Cour d’appel administrative de Paris, le 29 avril 2025, n°23PA02487

Par un arrêt en date du 29 avril 2025, une cour administrative d’appel s’est prononcée sur la légalité d’une procédure d’imposition conduite à l’encontre d’un contribuable se déclarant non-résident. L’administration fiscale, à la suite d’un examen contradictoire de la situation fiscale personnelle d’un contribuable pour les années 2014, 2015 et 2016, avait considéré que celui-ci était fiscalement domicilié en France. En l’absence de dépôt de ses déclarations de revenus, elle avait engagé une procédure de taxation d’office. Le contribuable a saisi le tribunal administratif de Melun afin d’obtenir la décharge des impositions et pénalités correspondantes.

Par un jugement du 6 avril 2023, le tribunal administratif a rejeté sa demande. Le requérant a alors interjeté appel de cette décision. Devant la cour, il soutenait que l’administration n’établissait pas sa domiciliation fiscale en France, ce qui rendait irrégulière la procédure de taxation d’office et le privait des garanties afférentes. Il invoquait également une méconnaissance par l’administration de son obligation d’information sur l’origine des renseignements obtenus de tiers. Le ministre chargé des comptes publics concluait au rejet de la requête, estimant que l’imposition était bien fondée.

Il était ainsi demandé aux juges d’appel de déterminer si l’administration fiscale pouvait légalement établir la domiciliation fiscale en France d’un contribuable se prévalant d’une résidence à l’étranger, et par voie de conséquence, de valider la procédure de taxation d’office mise en œuvre.

La cour administrative d’appel rejette la requête. Elle juge que l’administration a rapporté à bon droit la preuve de la résidence fiscale du contribuable en France sur la base des critères de droit interne. Elle considère ensuite que les stipulations de la convention fiscale franco-américaine ne faisaient pas obstacle à l’imposition, le requérant n’apportant aucun élément probant à l’appui de ses allégations de résidence aux États-Unis. La cour en déduit que la procédure de taxation d’office était régulière et que les garanties procédurales invoquées par le contribuable n’avaient pas été méconnues.

Cette décision permet de réaffirmer la méthode de détermination de la résidence fiscale, fondée sur une analyse factuelle des critères légaux et conventionnels (I), justifiant ainsi la mise en œuvre des procédures de contrôle et d’imposition qui en découlent (II).

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I. La détermination de la résidence fiscale par une application combinée du droit interne et conventionnel

La cour confirme d’abord la résidence fiscale en France en s’appuyant sur un faisceau d’indices tirés du droit interne (A), avant de neutraliser les arguments fondés sur la convention fiscale bilatérale en raison de l’absence de justification par le contribuable (B).

A. La prééminence des critères factuels de droit interne

La solution retenue repose sur une appréciation concrète de la situation du contribuable au regard des critères posés par l’article 4 B du code général des impôts. Pour établir que le requérant avait bien son domicile fiscal en France, les juges ne se contentent pas des affirmations des parties mais s’attachent aux éléments matériels versés au dossier. La décision souligne que « les relevés des comptes bancaires français détenus par M. A… font apparaître de nombreuses dépenses réglées en France et des encaissements de chèques ». À cela s’ajoute le fait que l’intéressé était « associé d’une société civile immobilière qui possède un bien immobilier à usage d’habitation situé en Seine-et-Marne ».

Ces éléments factuels permettent à la cour de caractériser l’existence en France, sinon d’un foyer ou d’un lieu de séjour principal, à tout le moins du centre des intérêts économiques du contribuable. En retenant une telle approche, l’arrêt s’inscrit dans une jurisprudence constante qui privilégie une conception matérielle et tangible de la domiciliation fiscale. L’analyse ne se limite pas aux déclarations d’intention mais se fonde sur la réalité des liens personnels et économiques entretenus avec le territoire national. La régularité des dépenses et la gestion d’un patrimoine immobilier en France constituent des indices suffisamment probants pour considérer que le contribuable y a le pivot de ses activités patrimoniales. C’est donc à bon droit que le service a pu le soumettre à une obligation déclarative en France.

B. L’application conditionnée des critères subsidiaires de la convention fiscale

Une fois la résidence établie au regard du droit interne, il appartenait à la cour d’examiner si la convention fiscale franco-américaine du 31 août 1994 y faisait obstacle. La juridiction rappelle la méthodologie à suivre en la matière : il convient d’abord de statuer au regard de la loi fiscale nationale, puis de vérifier si la convention s’oppose à son application. Confrontée à un possible conflit de résidence, la convention prévoit des critères successifs, ou « tie-breaker rules », pour trancher. Ces critères incluent le foyer d’habitation permanent, le centre des intérêts vitaux et le lieu de séjour habituel.

Toutefois, la cour ne procède pas à un examen détaillé de ces critères, car le requérant échoue à établir la prémisse de leur application, à savoir une double résidence. En effet, la décision relève que l’intéressé « se borne à soutenir qu’il avait un domicile aux Etats-Unis sans apporter aucun élément à l’appui de ses allégations, à l’exception de la mention d’une adresse ». Cette carence probatoire est décisive. En matière de conventions fiscales, la charge de la preuve des faits permettant de bénéficier de leurs stipulations incombe au contribuable qui s’en prévaut. Une simple adresse, sans aucun document justificatif tel que des factures d’énergie, des preuves d’activité professionnelle ou des liens familiaux, ne saurait suffire à constituer un « foyer d’habitation permanent ». L’argument conventionnel est ainsi écarté, non pas après analyse, mais faute d’avoir été sérieusement étayé.

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II. La validation des conséquences procédurales découlant de la résidence établie

La reconnaissance de la résidence fiscale en France emporte des conséquences directes sur la procédure d’imposition, tant sur la régularité de la taxation d’office (A) que sur l’étendue des garanties offertes au contribuable (B).

A. La légitimation subséquente de la procédure de taxation d’office

La qualification de résident fiscal emporte une obligation déclarative en vertu de l’article 170 du code général des impôts. Le défaut de souscription des déclarations de revenus dans les délais légaux expose le contribuable à une procédure de taxation d’office, après l’envoi d’une mise en demeure restée sans effet, conformément aux articles L. 66 et L. 67 du livre des procédures fiscales. Dans le cas présent, la cour constate que le requérant « n’a pas répondu aux trois mises en demeures du 19 octobre 2017 ».

Dès lors que la résidence fiscale française est avérée et que le contribuable a manqué à ses obligations déclaratives malgré une mise en demeure, l’administration est fondée à recourir à la procédure de taxation d’office. L’arrêt confirme ainsi une conséquence logique et quasi automatique de la première partie de son raisonnement. Le pouvoir de l’administration de se substituer au contribuable défaillant trouve sa pleine justification dans la nécessité d’assurer l’établissement de l’impôt. La contestation de la régularité de cette procédure devenait inopérante une fois le principe même de l’imposabilité en France solidement établi. L’argument selon lequel le requérant aurait été privé des garanties de l’article L. 57 du livre des procédures fiscales est également écarté comme n’étant assorti « d’aucune précision permettant d’en apprécier le bien-fondé », rappelant l’exigence de motiver précisément ses moyens en contentieux.

B. Une interprétation stricte de l’obligation d’information du contribuable

Le dernier moyen soulevé par le requérant concernait la violation de l’article L. 76 B du livre des procédures fiscales, qui impose à l’administration d’informer le contribuable de l’origine et de la teneur des renseignements obtenus de tiers. La cour examine cet argument en distinguant plusieurs catégories d’informations. S’agissant des relevés bancaires, elle note qu’ils ont bien été communiqués au contribuable suite à sa demande. Pour les informations relatives à la SCI et à l’affiliation sociale de son épouse, la cour développe un raisonnement en deux temps.

Elle estime qu’il ne résulte pas de l’instruction, « d’une part que ces informations ont fait l’objet d’un droit de communication et ont été utilisés pour fonder les rectifications et, d’autre part, que M. A… ne pouvait avoir effectivement accès à ces documents ». Cette analyse restrictive de la portée de l’article L. 76 B est éclairante. La garantie ne s’applique qu’aux informations qui ont servi de fondement direct à l’imposition et qui ne sont pas directement accessibles au contribuable. En l’espèce, les juges considèrent que des informations comptables d’une SCI dont il est associé ou relatives au régime social de son conjoint sont des documents auxquels l’intéressé est présumé avoir accès. Cette solution circonscrit l’obligation de l’administration et renforce la position de cette dernière lorsque les informations qu’elle utilise, même obtenues de tiers, relèvent de la sphère d’action normale du contribuable.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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