Cour d’appel administrative de Nantes, le 21 mars 2025, n°23NT02734

Par un arrêt en date du 21 mars 2025, la cour administrative d’appel a été amenée à se prononcer sur la légalité de permis de construire délivrés en zone agricole.

En l’espèce, le maire d’une commune avait accordé à un particulier deux permis de construire, l’un pour un hangar agricole, l’autre pour un abri destiné à du matériel, sur des parcelles classées en zone agricole par le plan local d’urbanisme. Des propriétaires voisins, estimant que ces constructions ne répondaient pas aux exigences d’urbanisme applicables, ont saisi le tribunal administratif de Caen afin d’obtenir l’annulation de ces autorisations. Par deux jugements du 10 juillet 2023, la juridiction de première instance a fait droit à leur demande, au motif que les constructions n’étaient ni liées ni nécessaires à une exploitation agricole, en méconnaissance du règlement du plan local d’urbanisme. Le bénéficiaire des permis ainsi que la commune ont alors interjeté appel de ces décisions. Ils soutenaient que le tribunal avait mal apprécié le caractère de l’activité du pétitionnaire et la nécessité des constructions. Ils demandaient, à titre subsidiaire, l’application des dispositions de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme permettant une régularisation.

Il revenait donc à la cour administrative d’appel de déterminer les critères permettant de qualifier une activité d’exploitation agricole justifiant la délivrance d’un permis de construire en zone A. Plus précisément, elle devait décider si une activité agricole déclarée, mais de faible consistance matérielle et de viabilité économique incertaine, pouvait légalement fonder une autorisation d’urbanisme pour des bâtiments agricoles.

La cour administrative d’appel rejette les requêtes. Elle estime que l’autorisation de construire en zone agricole est subordonnée à l’existence d’une exploitation réelle, laquelle se caractérise par une activité effective présentant une consistance suffisante. En l’occurrence, elle juge que ni la réalité matérielle de l’élevage, très limité au moment de la délivrance des permis, ni les perspectives économiques du projet ne permettaient de considérer l’activité comme une exploitation agricole établie. La cour en conclut que les constructions n’étaient pas nécessaires à une telle exploitation, rendant les permis illégaux, et que ce vice, touchant à la nature même du projet, n’était pas régularisable.

La solution retenue par la cour administrative d’appel vient préciser les conditions de la constructibilité en zone agricole (I), tout en confirmant le caractère dirimant de leur non-respect (II).

I. La notion d’exploitation agricole, condition renforcée de la constructibilité en zone A

La cour rappelle d’abord que seules les constructions nécessaires à une exploitation agricole peuvent être autorisées en zone A. Elle développe ensuite une appréciation concrète de cette notion, en s’attachant à la consistance effective de l’activité (A) et en procédant à une double analyse de sa viabilité matérielle et économique (B).

A. L’exigence d’une activité agricole à la consistance suffisante

La cour administrative d’appel énonce clairement que pour autoriser une construction en zone agricole, l’autorité compétente doit contrôler la réalité de l’exploitation. Elle ne peut se contenter des seules déclarations du pétitionnaire. Le juge administratif, dans son contrôle, s’assure ainsi de « l’exercice effectif d’une activité agricole d’une consistance suffisante ». Cette formulation établit un seuil qualitatif. Elle impose une vérification approfondie qui va au-delà de la simple affiliation à un régime agricole ou de l’enregistrement administratif d’un élevage.

En l’espèce, le fait que le demandeur ait déclaré une activité d’élevage et obtenu un numéro Sirene ne suffit pas à caractériser une exploitation agricole. La cour exige une démonstration plus tangible de l’existence et du sérieux de l’activité. L’approche est pragmatique et vise à empêcher que le régime dérogatoire de la constructibilité en zone agricole ne soit détourné pour des projets qui n’ont d’agricole que le nom. Cette exigence de consistance protège la destination des zones A, qui est de préserver les terres agricoles et de soutenir une agriculture effective.

B. La double appréciation de la consistance matérielle et économique

Pour évaluer cette « consistance suffisante », la cour se livre à un examen factuel détaillé, sur la base des pièces versées au dossier. Elle retient d’une part une consistance matérielle insuffisante. Elle note qu’à la date des permis, le cheptel était quasiment inexistant, se limitant à un seul animal, et que le pétitionnaire n’a acquis son premier bovin que quelques jours avant le second arrêté. De plus, la surface de pâturage disponible apparaissait très limitée. Le fait que le demandeur exerçait une autre activité professionnelle à titre principal a également pesé dans l’appréciation des juges.

D’autre part, la cour analyse la viabilité économique du projet. Elle relève le décalage manifeste entre le faible résultat prévisionnel de l’activité d’élevage, estimé à moins de 900 euros par an, et l’ampleur des investissements prévus, notamment 30 000 euros pour le seul hangar. Un tel déséquilibre conduit le juge à conclure que « le projet agricole invoqué, ne présentait pas non plus, à la date des arrêtés litigieux, des conditions de viabilité économiques telles qu’on puisse le regarder comme suffisamment consistant ». Cette double analyse, matérielle et économique, constitue une grille de lecture rigoureuse pour les services instructeurs.

Le défaut de satisfaction de ces critères emporte des conséquences radicales que la cour ne manque pas de souligner.

II. L’illégalité inévitable de l’autorisation en l’absence de lien avec une exploitation agricole

Dès lors que la condition tenant à l’existence d’une exploitation agricole n’est pas remplie, la cour confirme l’illégalité des permis de construire (A). Elle en tire une conséquence logique en refusant d’accorder un sursis à statuer, le vice constaté n’étant pas régularisable (B).

A. L’annulation confirmée des permis de construire

La conclusion de la cour découle implacablement de son raisonnement antérieur. Les bâtiments, un hangar de plus de 130 m² et un abri de 34 m², ne pouvaient être regardés comme « ni liés ni nécessaires à une exploitation agricole » au sens du règlement du plan local d’urbanisme. Le lien de nécessité, qui est la clef de voûte de la constructibilité en zone agricole, faisait ici défaut. Par conséquent, en délivrant les autorisations, le maire a commis une erreur d’appréciation au regard des dispositions d’urbanisme applicables.

L’arrêt confirme donc l’analyse des premiers juges. La décision est une application stricte de la hiérarchie des normes et du principe de spécialité des zones dans les documents d’urbanisme. Elle rappelle que la protection des espaces agricoles est un objectif majeur et que les dérogations au principe d’inconstructibilité doivent être interprétées de manière restrictive. La solution est classique mais sa motivation, fondée sur une analyse très concrète, lui confère une portée pédagogique certaine.

B. L’impossibilité de régulariser un vice inhérent à la nature du projet

Face à cette illégalité, les appelants sollicitaient une mesure de régularisation sur le fondement de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme. La cour rejette cette demande au motif que le vice n’est pas susceptible d’être régularisé. Elle rappelle qu’une régularisation est possible tant qu’elle n’implique pas un bouleversement tel qu’il changerait la nature même du projet.

Or, en l’espèce, le vice n’est pas une simple insuffisance du dossier ou un manquement technique. Il tient à l’absence même de l’objet que la construction est censée servir : une véritable exploitation agricole. Régulariser un tel vice supposerait de créer ex nihilo les conditions d’une exploitation consistante, ce qui reviendrait non pas à corriger le projet initial, mais à en présenter un entièrement nouveau. La cour considère donc que ce vice affecte l’économie générale et la nature même du projet, le rendant insusceptible de régularisation. Cette position ferme sur les limites de la régularisation est essentielle pour préserver l’utilité du contrôle de légalité.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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