Un arrêt rendu le 11 avril 2025 par une cour administrative d’appel illustre la rigueur du contrôle juridictionnel sur les actes de l’administration dans le cadre de l’exécution d’un marché public de travaux. En l’espèce, un marché à forfait fut conclu le 26 janvier 2017 pour la réalisation de travaux d’étanchéité. Des difficultés d’exécution ont conduit le maître d’ouvrage à prononcer la résiliation du marché pour faute le 11 février 2020, puis à notifier un décompte de liquidation incluant d’importantes pénalités de retard. La société titulaire a saisi le tribunal administratif de Paris d’une demande tendant à l’annulation de ces pénalités et au paiement de sommes dues au titre de travaux supplémentaires et de préjudices divers. Par un jugement du 5 janvier 2023, la juridiction de première instance a partiellement fait droit à sa demande en fixant le solde du marché. Le ministre compétent a alors interjeté appel de ce jugement, en soulevant son irrégularité et en contestant le bien-fondé de l’annulation des pénalités. Le titulaire du marché a, pour sa part, conclu au rejet de la requête et a réitéré ses demandes indemnitaires. La question de droit principale portait sur la régularité d’un jugement rendu alors que la communication de la requête initiale avait été effectuée auprès d’une direction ministérielle incompétente pour représenter l’État en justice. De manière subsidiaire, le litige posait la question des conditions d’application des pénalités contractuelles, notamment au regard des obligations d’information du maître d’ouvrage et de la chronologie des faits. La cour administrative d’appel a annulé le jugement pour non-respect du principe du contradictoire, estimant que la notification à un service non compétent ne pouvait être regardée comme régulière. Usant de son pouvoir d’évocation, elle a ensuite statué sur le fond du litige. Elle a écarté la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de la réclamation en appliquant les dispositions de l’ordonnance du 25 mars 2020. Sur le fond, elle a annulé la majeure partie des pénalités infligées, tout en rejetant les demandes indemnitaires de l’entreprise.
La décision de la cour se fonde d’abord sur la sanction procédurale d’un vice affectant la première instance, justifiant l’évocation du litige (I), pour ensuite exercer un contrôle approfondi sur le bien-fondé des pénalités contractuelles (II).
I. La sanction procédurale d’un vice de première instance justifiant l’évocation
La cour administrative d’appel a d’abord constaté une irrégularité entachant le jugement de première instance, ce qui l’a conduite à l’annuler (A), avant de décider de statuer elle-même sur l’affaire par la voie de l’évocation (B).
A. L’annulation du jugement pour violation du principe du contradictoire
Le juge d’appel a appliqué avec rigueur les règles de procédure gouvernant la communication des actes aux parties. Il a rappelé que la notification de la requête doit être faite à l’autorité compétente pour représenter l’État. En l’espèce, la demande avait été communiquée à une direction du ministère qui n’était pas celle en charge du contentieux. La cour a estimé que « dans les circonstances de l’espèce, la notification de la demande (…) et de la mise en demeure à la direction du budget ne peuvent être regardées comme régulières ». Cette erreur, loin d’être une simple informalité, constitue une violation du principe du contradictoire, principe directeur du procès administratif. En effet, une communication défectueuse prive l’administration de la possibilité de présenter utilement sa défense dans les délais impartis. La sanction logique et nécessaire de cette irrégularité substantielle est donc l’annulation du jugement rendu au terme d’une procédure viciée, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête.
B. Le recours à l’évocation par souci de bonne administration de la justice
Conséquence directe de l’annulation du jugement, la cour administrative d’appel se trouvait face à l’alternative de renvoyer l’affaire devant les premiers juges ou de l’évoquer. Elle a choisi la seconde option, considérant qu’il y avait « lieu d’évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée (…) devant le tribunal ». Cette technique procédurale permet au juge d’appel, lorsque l’affaire est en état d’être jugée, de trancher lui-même le fond du litige. Ce choix répond à un impératif de bonne administration de la justice et d’économie processuelle, en évitant le prolongement des délais de jugement qu’aurait engendré un renvoi. La cour se substitue ainsi au tribunal et examine l’ensemble des moyens et conclusions qui avaient été soulevés en première instance, devenant ainsi le premier et unique juge du fond de l’affaire.
Après avoir réglé la question procédurale, la cour a examiné le fond du litige, se livrant à une appréciation stricte des conditions de mise en jeu de la responsabilité contractuelle et des pénalités.
II. Le contrôle rigoureux de l’application des pénalités contractuelles
Le juge d’appel a exercé un contrôle minutieux sur les motifs justifiant l’application des pénalités. Il a ainsi subordonné leur validité à la notification préalable d’un calendrier d’exécution (A) et a modulé leur montant en fonction de la chronologie précise des obligations post-chantier (B).
A. Le calendrier d’exécution notifié, un préalable à l’application des pénalités de retard
La cour a rappelé que les pénalités pour retard dans l’exécution des travaux ne peuvent être infligées que par référence à un calendrier détaillé. Or, il était constant que « aucun calendrier détaillé d’exécution modifié ne lui a été notifié malgré le report, à plusieurs reprises, du délai d’exécution des travaux ». L’absence de notification d’un planning actualisé prive le maître d’ouvrage du fondement même de son droit à pénalités, le cocontractant ne pouvant se voir reprocher un retard par rapport à des échéances qui n’ont pas été formellement portées à sa connaissance. Le même raisonnement a été appliqué aux pénalités pour retard dans la remise du dossier des ouvrages exécutés. La cour a relevé que le maître d’ouvrage avait refusé de réceptionner les travaux au motif de leur non-achèvement. Elle en a logiquement déduit que « en l’absence de date prévisible d’achèvement de ces travaux, le délai de remise du dossier des ouvrages exécutés n’a pas pu commencer à courir ». La décision souligne ainsi la cohérence que doit observer le maître d’ouvrage : il ne peut à la fois constater un inachèvement et exiger la production de documents dus à l’achèvement.
B. La modulation judiciaire des pénalités liées aux obligations post-achèvement
Concernant les pénalités pour retard dans le repliement des installations de chantier, la cour a adopté une approche différente. Elle a reconnu le manquement de l’entreprise, qui avait laissé du matériel et des matériaux sur le site. Cependant, elle a procédé à une analyse factuelle précise pour en déterminer la durée. Le juge a constaté que le maître d’ouvrage avait mis l’entreprise en demeure d’exécuter plusieurs prestations dans un délai de quinze jours. Il a donc jugé que l’administration ne pouvait « avant cette date, lui infliger une pénalité », celle-ci n’étant encourue qu’à compter de l’expiration du délai fixé par la mise en demeure. En conséquence, la cour a recalculé le nombre de jours de retard imputables et a ramené le montant des pénalités de 67 500 euros à 34 000 euros. Cette solution illustre le pouvoir de plein contentieux du juge du contrat, qui ne se limite pas à annuler une décision illégale mais peut la réformer pour l’ajuster à ce qui est strictement justifié au regard des stipulations contractuelles et des faits de l’espèce.