Par un arrêt en date du 11 juillet 2025, la Cour administrative d’appel de Nantes a précisé les conditions dans lesquelles l’autorité administrative peut légalement refuser un permis de construire en se fondant sur les risques pour la sécurité publique engendrés par une desserte insuffisante.
En l’espèce, une société civile immobilière a sollicité un permis de construire pour l’édification de douze garages sur un terrain situé sur le territoire d’une commune littorale. Le maire s’est opposé à ce projet par une décision du 7 juillet 2021, refus qui fut confirmé le 26 octobre 2021 après le rejet du recours gracieux formé par la société. Saisi par cette dernière, le tribunal administratif de Caen a, par un jugement du 16 octobre 2023, rejeté la demande d’annulation de ces décisions. La société a alors interjeté appel de ce jugement, contestant l’appréciation des juges de première instance et soutenant que son projet ne méconnaissait aucune des dispositions d’urbanisme qui lui étaient opposées, notamment celles relatives à la sécurité de la circulation et à la préservation du patrimoine. Se posait ainsi à la cour la question de savoir si l’augmentation du trafic automobile résultant de la création de nouveaux garages sur une voie rurale aux caractéristiques dégradées était de nature à porter une atteinte à la sécurité publique justifiant un refus de permis de construire.
À cette question, la cour répond par l’affirmative. Elle estime que, compte tenu de l’état et de l’étroitesse du chemin desservant le projet, l’augmentation de la circulation engendrée par les douze garages supplémentaires porterait atteinte à la sécurité publique. Par conséquent, la cour juge que le maire n’a pas commis d’erreur d’appréciation en refusant le permis pour ce motif et rejette la requête.
La solution, qui s’inscrit dans une application rigoureuse des règles d’urbanisme, confirme l’étendue du contrôle de l’administration sur la sécurité des accès aux projets de construction (I), tout en offrant une illustration de la méthode du juge administratif face à une décision de refus multi-motivée (II).
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I. L’appréciation du risque pour la sécurité publique lié à la desserte du projet
La décision de la cour administrative d’appel repose entièrement sur l’analyse des conséquences du projet en matière de sécurité routière. Pour ce faire, elle procède à une caractérisation minutieuse de la voie d’accès comme étant inadaptée à l’augmentation du trafic (A), ce qui la conduit à confirmer sans réserve le bien-fondé du pouvoir discrétionnaire exercé par l’autorité administrative (B).
A. La caractérisation d’une voie d’accès inadaptée à l’augmentation du trafic
Le juge d’appel se livre à une analyse concrète et détaillée de la voie desservant le terrain d’assiette du projet pour évaluer le risque invoqué par le maire. Il relève que l’accès est assuré exclusivement par un chemin rural qualifié de voie romaine, dont l’usage est en principe réservé aux piétons, cycles et riverains. La cour s’appuie sur les pièces du dossier, et notamment un constat d’huissier, pour objectiver l’état de cette desserte. Elle souligne ainsi que, bien que carrossable, « la chaussée est usagée et souffre de diverses altérations (effritements, défauts de planéité) ».
Plus encore, c’est la configuration même de la voie qui est jugée incompatible avec l’intensification du trafic motorisé. Le juge note que sa largeur, « comprise entre 2,80 m et 3,10 m », ainsi que la nature de ses accotements, rendent le croisement de deux véhicules de tourisme périlleux et celui avec un engin agricole impossible. Dans ces conditions, la cour considère que le projet, en portant à vingt-cinq le nombre total de véhicules susceptibles d’emprunter ce chemin, « est de nature à porter atteinte à la sécurité des usagers de cette voie pourtant dédiée prioritairement aux piétons et aux cyclistes ». Ce faisant, le juge valide l’analyse du maire quant à la méconnaissance de l’article 1AU3 du règlement du plan local d’urbanisme, lequel subordonne tout projet à une desserte adaptée à l’importance du trafic généré.
B. La confirmation du pouvoir discrétionnaire de l’autorité administrative
En se fondant sur cette analyse factuelle, la cour conclut que « le maire n’a pas commis d’erreur d’appréciation ». Cette formule consacre la légalité de la décision de refus, en reconnaissant à l’autorité compétente une marge d’appréciation pour évaluer l’adéquation d’un projet avec les impératifs de sécurité publique. Le juge administratif exerce ici un contrôle restreint, se limitant à vérifier que l’appréciation du maire n’est pas manifestement erronée au vu des éléments du dossier.
La cour écarte par ailleurs l’ensemble des arguments soulevés par la société requérante, qu’il s’agisse du nombre de garages inférieur à une situation antérieure ou de l’absence d’opposition à une déclaration préalable passée. Elle juge ces circonstances sans incidence sur l’appréciation du projet litigieux au regard des risques qu’il engendre. Cette approche pragmatique réaffirme un principe essentiel du droit de l’urbanisme : chaque autorisation doit être examinée pour elle-même, en fonction de ses caractéristiques propres et de leur impact sur l’environnement existant au moment de la demande. La validation de ce premier motif de refus permet alors à la cour d’appliquer une technique de jugement économique.
II. La portée d’une solution fondée sur une application classique du droit de l’urbanisme
Au-delà de l’espèce, l’arrêt illustre la méthode du juge face à une pluralité de motifs de refus (A) et confirme la prééminence des enjeux de sécurité dans la délivrance des autorisations d’urbanisme, bien que sa portée doive être relativisée (B).
A. L’application de la technique de la neutralisation des motifs
La décision de refus initiale était fondée sur trois motifs distincts : l’atteinte à un élément patrimonial, le risque pour la sécurité publique lié à la desserte, et le non-respect de la réglementation en matière de défense contre l’incendie. Or, après avoir jugé que le motif tiré de l’insuffisance de la desserte justifiait à lui seul le refus du maire, la cour décide d’écarter comme inopérants les moyens dirigés contre les deux autres motifs.
Elle applique pour cela la théorie dite de la substitution de base légale implicite ou, plus simplement, de la neutralisation des motifs surabondants, en considérant qu’« il résulte de l’instruction que le maire aurait pris la même décision s’il s’était fondé sur ce seul motif de nature à la justifier légalement ». Cette technique processuelle permet au juge de ne pas se prononcer sur l’ensemble des fondements d’une décision administrative dès lors qu’un seul d’entre eux suffit à la rendre légale. Elle traduit un souci d’économie des moyens et de sécurité juridique, en validant une décision sans avoir à examiner des arguments potentiellement plus fragiles ou complexes, comme celui relatif à la qualification de la voie romaine en tant qu’élément de patrimoine à préserver.
B. Une décision d’espèce à l’influence jurisprudentielle limitée
Si l’arrêt rappelle avec force que le droit de construire n’est pas absolu et doit se concilier avec les impératifs de sécurité publique, il constitue avant tout une décision d’espèce. La solution est en effet intimement liée aux circonstances factuelles de l’affaire, notamment l’état dégradé et l’étroitesse particulière de la voie de desserte. La portée de cet arrêt comme précédent jurisprudentiel s’en trouve donc nécessairement limitée.
Toutefois, cette décision réaffirme la vigilance du juge administratif quant à la qualité des accès, qui demeurent une condition substantielle de la légalité des permis de construire. Elle sert de rappel à l’intention des pétitionnaires et des constructeurs : la faisabilité d’un projet ne s’évalue pas seulement au regard de la constructibilité d’une parcelle, mais également au regard de sa capacité à s’insérer de manière sécurisée dans son environnement. En définitive, l’arrêt illustre de manière classique l’équilibre que doit opérer l’administration, sous le contrôle du juge, entre le développement urbain et la protection des personnes.