Cour d’appel administrative de Toulouse, le 10 juillet 2025, n°23TL01403

Par un arrêt rendu le 10 juillet 2025, une cour administrative d’appel a été amenée à se prononcer sur la légalité d’un permis d’aménager autorisant l’implantation d’un chapiteau destiné, en réalité, à une activité événementielle. En l’espèce, le maire d’une commune avait délivré un permis d’aménager pour un projet comprenant la création de cinq lodges, une piscine et un chapiteau sur un terrain classé en zone naturelle au sein du plan local d’urbanisme. Des voisins, exploitants d’un camping limitrophe et propriétaires d’une habitation proche, ont saisi le tribunal administratif de Nîmes d’un recours en annulation. Par un jugement du 12 mai 2023, la juridiction de première instance a partiellement annulé l’arrêté, uniquement en ce qu’il autorisait la construction du chapiteau, au motif que le permis avait été obtenu par fraude, que le projet méconnaissait les règles d’urbanisme de la zone naturelle et que le nombre de places de stationnement était insuffisant. La commune et le pétitionnaire ont alors interjeté appel de ce jugement, sollicitant son annulation et le rejet de la demande de première instance ou, à défaut, un sursis à statuer afin de régulariser le permis. La question de droit qui se posait à la cour était de savoir si la dissimulation de la destination véritable d’une construction, présentée comme l’accessoire d’un projet d’hébergement touristique alors qu’elle visait une activité événementielle autonome, caractérisait une fraude justifiant l’annulation du permis d’aménager sans possibilité de régularisation. La cour administrative d’appel a rejeté les requêtes, confirmant l’annulation partielle. Elle a jugé que le pétitionnaire avait intentionnellement trompé l’administration sur l’usage réel du chapiteau, ce qui caractérisait une fraude. Elle a en outre estimé que l’ouvrage ne constituait pas un équipement accessoire et nécessaire au projet d’hébergement, mais une activité de services interdite par le plan local d’urbanisme, et que le projet était entaché d’une erreur manifeste d’appréciation quant aux besoins en stationnement, des vices insusceptibles d’être régularisés.

I. La caractérisation d’une fraude déterminante de l’illégalité du projet

La cour administrative d’appel confirme l’analyse des premiers juges en retenant l’existence d’une fraude qui vicie le permis d’aménager (A) et qui, par conséquent, fait obstacle à ce que la construction litigieuse puisse être regardée comme un accessoire du projet principal (B).

A. La rétention d’information comme élément constitutif de l’intention frauduleuse

Le juge administratif exerce un contrôle approfondi sur les manœuvres du pétitionnaire destinées à contourner les règles d’urbanisme. En l’espèce, la cour relève que la demande de permis d’aménager était particulièrement laconique sur la finalité du chapiteau, le décrivant comme une simple composante d’un projet global de loisirs. Or, pour apprécier l’existence d’une intention de tromper l’administration, le juge ne se limite pas aux pièces du dossier de demande. Il prend en compte des éléments postérieurs ou externes, tels que des documents commerciaux, pour révéler la véritable nature du projet à la date de la décision administrative. La cour constate ainsi que « la société pétitionnaire ne peut qu’être regardée comme ayant eu l’intention de tromper l’administration sur la réalité de son projet dans le but d’échapper aux contraintes législatives ou règlementaires susceptibles de s’y appliquer ». Cette approche pragmatique permet de déjouer les stratégies consistant à présenter un projet sous un jour favorable en omettant sciemment de mentionner sa destination réelle, en l’occurrence l’organisation d’événements pour un public extérieur au site d’hébergement. Le silence gardé sur l’accueil potentiel de deux cents personnes et sur la nature commerciale de l’activité événementielle n’était pas anodin ; il visait à éluder l’application de normes plus contraignantes en matière de sécurité, d’accessibilité ou de stationnement. La qualification de fraude est donc logiquement retenue.

B. Le rejet de la qualification d’installation liée et nécessaire

La reconnaissance de la fraude a une incidence directe sur l’appréciation du respect des règles de fond du plan local d’urbanisme. Les appelants soutenaient que le chapiteau constituait une construction « liée et nécessaire » à l’aménagement du parc résidentiel de loisirs, autorisée à ce titre par l’article N 2 du règlement. Toutefois, la cour écarte cette argumentation en se fondant sur la destination réelle de l’équipement, révélée par les manœuvres frauduleuses. Un chapiteau de 225 mètres carrés destiné à accueillir des mariages et des séminaires d’entreprises ne saurait être considéré comme un simple accessoire de cinq lodges. La disproportion évidente entre l’équipement et le projet d’hébergement auquel il était prétendument lié, ainsi que son autonomie fonctionnelle et commerciale, interdisaient de le qualifier comme tel. Le juge administratif souligne que cet équipement ne revêtait « un caractère simplement accessoire par rapport aux « lodges » prévus par la société pétitionnaire sur le même terrain ». De plus, il ne présentait aucun caractère de nécessité au sens des dispositions du code du tourisme pour le classement en parc résidentiel de loisirs. Par conséquent, le chapiteau relevait en réalité de la catégorie des « commerces et activités de service », formellement interdite par l’article N 1 du règlement du plan local d’urbanisme en secteur Nt. La fraude commise par le pétitionnaire a donc eu pour effet de masquer une violation directe des règles de zonage.

II. Les conséquences inéluctables de l’illégalité frauduleuse

Une fois la fraude et la violation des règles d’urbanisme établies, la cour en tire les conséquences logiques tant sur le plan de l’appréciation des besoins concrets du projet (A) que sur l’impossibilité de toute mesure de régularisation (B).

A. L’erreur manifeste dans l’appréciation des besoins en stationnement

Le défaut de sincérité de la demande de permis d’aménager a également conduit l’autorité administrative à commettre une erreur manifeste d’appréciation au regard de l’article R. 111-25 du code de l’urbanisme. Cet article permet à l’administration d’imposer la réalisation des aires de stationnement nécessaires aux caractéristiques du projet. En l’espèce, le dossier de demande mentionnait quinze places existantes et ne prévoyait aucune création, ce qui était cohérent avec un projet limité à cinq lodges. Cependant, au regard de la capacité d’accueil réelle du chapiteau, ce nombre était manifestement insuffisant. La cour souligne que « le nombre de places ainsi précisé dans la demande de permis n’est manifestement pas suffisant pour assurer le stationnement des véhicules correspondant aux caractéristiques du projet ». Le juge prend en compte la réalité de l’exploitation envisagée, en incluant non seulement les résidents des hébergements mais également les centaines de participants potentiels aux événements. Même en tenant compte d’un potentiel de places supplémentaires non déclaré dans la demande, le total restait notoirement inadéquat, comme en témoignait le recours à des terrains voisins pour le stationnement lors d’événements passés. En autorisant le projet sans prescrire la création d’aires de stationnement suffisantes, le maire a donc méconnu les exigences du code de l’urbanisme, une illégalité directement liée à la dissimulation opérée par le pétitionnaire.

B. Le caractère non régularisable des vices entachant le permis

Face à l’annulation d’une autorisation d’urbanisme, les dispositions de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme offrent au juge la possibilité de surseoir à statuer pour permettre la régularisation des vices constatés. Cette faculté est cependant écartée lorsque les illégalités ne sont pas susceptibles d’être purgées par un permis modificatif. En l’espèce, la cour administrative d’appel considère que tel est le cas. Elle juge que les vices tenant, d’une part, à la fraude et, d’autre part, à la méconnaissance des articles N 1 et N 2 du règlement du plan local d’urbanisme, « ne sont pas régularisables par un permis d’aménager modificatif ». La solution est rigoureuse mais logique. La fraude, qui affecte l’intégrité même du consentement de l’administration, ne peut être corrigée a posteriori. De même, la construction d’un équipement dont l’activité est prohibée par les règles de zonage ne constitue pas une simple irrégularité formelle mais une violation de fond qui ne peut être surmontée que par une modification du plan local d’urbanisme lui-même. En refusant de faire application du sursis à statuer, la cour envoie un signal fort : la déloyauté dans la présentation d’une demande de permis d’urbanisme fait obstacle à toute clémence du juge et conduit inexorablement à l’annulation de l’autorisation obtenue dans de telles conditions.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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