Cour d’appel administrative de Paris, le 21 mai 2025, n°23PA03556

Par un arrêt en date du 21 mai 2025, la Cour administrative d’appel de Paris se prononce sur les conditions de déductibilité des charges au sein d’un groupe fiscalement intégré, et plus particulièrement sur la possibilité de requalifier en subvention indirecte des charges jugées non déductibles au niveau d’une filiale.

En l’espèce, une société filiale a fait l’objet d’une vérification de comptabilité à l’issue de laquelle l’administration fiscale a réintégré dans ses résultats imposables certaines charges, correspondant à des rémunérations de dirigeants et à des frais de réception et de déplacement. L’administration a estimé que ces charges n’étaient pas engagées dans l’intérêt de l’entreprise, au motif principal du caractère excessif des salaires au regard de l’activité de la filiale et de l’absence de justification du caractère professionnel des autres frais. En conséquence de ces redressements, des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés ont été mises à la charge de la société mère, en sa qualité de tête du groupe d’intégration fiscale.

Après le rejet de sa réclamation par l’administration fiscale, la société mère a saisi le tribunal administratif de Paris, qui a rejeté sa demande tendant à la décharge des impositions supplémentaires. La société a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que les charges en cause, bien que payées par sa filiale, correspondaient en réalité à des prestations réalisées à son propre bénéfice. Elle en déduisait que ces sommes devaient être analysées comme des subventions indirectes entre sociétés du même groupe, et donc être neutralisées pour la détermination du résultat d’ensemble, conformément aux dispositions de l’article 223 B du code général des impôts.

Il était ainsi demandé aux juges d’appel de déterminer si des rémunérations et des frais, dont le caractère déductible était contesté au niveau d’une filiale en raison de leur caractère jugé excessif ou non justifié, pouvaient être requalifiés en subvention indirecte déductible au niveau du résultat d’ensemble du groupe.

La Cour administrative d’appel de Paris rejette la requête. Elle confirme l’analyse de l’administration fiscale et des premiers juges en considérant que la société requérante ne parvient pas à démontrer que les charges litigieuses pourraient recevoir la qualification de subvention indirecte. Pour ce faire, elle retient que la société n’apporte aucun élément de preuve suffisant pour établir la réalité du travail prétendument accompli par les salariés pour son compte, ni le caractère professionnel des autres frais engagés par sa filiale.

La solution adoptée par la Cour rappelle avec rigueur la primauté de la charge de la preuve qui incombe au contribuable en matière de déductibilité des charges, y compris dans le cadre d’un groupe intégré (I). Elle confirme ainsi l’impossibilité de qualifier de subvention des dépenses dont le lien avec l’intérêt de l’exploitation n’est pas préalablement établi (II).

I. La requalification des rémunérations en subvention intragroupe subordonnée à une preuve certaine

La Cour administrative d’appel examine en premier lieu la question des rémunérations versées par la filiale, considérées comme excessives par l’administration. Elle valide le raisonnement de l’administration fondé sur un faisceau d’indices concordants (A) avant de rejeter l’argument de la requérante fondé sur une prétendue mise à disposition de personnel, faute de preuve (B).

A. Le caractère excessif des rémunérations, un indice primordial pour l’administration fiscale

La Cour rappelle que les rémunérations ne sont admises en déduction que si elles correspondent à un travail effectif et ne sont pas excessives. En l’espèce, elle constate que l’administration fiscale a établi le caractère démesuré des salaires en cause en relevant que leur montant global était très largement supérieur au chiffre d’affaires de la filiale. La juridiction souligne ainsi que « le seul versement de ces trois salaires représente 277 % du chiffre d’affaires pour 2012 et 439 % de ce chiffre d’affaires pour 2013 ». Cet élément, corroboré par la baisse continue de l’activité et l’absence de toute explication fournie par la société durant le contrôle sur le rôle effectif des personnes concernées, suffit à faire peser une forte présomption sur l’absence de contrepartie réelle pour la filiale. Le raisonnement de la Cour est ici classique et s’inscrit dans une jurisprudence constante qui permet à l’administration de s’appuyer sur des critères objectifs pour apprécier le caractère normal d’une charge de personnel.

B. L’échec de la démonstration d’une mise à disposition de personnel au profit de la société mère

Face à ce constat, la société requérante tentait, pour la première fois en appel, de justifier ces rémunérations en soutenant que les salariés concernés travaillaient en réalité pour elle, et non pour sa filiale. L’argument visait à transformer une charge non déductible en une subvention indirecte, fiscalement neutre au sein du groupe. La Cour écarte fermement cette argumentation en soulignant son caractère nouveau et contradictoire avec la position tenue en première instance. Surtout, elle la juge dépourvue de toute valeur probante. La juridiction énonce clairement que la société « ne produit aucune convention en ce sens liant les deux sociétés non plus qu’aucun autre document susceptible de faire regarder cette allégation comme plausible ». En l’absence de la moindre justification formelle, la qualification de subvention ne peut être retenue. La décision est une application stricte du principe selon lequel il appartient au contribuable qui entend se prévaloir d’une déduction de justifier du bien-fondé de sa demande par des éléments précis et étayés.

Le même raisonnement fondé sur l’absence de justification a été appliqué par la Cour aux autres frais contestés.

II. Le rejet de la déductibilité de frais en l’absence de lien établi avec l’intérêt de l’entreprise

La Cour se penche dans un second temps sur les frais de réception et de voyages, dont la déduction avait également été refusée. Elle confirme là encore que l’absence de justification du caractère professionnel de ces dépenses (A) rend par conséquent inopérant tout argument tiré de leur éventuelle nature de subvention intragroupe (B).

A. L’absence de justification du caractère professionnel des dépenses engagées

Pour les frais de location d’un château, de mission ou encore d’un avion, l’administration avait relevé leur absence de lien avec l’activité de gestion immobilière de la filiale. La Cour constate que la société se borne à des affirmations générales, soutenant qu’il s’agissait de repas professionnels avec des partenaires, « sans davantage de précision ». Or, le juge de l’impôt exige des justifications précises sur la nature des dépenses, l’identité des bénéficiaires et le lien avec l’intérêt commercial de l’entreprise. En l’absence de tels éléments, la charge ne peut être regardée comme ayant été exposée dans l’intérêt de l’exploitation. Le caractère déductible de la dépense n’étant pas établi, la question de son imputation au sein du groupe ne peut être que secondaire. La solution est logique : une dépense qui n’est pas une charge professionnelle pour l’entreprise qui l’expose ne peut magiquement le devenir au niveau du groupe.

B. L’inoppérabilité consécutive de la qualification de subvention intragroupe

Dès lors que le caractère professionnel des dépenses n’est pas démontré, l’argument subsidiaire de la subvention indirecte est nécessairement écarté. La Cour juge que le moyen tiré de l’application de l’article 223 B du code général des impôts « ne peut, en tout état de cause, qu’être écarté ». La logique est implacable : pour qu’une aide puisse être qualifiée de subvention entre sociétés d’un même groupe, il faut au préalable qu’elle corresponde à une charge qui, par sa nature, aurait été déductible si elle avait été supportée par la société bénéficiaire de l’aide. Une dépense somptuaire ou personnelle ne peut donner lieu à une subvention déductible. De la même manière, la Cour conclut que la société ne peut utilement se prévaloir de la doctrine administrative relative aux subventions, puisque les conditions de fond pour l’application de ce régime ne sont pas remplies. Cet arrêt, bien que constituant une décision d’espèce, illustre ainsi parfaitement la hiérarchie des conditions de déductibilité des charges en droit fiscal.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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