Cour d’appel administrative de Paris, le 7 mars 2025, n°24PA03437

Par un arrêt en date du 7 mars 2025, la cour administrative d’appel de Paris s’est prononcée sur les garanties procédurales offertes au contribuable dans le cadre d’une procédure de rectification fiscale.

En l’espèce, des contribuables avaient bénéficié d’une réduction d’impôt sur le revenu au titre de l’année 2015, à la suite d’un investissement dans le secteur du logement social en outre-mer. L’administration fiscale a ultérieurement remis en cause cet avantage, au motif que le projet de construction immobilière avait été abandonné et que l’engagement d’achèvement des fondations dans un délai de deux ans n’avait pas été respecté. Les contribuables ont alors fait l’objet d’un rehaussement d’imposition au titre de l’année 2017. Ils ont saisi le tribunal administratif de Paris afin d’obtenir la décharge de ces impositions supplémentaires. Par un jugement du 6 juin 2024, leur demande fut rejetée. Les contribuables ont interjeté appel de cette décision, soulevant plusieurs moyens tenant à l’irrégularité de la procédure d’imposition. Ils arguaient notamment d’une motivation insuffisante de la proposition de rectification et d’un manquement de l’administration à son obligation de communication de documents obtenus auprès de tiers.

Il était ainsi demandé à la cour administrative d’appel si le manquement de l’administration à son obligation de communiquer des documents obtenus auprès de tiers est de nature à vicier la procédure d’imposition, alors même que ces documents ne constituent pas le fondement direct du rehaussement.

La cour administrative d’appel de Paris rejette la requête. Elle juge que la proposition de rectification était suffisamment motivée dès lors qu’elle permettait aux contribuables de comprendre les motifs de droit et de fait du redressement. Surtout, elle considère que l’obligation de communication de pièces, prévue par l’article L. 76 B du livre des procédures fiscales, ne porte que sur les documents sur lesquels l’administration s’est effectivement fondée pour établir l’imposition. En l’occurrence, la reprise de la réduction d’impôt n’étant pas fondée sur les statuts des sociétés civiles immobilières en cause, l’absence de communication de ces derniers par l’administration n’a pas entaché la régularité de la procédure.

I. Une application rigoureuse des garanties procédurales en matière fiscale

La décision de la cour administrative d’appel de Paris rappelle avec fermeté le cadre dans lequel s’exercent les garanties offertes au contribuable. Elle confirme que la validité de la procédure d’imposition repose sur une appréciation pragmatique du respect des obligations de l’administration, tant en ce qui concerne la motivation de ses actes (A) que la communication des pièces fondant sa décision (B).

A. L’appréciation concrète du caractère suffisant de la motivation

Le moyen tiré du défaut de motivation de la proposition de rectification est écarté par la Cour sans surprise. En application de l’article L. 57 du livre des procédures fiscales, l’administration doit motiver ses propositions de rectification de manière à permettre au contribuable de formuler utilement ses observations. La jurisprudence constante considère que cette condition est remplie dès lors que l’acte mentionne la nature des redressements, leur fondement légal et les éléments de fait qui les justifient.

En l’espèce, les juges d’appel relèvent que la proposition de rectification du 14 février 2020 satisfaisait pleinement à ces exigences. Elle « mentionne les conditions requises pour bénéficier du régime de réduction d’impôt », précise le non-respect de l’engagement d’achèvement des fondations de l’immeuble, et indique la conséquence légale de cette défaillance, à savoir la perte de l’avantage fiscal. La Cour souligne également que l’administration avait pris soin de contextualiser l’opération et de rappeler aux contribuables qu’ils avaient eux-mêmes été informés de l’abandon du projet. Ainsi, les redevables disposaient de tous les éléments nécessaires pour comprendre la portée et le bien-fondé de la décision administrative, et organiser leur défense en conséquence. Cette approche confirme une vision fonctionnelle de la motivation, qui doit avant tout garantir l’effectivité du dialogue entre l’administration et le contribuable.

B. La portée circonscrite de l’obligation de communication de documents

L’apport principal de l’arrêt réside dans l’interprétation stricte qu’il fait des dispositions de l’article L. 76 B du livre des procédures fiscales. Ce texte impose à l’administration d’informer le contribuable de la teneur et de l’origine des renseignements obtenus de tiers et de lui communiquer, sur demande, une copie des documents utilisés pour fonder l’imposition. Les requérants soutenaient que le refus de leur communiquer les statuts de certaines sociétés civiles immobilières constituait une violation de cette garantie substantielle.

La Cour écarte ce moyen en opérant une distinction fondamentale entre les documents détenus par l’administration et ceux qui fondent effectivement le redressement. Elle rappelle que l’obligation de communication « ne s’impose à l’administration que pour les renseignements effectivement utilisés pour fonder les rectifications ». Or, en l’espèce, le rehaussement n’était pas motivé par le contenu des statuts des sociétés, mais par le simple constat matériel du non-respect d’un délai de construction. La Cour en déduit logiquement que « la reprise n’est pas fondée sur l’existence ou le contenu des statuts des SCI Coquelicot et Camelia ». Dès lors, l’absence de communication de ces pièces, qui n’ont joué aucun rôle dans le raisonnement de l’administration, ne pouvait avoir d’incidence sur la régularité de la procédure. Cette solution préserve le caractère contradictoire de la procédure sans la paralyser par des exigences formelles dépourvues de lien avec l’objet même du litige.

II. La consolidation d’une approche pragmatique des droits de la défense

Au-delà de la stricte application des textes, la décision commentée s’inscrit dans un courant jurisprudentiel qui tend à privilégier la substance sur le formalisme. Cette approche renforce la sécurité juridique de l’action administrative (A) tout en responsabilisant le contribuable dans l’exercice de ses propres droits (B).

A. La prévalence du fondement factuel du redressement

En refusant de sanctionner un vice de procédure sans incidence sur la décision finale, la Cour adopte une posture réaliste. Elle considère que les garanties procédurales visent à protéger les droits du contribuable et non à lui offrir des moyens dilatoires fondés sur des arguments purement formels. Sanctionner l’administration pour ne pas avoir transmis un document qu’elle n’a pas utilisé reviendrait à créer une formalité excessive, sans bénéfice réel pour la défense du contribuable.

La solution est d’autant plus justifiée que le motif du redressement était d’une simplicité factuelle : l’abandon d’un projet immobilier et le non-respect d’un délai légal. Le contenu des statuts des sociétés intermédiaires était indifférent à l’établissement de ce constat. La Cour rappelle ainsi que l’irrégularité procédurale n’entraîne l’annulation d’un acte que si elle a été susceptible d’exercer une influence sur le sens de la décision prise ou si elle a privé l’intéressé d’une garantie. En l’espèce, la communication des statuts n’aurait en rien modifié la situation des contribuables face à leur engagement non respecté. Cette logique garantit l’efficacité du contrôle fiscal en le concentrant sur le cœur du débat : le bien-fondé de l’imposition.

B. La confirmation de la charge pesant sur le contribuable

Subsidiairement, la Cour glisse une observation qui n’est pas sans importance. Elle note que les statuts en question étaient « au demeurant accessibles au public ». Bien que cet argument soit présenté à titre surabondant, il éclaire la philosophie de la décision. Il suggère que le contribuable ne saurait rester passif et se prévaloir d’une prétendue ignorance de documents qu’il aurait pu obtenir par ses propres moyens.

Cette remarque renforce l’idée selon laquelle la protection des droits de la défense est une responsabilité partagée. Si l’administration est tenue à une obligation de loyauté et de transparence, le contribuable doit également faire preuve de diligence. En se focalisant sur un défaut de communication d’une pièce non essentielle, alors que le motif réel du redressement leur avait été notifié, les requérants ont orienté leur défense sur un terrain procédural fragile. La décision rappelle implicitement que le débat contradictoire doit porter sur les éléments pertinents qui fondent l’imposition. La portée de cet arrêt est donc de consolider une jurisprudence qui, tout en étant protectrice des garanties fondamentales, exige du contribuable qu’il concentre son argumentation sur les points déterminants du litige.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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