Par un arrêt en date du 3 juillet 2025, la Cour administrative d’appel de Paris a eu à se prononcer sur les conditions d’établissement d’une contravention de grande voirie. En l’espèce, un agent d’une autorité gestionnaire du domaine public fluvial avait dressé un procès-verbal de contravention de grande voirie à l’encontre d’une propriétaire riveraine d’un cours d’eau domanial. Il était reproché à cette dernière d’entraver la servitude de marchepied par une porte fermée érigée au droit de sa propriété. Saisi par l’autorité domaniale, le tribunal administratif de Melun, par un jugement du 28 mai 2024, avait condamné la propriétaire au paiement d’une amende et lui avait enjoint de rétablir la servitude. La propriétaire a interjeté appel de ce jugement, contestant la matérialité des faits à la date du procès-verbal et l’imputabilité de l’infraction. Elle soutenait notamment que l’ouvrage litigieux n’existait pas à la date des constatations et que la clôture existante relevait de la responsabilité de la commune. L’autorité gestionnaire, quant à elle, soutenait que l’entrave était bien réelle, constituée par la clôture elle-même, et que la propriétaire en était devenue gardienne. Il revenait ainsi à la Cour administrative d’appel de déterminer si une personne peut être condamnée pour une contravention de grande voirie lorsque, d’une part, les faits décrits dans le procès-verbal ne sont pas matériellement établis à la date de sa rédaction et, d’autre part, l’entrave existante n’est pas de son fait. La Cour annule le jugement de première instance et relaxe la propriétaire, considérant que l’exactitude matérielle des faits mentionnés au procès-verbal n’est pas établie à la date de la constatation et que, en tout état de cause, l’obstacle à la servitude de passage n’était pas imputable à l’intéressée, en application du principe selon lequel nul n’est responsable que de son propre fait.
La décision commentée rappelle avec fermeté la nécessité d’une constatation rigoureuse des faits pour engager des poursuites en matière de contravention de grande voirie (I), avant de réaffirmer le rôle cardinal du principe de personnalité de la responsabilité dans l’imputation de l’infraction (II).
I. L’exigence d’une constatation rigoureuse des faits constitutifs de la contravention
La Cour administrative d’appel exerce un contrôle méticuleux sur la matérialité des faits reprochés, en se fondant exclusivement sur la situation existante à la date du procès-verbal. Elle censure ainsi la démarche des premiers juges en invalidant les faits retenus dans l’acte de poursuite (A), tout en écartant la tentative de l’administration de substituer un nouveau fondement à son accusation en cours d’instance (B).
A. L’invalidation des faits décrits dans le procès-verbal de contravention
Le procès-verbal constitue le fondement des poursuites pour contravention de grande voirie et doit relater des faits précis et avérés. En l’espèce, les juges d’appel relèvent une discordance manifeste entre les énonciations de l’acte et la réalité matérielle au moment de sa rédaction. Ils soulignent en effet qu’« aucune des photographies contenues dans le rapport du 4 août 2021 dressé par Voies navigables de France et sur le fondement duquel a été établi ce procès-verbal ne révèle l’existence d’une quelconque porte fermée à cette date ». Cette approche factuelle et rigoureuse démontre que la force probante d’un procès-verbal, qui ne fait foi que jusqu’à preuve du contraire, peut être efficacement combattue par des éléments matériels objectifs. En se fondant sur des échanges de courriers, la Cour établit que l’installation du portail litigieux est postérieure de plusieurs mois à la constatation de l’infraction. La solution est logique : la répression ne peut porter que sur des faits existants et constatés comme tels. En conséquence, dès lors que le fait générateur de la poursuite, tel que décrit dans le procès-verbal, est inexistant à la date de celui-ci, la contravention ne peut être légalement constituée.
B. Le rejet de la requalification de l’infraction en cours d’instance
Face à la fragilité de son argumentation initiale, l’autorité gestionnaire du domaine public a tenté de modifier l’objet de l’accusation devant la Cour. Elle a ainsi fait valoir que l’entrave à la servitude de marchepied ne résidait pas dans la porte fermée, mais dans « l’existence même de la clôture et de la jardinière ». Toutefois, la Cour écarte implicitement cette tentative de requalification. Son raisonnement se concentre sur l’imputabilité de ces autres ouvrages, mais la méthode adoptée montre bien que le juge n’entend pas permettre à l’administration de redéfinir les contours de l’infraction en appel. Le procès-verbal fige l’objet de la poursuite, garantissant ainsi les droits de la défense. Admettre qu’une administration puisse, au gré des arguments de la personne poursuivie, changer les faits reprochés reviendrait à créer une insécurité juridique inacceptable. La Cour administrative d’appel s’en tient donc aux faits constatés et consignés, refusant de valider une condamnation sur la base d’une nouvelle argumentation factuelle qui ne figurait pas dans l’acte initial.
Au-delà du contrôle strict de la matérialité des faits, la Cour s’attache à vérifier que l’infraction, même si elle était avérée, puisse être personnellement attribuée à la personne poursuivie, consacrant ainsi la prééminence du principe de personnalité de la responsabilité.
II. La réaffirmation du principe de personnalité de la responsabilité
La solution de l’arrêt repose de manière décisive sur le principe fondamental selon lequel une personne ne peut être tenue pour responsable que de son propre fait. La Cour l’applique en recherchant l’auteur véritable de l’entrave à la servitude (A), puis en écartant les théories subsidiaires qui viseraient à attribuer une responsabilité indirecte à la propriétaire (B).
A. L’exonération de responsabilité par la reconnaissance du fait d’un tiers
Même en admettant l’existence d’une entrave à la servitude de marchepied constituée par une clôture, la Cour recherche si celle-ci est bien imputable à la personne poursuivie. Or, il résulte de l’instruction que « cette clôture est en réalité le fait de la commune », ce que l’autorité domaniale avait d’ailleurs reconnu dans un courrier. Cette constatation est déterminante car elle déplace la responsabilité vers un tiers, en l’occurrence une personne publique. Le juge administratif rappelle ici une règle essentielle du droit répressif, applicable aux contraventions de grande voirie : l’infraction doit être imputée à celui qui l’a matériellement commise. La propriétaire ne pouvait donc être condamnée pour un ouvrage dont elle n’était pas le maître d’ouvrage. La Cour prend soin de noter que les services de la commune gèrent la berge et les portails, confirmant ainsi que la garde et l’entretien de l’ouvrage litigieux lui échappaient totalement. Cette analyse conduit logiquement à écarter toute responsabilité de la propriétaire pour cet état de fait.
B. L’inefficacité de la théorie de la garde de l’ouvrage pour fonder la responsabilité
L’autorité domaniale tentait de contourner l’obstacle de l’absence de faute initiale de la propriétaire en soutenant qu’en ayant fait installer puis déplacer un portail ultérieurement, celle-ci se serait comportée comme la « gardienne de cet ouvrage ». Par cet argument, l’administration cherchait à établir une responsabilité fondée non sur la création de l’obstacle, mais sur un comportement ultérieur manifestant une appropriation de celui-ci. La Cour rejette fermement cette thèse en la confrontant à la chronologie des faits. Elle juge que « cette circonstance ne peut toutefois lui être opposée à la date à laquelle la contravention de grande voirie a été constatée ». Le raisonnement est imparable : la responsabilité pénale ou administrative s’apprécie au jour de la commission des faits. Un comportement postérieur ne peut avoir pour effet de rendre une personne rétroactivement responsable d’une infraction qu’elle n’a pas commise. En définitive, l’arrêt s’achève sur une formule particulièrement claire, qui synthétise toute la portée de la décision : « le respect du principe selon lequel nul n’est responsable que de son propre fait, fait en l’espèce obstacle à la condamnation de l’intéressée pour contravention de grande voirie ».