Cour d’appel administrative de Toulouse, le 31 décembre 2024, n°23TL02759

Par un arrêt en date du 31 décembre 2024, la Cour administrative d’appel de Marseille a précisé les conditions d’appréciation de la légalité d’un titre de recettes émis pour le recouvrement d’une redevance d’occupation domaniale. En l’espèce, une société exploitant une activité commerciale sur le domaine public portuaire s’est vu réclamer par l’autorité gestionnaire de ce domaine le paiement de la part fixe de sa redevance pour le premier trimestre de l’année 2021. La société a contesté ce paiement, arguant de difficultés financières aggravées par la crise sanitaire et du caractère excessif du montant réclamé.

Saisi d’un recours contre le titre exécutoire, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté la demande de la société par un jugement du 28 septembre 2023. La société a interjeté appel de ce jugement, soutenant d’une part que le titre était irrégulier en la forme, et d’autre part qu’il était mal-fondé au regard des dispositions de l’ordonnance du 25 mars 2020 relative à la crise sanitaire, ainsi qu’en raison d’une erreur manifeste d’appréciation quant au montant de la redevance. La question de droit qui se posait à la cour était double. Il s’agissait de déterminer si un occupant du domaine public pouvait, d’une part, utilement invoquer les mesures d’urgence édictées pour faire face à l’épidémie de covid-19 pour une créance née en dehors de la période d’application de ces textes et, d’autre part, obtenir l’annulation du montant d’une redevance domaniale en se fondant sur une expertise privée sans pour autant établir le caractère manifestement disproportionné de celle-ci au regard des avantages procurés par l’occupation.

À cette double interrogation, la cour administrative d’appel a répondu par la négative. Elle a jugé que les dispositions de l’ordonnance du 25 mars 2020 n’étaient pas applicables à une redevance due pour le premier trimestre 2021, la période de suspension de paiement prévue par ce texte étant limitée à la période du 12 mars au 23 juillet 2020. De surcroît, la cour a estimé que la société ne démontrait pas que le montant de la redevance était entaché d’une erreur manifeste d’appréciation, les éléments de comparaison fournis étant jugés insuffisants pour remettre en cause l’évaluation faite par la personne publique. La décision de la cour, par son rejet des moyens soulevés par la société requérante, illustre une application rigoureuse et classique des règles relatives au recouvrement des créances publiques (I), tout en confirmant les principes établis pour l’appréciation du montant des redevances domaniales (II).

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I. Une application rigoureuse des règles de recouvrement des créances publiques

La solution rendue par la cour administrative d’appel repose sur une stricte interprétation des textes, tant en ce qui concerne le champ d’application des mesures d’urgence sanitaire (A) qu’en ce qui regarde les exigences de forme des titres exécutoires (B).

A. Le rejet d’une application extensive des mesures d’urgence sanitaire

La société requérante cherchait à bénéficier des mesures de soutien aux entreprises mises en place durant la crise sanitaire, en particulier de l’article 6 de l’ordonnance du 25 mars 2020. Ce texte prévoyait une suspension du paiement des redevances domaniales pour les occupants dont les conditions d’exploitation étaient dégradées. La cour écarte cependant ce moyen avec une logique imparable, en le déclarant inopérant. Elle souligne que « la créance en litige n’entre pas dans le champ d’application de l’ordonnance du 25 mars 2020 » car la redevance contestée concernait le premier trimestre 2021, soit une période bien postérieure à la fenêtre d’application de l’ordonnance, qui s’est achevée le 23 juillet 2020.

Au-delà de cette stricte application temporelle de la loi, la cour ajoute un argument subsidiaire qui anéantit définitivement la prétention de la société. Elle relève en effet que « les difficultés financières dont se prévaut la société appelante […] préexistaient à la crise sanitaire liée à l’épidémie de covid-19 ». Ce faisant, le juge rappelle que le bénéfice des mesures d’urgence était conditionné à un lien de causalité direct entre la crise et les difficultés économiques, lien qui faisait ici défaut. Le raisonnement de la cour est donc doublement fondé, refusant toute extension des mesures dérogatoires au-delà des limites expressément fixées par le législateur, ce qui témoigne d’une volonté de ne pas créer d’incertitude juridique quant à l’exigibilité des créances publiques.

B. La validation formelle du titre exécutoire contesté

La société appelante soulevait également des moyens de pure forme, tenant à l’absence de signature et au défaut de mention des bases de liquidation du titre de recettes. La cour les écarte de manière tout aussi méthodique, en se référant précisément aux dispositions du code général des collectivités territoriales et du code des relations entre le public et l’administration. Concernant la signature, le juge constate que « le bordereau de titre de recettes en litige a été signé par le directeur du pôle pilotage financier […] de façon électronique par un procédé certifié », ce qui est conforme aux exigences légales en matière de dématérialisation.

Quant au second moyen formel, la cour relève que le titre de recettes « comporte, d’une part, le montant mensuel de la redevance […] et précise, d’autre part, les modalités de calcul et le montant de la révision de cette part fixe ». Elle en conclut que la société « ayant eu une connaissance précise de l’objet de la redevance d’occupation qui lui est réclamée ainsi que de ses éléments de calcul », le moyen tiré de l’insuffisance de motivation manque en fait. Cette approche pragmatique montre que le juge administratif, s’il est attentif au respect du formalisme qui protège le débiteur, n’annule pas un titre dès lors que l’information due au redevable a bien été portée à sa connaissance, peu important les modalités exactes de cette information.

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II. La confirmation des principes d’appréciation de la redevance domaniale

Au-delà des aspects procéduraux, l’arrêt apporte un éclairage sur la manière dont le juge apprécie le caractère proportionné d’une redevance domaniale (A) et sur la charge de la preuve qui pèse sur le requérant qui en conteste le montant (B).

A. Le contrôle restreint de l’erreur manifeste d’appréciation

Le cœur du litige au fond portait sur le montant de la redevance, que la société jugeait excessif. En la matière, le juge administratif n’exerce qu’un contrôle restreint et ne censure que « l’erreur manifeste d’appréciation ». La cour rappelle ce principe en examinant si le montant de la part fixe de la redevance était « manifestement disproportionné compte tenu des avantages de toute nature » que l’occupant est susceptible de retirer de l’occupation. Cette formule, issue de l’article L. 2125-3 du code général de la propriété des personnes publiques, constitue la pierre angulaire de l’équilibre financier des contrats d’occupation domaniale.

Pour effectuer ce contrôle, la cour se livre à une analyse concrète et détaillée des caractéristiques de l’immeuble. Elle retient que le bâtiment est « neuf, situé directement sur le port et disposant d’une terrasse et de places de stationnement », autant d’avantages qui justifient une redevance substantielle. En refusant de suivre les conclusions du rapport d’expertise privé fourni par la société, qui suggérait une valeur locative très inférieure, la cour réaffirme que la détermination de la redevance relève du pouvoir d’appréciation de l’administration, et que le juge ne saurait substituer sa propre évaluation à celle de la personne publique, sauf en cas de disproportion flagrante.

B. La charge de la preuve pesant sur l’occupant

Cet arrêt illustre parfaitement le principe selon lequel la charge de la preuve d’une erreur manifeste d’appréciation incombe à celui qui l’invoque. La cour procède à une critique en règle du rapport d’expertise produit par la société. Elle lui reproche de ne comporter « aucune précision sur la méthodologie retenue pour pondérer la surface totale » et de retenir des « termes de comparaison […] insuffisants à démontrer le caractère excessif de la valeur locative ». Le juge souligne notamment que les autres locaux commerciaux pris en exemple n’étaient pas pertinents, soit parce que leur activité était différente, soit parce qu’ils étaient situés dans une zone à l’attractivité commerciale plus élevée.

En disséquant de la sorte les faiblesses de l’argumentaire de la société, la cour envoie un message clair : contester le montant d’une redevance domaniale ne saurait se limiter à la production d’un rapport d’expertise unilatéral. Il est impératif que les éléments présentés au juge soient d’une rigueur et d’une pertinence indiscutables pour espérer emporter sa conviction. La simple affirmation d’une dégradation de la situation économique de l’occupant est, à cet égard, jugée inopérante pour prouver le caractère excessif de la part fixe d’une redevance. La portée de cette décision est donc avant tout pédagogique, rappelant aux justiciables le haut niveau d’exigence probatoire requis dans ce type de contentieux.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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