adopte une interprétation protectrice des droits des tiers. La manifestation tardive du dommage, plus de trente ans après l’acquisition, vient conforter cette analyse et justifie l’écartement de l’exception.
B. La mise en balance des intérêts en présence pour les mesures en nature
Saisie de conclusions à fin d’injonction, la cour effectue un bilan minutieux des intérêts avant de se prononcer. Concernant la demande d’abattage des arbres, elle la rejette au motif qu’une telle mesure serait contraire à l’intérêt général. Elle prend en considération « l’agrément et de l’effet de rafraîchissement que procure l’ombrage de ces arbres en milieu urbain » et juge cette mesure disproportionnée par rapport au préjudice subi, lequel peut être corrigé par des travaux de confortation sur le mur.
Plus remarquable encore est l’annulation de l’injonction d’élagage prononcée en première instance. La cour relève que « les branchages des tilleuls ne seraient pas à l’origine des désordres subis par le mur de clôture », ces derniers résultant exclusivement de la poussée racinaire. Par conséquent, l’élagage est une mesure sans lien avec la cause du dommage constaté. En annulant cette injonction, la cour fait preuve d’une grande rigueur juridique, en s’assurant que les mesures ordonnées à l’administration sont non seulement proportionnées, mais également pertinentes au regard de la source du préjudice établi.