Cour d’appel administrative de Nantes, le 18 mars 2025, n°22NT04118

Par un arrêt en date du 18 mars 2025, la cour administrative d’appel de Nantes est venue préciser les contours du pouvoir d’appréciation dont disposent les établissements publics de coopération intercommunale dans l’élaboration des schémas de cohérence territoriale, s’agissant spécifiquement de la mise en œuvre de la loi Littoral.

En l’espèce, une communauté d’agglomération avait approuvé par une délibération son schéma de cohérence territoriale. Une association et plusieurs particuliers ont formé un recours pour excès de pouvoir à l’encontre de cette décision, contestant notamment les critères retenus pour l’identification des « secteurs déjà urbanisés » au sens du code de l’urbanisme. Le tribunal administratif de Rennes, saisi en première instance, a annulé partiellement la délibération pour un motif étranger à cette contestation, mais a rejeté les moyens relatifs à la définition desdits secteurs. Les requérants ont alors interjeté appel de ce jugement en tant qu’il rejetait leurs conclusions, soutenant que la méthode d’identification retenue par l’intercommunalité méconnaissait les dispositions de la loi Littoral, notamment en se fondant sur un critère principal lié au nombre de bâtiments.

Il était ainsi demandé à la cour administrative d’appel si une autorité compétente en matière de planification urbaine peut légalement définir les secteurs déjà urbanisés, distincts des agglomérations et villages, en s’appuyant sur un faisceau de critères comprenant un seuil quantitatif minimal de constructions et en excluant de son analyse les zones où toute densification est par ailleurs proscrite.

À cette question, la cour répond par l’affirmative, validant la démarche de l’autorité locale. Elle juge que l’utilisation d’un seuil numérique de bâtiments, lorsqu’il s’insère dans un ensemble de critères cohérents, constitue une méthode pertinente et non entachée d’erreur de droit pour apprécier la densité d’un secteur. La juridiction admet en outre la légalité de l’exclusion, pour des raisons pragmatiques, des secteurs situés dans des espaces où l’urbanisation est de toute façon inconstructible, considérant qu’une telle approche ne constitue pas une méconnaissance des obligations légales.

Cette décision vient ainsi conforter la marge de manœuvre des auteurs de schémas de cohérence territoriale en validant leur approche méthodologique pour l’identification des secteurs déjà urbanisés (I), ce qui confirme par ailleurs l’exercice d’un contrôle juridictionnel restreint sur les choix techniques de planification (II).

I. La validation d’une méthodologie pragmatique pour l’identification des secteurs déjà urbanisés

La cour administrative d’appel légitime l’approche concrète retenue par les planificateurs locaux, en admettant d’une part la pertinence d’un seuil quantitatif pour objectiver la notion de densité (A) et d’autre part en validant l’exclusion de l’analyse des secteurs où toute construction est impossible (B).

**A. La consécration d’une approche multicritère incluant un seuil numérique**

L’arrêt apporte une clarification importante sur la manière dont les critères légaux d’identification des secteurs déjà urbanisés peuvent être traduits dans un document de planification. Les requérants contestaient l’utilisation d’un seuil d’« environ 25 bâtiments » comme critère déterminant, y voyant une erreur de droit. La cour écarte ce raisonnement en soulignant que ce seuil n’est qu’un élément parmi un ensemble plus large de conditions, incluant la continuité du bâti, l’épaisseur du tissu urbain, la desserte par les réseaux et la présence de voirie.

En jugeant que « les critères liés au nombre minimal de constructions et à la superficie minimale des bâtiments à prendre en compte, contrairement à ce qui est soutenu, sont pertinents dans l’appréciation de la densité d’un secteur à analyser et ne sont pas entachés d’erreur de droit », la cour reconnaît que la complexité d’une notion comme la densité urbaine peut justifier le recours à des indicateurs chiffrés. Cette approche permet d’établir des points de référence objectifs et cohérents, offrant une sécurité juridique tant pour l’administration que pour les administrés, et limitant le risque d’une appréciation arbitraire au cas par cas. Le juge valide ainsi une méthode qui, sans se limiter à un seul facteur quantitatif, l’intègre comme un outil pertinent d’analyse.

**B. La légalisation de l’exclusion des secteurs non constructibles**

Le second apport méthodologique de la décision concerne le traitement des secteurs situés intégralement au sein d’espaces proches du rivage. Les requérants interprétaient leur exclusion de l’analyse comme une erreur de droit, estimant que leur localisation ne devait pas constituer un critère d’identification. La cour adopte une lecture différente et pragmatique de l’intention des auteurs du schéma. Elle ne considère pas cette exclusion comme un critère d’identification en soi, mais comme la conséquence logique de l’inconstructibilité de ces zones.

Le juge relève en effet que « les auteurs du schéma de cohérence territoriale ont considéré que dès lors qu’un secteur intermédiaire est intégralement situé dans un espace proche du rivage et ne peut donc accueillir de construction nouvelle, son identification en tant que secteurs déjà urbanisés présente un intérêt particulièrement limité ». En validant cette démarche, la cour approuve une économie de moyens et une recherche d’effectivité de la norme d’urbanisme. Il serait en effet vain d’engager une analyse complexe pour qualifier des secteurs où, en tout état de cause, les possibilités de densification prévues pour les secteurs déjà urbanisés sont inapplicables. Cette solution consacre une approche fonctionnelle de la planification, attachée à l’utilité pratique des qualifications qu’elle opère.

II. La confirmation de l’étendue de la marge d’appréciation de l’autorité de planification

Au-delà de la validation méthodologique, l’arrêt réaffirme avec force la liberté dont jouissent les autorités locales dans l’exercice de leurs compétences de planification. Cette liberté se manifeste par la latitude qui leur est laissée dans la pondération des critères légaux (A) et se trouve protégée par un contrôle juridictionnel qui se limite à la censure des illégalités manifestes (B).

**A. La liberté de pondération des différents critères d’identification**

L’article L. 121-8 du code de l’urbanisme énumère plusieurs caractéristiques distinguant les secteurs déjà urbanisés de l’urbanisation diffuse, telles que la densité, la continuité ou la structuration par les réseaux, en précisant qu’il s’agit de critères « entre autres ». L’arrêt confirme que cette liste n’induit aucune hiérarchie. En effet, la cour prend soin de noter que « la circonstance que le document d’orientations et d’objectifs du schéma de cohérence territoriale ne donne pas à ces deux critères [de densité et de structuration] un caractère prépondérant ne rend pas le schéma incompatible avec les dispositions précitées ».

Cette affirmation est essentielle, car elle confère aux auteurs des documents de planification une souplesse indispensable pour adapter la mise en œuvre de la loi Littoral aux spécificités de leur territoire, conformément à l’esprit de l’article L. 121-3 du même code. Imposer une pondération stricte des critères reviendrait à nier la diversité des configurations locales et à transformer l’obligation de compatibilité en une obligation de conformité. Le juge administratif se garde bien d’une telle immixtion et préserve ainsi le pouvoir d’appréciation des élus locaux dans l’élaboration de leur projet de territoire.

**B. La portée d’un contrôle juridictionnel restreint à l’erreur de droit**

L’ensemble de l’arrêt illustre la posture traditionnelle du juge administratif face aux documents d’urbanisme, qui consiste à n’exercer qu’un contrôle restreint. La cour ne se prononce pas sur l’opportunité d’avoir choisi un seuil de vingt-cinq constructions plutôt qu’un autre chiffre. Elle se limite à constater que ce choix n’est pas « en lui-même de nature à rendre le schéma de cohérence territoriale incompatible » avec la loi. Ce faisant, elle refuse de substituer son appréciation à celle de l’autorité de planification.

Le contrôle se concentre sur l’existence d’une erreur de droit, telle que l’aurait été la prise en compte d’un critère illégal ou le déni de la portée d’une disposition législative. La cour écarte également de manière opérante le moyen tiré d’un critère applicable à la qualification de « villages », car les conclusions des requérants étaient ciblées sur les seuls « secteurs déjà urbanisés ». Cette rigueur dans le raisonnement confirme que le débat devant le juge n’est pas celui de la meilleure stratégie de planification possible, mais bien celui de la légalité des choix opérés. La décision rappelle ainsi que la contestation d’un document aussi technique qu’un schéma de cohérence territoriale exige la démonstration d’une méconnaissance claire de la norme supérieure, et non un simple désaccord sur les orientations retenues.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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