Cour d’appel administrative de Paris, le 10 juillet 2025, n°24PA05037

Par une décision en date du 10 juillet 2025, une cour administrative d’appel a précisé le régime de prescription applicable à une créance indemnitaire née de l’occupation sans titre du domaine public maritime en Polynésie française. En l’espèce, une personne avait édifié des constructions sur le domaine public maritime sans autorisation. Ayant ultérieurement sollicité la régularisation de sa situation, elle s’est vu délivrer un titre d’occupation par la collectivité compétente. Simultanément, l’administration lui a réclamé une indemnité correspondant aux redevances qui auraient été dues pour la période d’occupation irrégulière, s’étalant sur près de douze années. L’occupante a contesté le montant réclamé devant la juridiction administrative. Par un jugement du 12 novembre 2024, le tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande en annulation de l’avis de mise en recouvrement. Saisie en appel, la cour devait donc se prononcer sur l’étendue de la dette de l’occupante. La requérante soutenait principalement que la créance était en partie éteinte par l’effet de la prescription quinquennale, tandis que l’autorité gestionnaire du domaine public entendait recouvrer l’intégralité des sommes correspondant à la durée totale de l’occupation illicite. Il s’agissait alors pour le juge d’appel de déterminer d’une part, la nature de la prescription applicable à une telle indemnité et, d’autre part, le point de départ du délai de cette prescription. La cour administrative d’appel a jugé que l’indemnité pour occupation sans titre du domaine public est soumise à la prescription quinquennale prévue pour les revenus domaniaux, mais a précisé que ce délai ne commence à courir qu’à compter de la date à laquelle l’administration a eu une connaissance certaine de l’occupation irrégulière. En conséquence, elle a partiellement déchargé l’occupante de son obligation de payer, annulant la créance pour la période antérieure de cinq ans à cette date de connaissance.

La solution retenue par la cour clarifie l’articulation des règles de prescription applicables aux créances domaniales en confirmant l’application d’un délai quinquennal (I), tout en adoptant une interprétation du point de départ de ce délai qui se révèle protectrice des intérêts de la collectivité publique (II).

I. La consolidation du régime de prescription quinquennale pour l’occupation irrégulière du domaine public

La cour administrative d’appel confirme que l’indemnité due pour une occupation sans droit ni titre du domaine public est une créance de nature périodique (A), ce qui justifie de maintenir l’application du régime spécial de prescription prévu pour les revenus domaniaux, nonobstant l’intervention d’une législation nouvelle plus générale (B).

A. L’assimilation de l’indemnité d’occupation à une créance périodique

Le raisonnement du juge d’appel repose sur la nature de la créance litigieuse. L’occupation sans droit ni titre du domaine public est constitutive d’une faute qui engage la responsabilité de son auteur envers le gestionnaire domanial. L’administration est ainsi fondée à réclamer une indemnité visant à réparer le préjudice subi, lequel consiste dans la perte des revenus qu’elle aurait normalement perçus si l’occupation avait été régulière. La cour énonce à cet égard que l’autorité gestionnaire peut réclamer « une indemnité compensant les revenus qu’elle aurait pu percevoir d’un occupant régulier pendant cette période ». C’est en se fondant sur cette finalité compensatoire que la décision qualifie la dette de l’occupante. En effet, les redevances domaniales, qui auraient dû être acquittées, présentent un caractère périodique. Par assimilation, l’indemnité qui s’y substitue est elle-même considérée comme une créance payable à des termes périodiques successifs. La cour précise d’ailleurs que « cette indemnité devient exigible au terme de chaque journée d’occupation irrégulière ». Cette analyse justifie de soumettre la créance aux dispositions de l’article 2277 du code civil, dans sa version applicable localement, qui édicte une prescription de cinq ans pour tout ce qui est payable par année ou à des termes périodiques plus courts.

B. La primauté maintenue de la loi spéciale sur la loi générale postérieure

La requérante invoquait deux fondements distincts pour justifier l’application de la prescription quinquennale, notamment une loi du pays récente instaurant un régime général pour les créances de la collectivité. La cour écarte cependant ce nouveau texte pour faire prévaloir la délibération de 2004 portant spécifiquement sur l’administration du domaine public. Elle relève que cette délibération, en son article 12, a « entendu instaurer des règles spéciales ». Le juge se livre alors à une interprétation classique des conflits de normes dans le temps, en application de l’adage *specialia generalibus derogant*. Il constate que la loi du pays postérieure, bien que générale, « n’a pas expressément abrogé ni dérogé au régime spécial de prescription des créances relatives au domaine public ». Plus encore, la cour s’appuie sur une disposition de cette même loi récente qui prévoit que ses dispositions « ne font pas obstacle à l’application des règles spéciales prévues par d’autres règlementations ». Cette démarche assure une sécurité juridique en maintenant un régime de prescription cohérent et spécifique pour l’ensemble des revenus du domaine public, qu’ils proviennent d’une occupation régulière ou qu’ils revêtent un caractère indemnitaire suite à une occupation illicite.

II. Une définition du point de départ de la prescription favorable à la personne publique

Si la cour retient le principe d’une prescription quinquennale, elle en module considérablement les effets en fixant son point de départ à la date de la connaissance certaine de l’infraction par l’administration (A), ce qui conduit en pratique à neutraliser une grande partie de la prescription qui aurait pu être acquise (B).

A. Le principe d’un point de départ différé à la connaissance certaine de la créance

L’apport principal de la décision réside dans la détermination du point de départ du délai de prescription. Alors que l’occupante soutenait que l’administration avait connaissance de l’occupation bien avant sa demande de régularisation, la cour adopte une approche stricte. Elle affirme que « la créance en litige est devenue exigible à la date de sa connaissance certaine par la Polynésie française ». Ce faisant, elle écarte une conception qui ferait courir le délai dès la réalisation du fait générateur du dommage, c’est-à-dire dès le début de l’occupation irrégulière. Une telle solution aurait pour conséquence de faire peser sur l’administration une obligation de vigilance constante et difficile à mettre en œuvre sur l’ensemble de son domaine. En liant le départ de la prescription à la connaissance effective de la créance par le créancier, le juge protège la personne publique contre les situations où l’occupation irrégulière serait dissimulée ou simplement non détectée. Cette solution est conforme à l’esprit de la jurisprudence administrative qui tend à différer le point de départ de la prescription de l’action en responsabilité extracontractuelle à la date où la victime est en mesure de connaître l’origine et l’étendue de son préjudice.

B. L’application du principe au cas de la demande de régularisation

En l’espèce, la cour applique ce principe en retenant comme date de connaissance certaine celle de la réception par l’administration de la demande de régularisation formée par l’occupante. Il est jugé qu’il ne « résulte en effet pas de l’instruction que la Polynésie française ait eu connaissance de l’occupation irrégulière du domaine public par Mme B… à une date antérieure ». Cet événement constitue un fait objectif et daté qui matérialise la fin de la dissimulation, volontaire ou non, de l’occupation. La portée de cette solution est significative. D’une part, elle garantit le droit à la prescription pour l’occupant, qui est bien déchargé d’une partie de sa dette. D’autre part, elle préserve les finances publiques en permettant à l’administration de recouvrer son dû pour les cinq années précédant la révélation de la situation. Cette solution incite ainsi les occupants sans titre à se manifester pour régulariser leur situation, tout en les assurant que leur dette ne pourra s’étendre indéfiniment dans le passé au-delà du délai de cinq ans. La décision établit donc un équilibre entre la nécessaire sanction d’une faute et le principe de sécurité juridique qui sous-tend l’institution de la prescription.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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