Cour d’appel administrative de Nantes, le 10 janvier 2025, n°23NT02235

Par un arrêt en date du 10 janvier 2025, une cour administrative d’appel s’est prononcée sur la légalité du classement d’une parcelle en zone agricole par un plan local d’urbanisme intercommunal. Cette décision illustre le contrôle exercé par le juge sur les choix de planification et la conciliation entre les objectifs d’urbanisme et la situation particulière des terrains concernés.

En l’espèce, des propriétaires d’une parcelle, précédemment classée en zone d’urbanisation future, ont contesté son nouveau classement en zone agricole par une délibération du 4 février 2020 approuvant un plan local d’urbanisme intercommunal. Cette parcelle de taille modeste, supportant une construction légère de loisirs, se situe à la lisière d’une zone urbanisée et d’un vaste espace agricole. Les requérants ont d’abord formé un recours gracieux, qui fut rejeté. Ils ont ensuite saisi le tribunal administratif de Nantes d’une demande d’annulation de cette classification, laquelle a été rejetée par un jugement du 30 mai 2023. Les propriétaires ont alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que le classement était incompatible avec le schéma de cohérence territoriale, incohérent avec le projet d’aménagement et de développement durables, et entaché d’une erreur manifeste d’appréciation. Se posait donc la question de savoir si le classement en zone agricole d’une parcelle de faible superficie, dépourvue de potentiel agronomique propre mais située en bordure d’un secteur agricole, constitue une erreur manifeste d’appréciation de la part des auteurs du document d’urbanisme. La cour administrative d’appel a répondu par la négative, considérant que le classement se justifiait par la nécessité de préserver les terres agricoles et de créer une zone tampon entre les espaces urbanisés et les zones d’activité agricole intensive. La juridiction a estimé que l’appréciation des auteurs du plan ne pouvait être examinée isolément à l’échelle de la seule parcelle, mais devait s’inscrire dans la logique d’aménagement globale du territoire.

La juridiction d’appel justifie ainsi la légalité du classement contesté en adoptant une approche globale de l’urbanisme (I), ce qui conduit à une consécration pragmatique des objectifs de planification (II).

***

I. La légalité du classement justifiée par une approche globale de l’urbanisme

La cour administrative d’appel valide le choix de l’autorité de planification en refusant de limiter son analyse aux seules caractéristiques de la parcelle litigieuse. Elle écarte ainsi une appréciation purement parcellaire (A) pour privilégier une vision fonctionnelle du zonage (B).

A. Le rejet d’une appréciation à l’échelle de la parcelle

L’arrêt écarte en premier lieu les moyens tirés de l’incompatibilité avec le schéma de cohérence territoriale et de l’incohérence avec le projet d’aménagement et de développement durables. La cour rappelle que la compatibilité d’un plan local d’urbanisme avec le document supérieur s’apprécie globalement. Elle se refuse à comparer isolément une disposition du plan à un objectif du schéma. Le juge doit « rechercher, dans le cadre d’une analyse globale le conduisant à se placer à l’échelle de l’ensemble du territoire couvert en prenant en compte l’ensemble des prescriptions du document supérieur, si le plan ne contrarie pas les objectifs qu’impose le schéma ». La très faible superficie de la parcelle litigieuse, rapportée à l’étendue du territoire de la communauté d’agglomération, rendait inopérante toute argumentation fondée sur ses caractéristiques propres. Ainsi, la circonstance que le terrain aurait pu satisfaire aux critères de l’enveloppe urbaine définis par le schéma ne suffit pas à caractériser une incompatibilité avec les objectifs de limitation de l’étalement urbain et de préservation des espaces agricoles. Ce raisonnement, appliqué de manière identique à la cohérence avec le projet d’aménagement et de développement durables, démontre que le juge se refuse à pratiquer un contrôle micro-localisé de la planification, au profit d’une analyse d’ensemble de la cohérence du projet de territoire.

B. L’intégration de la parcelle dans un secteur fonctionnel

En réponse au moyen tiré de l’erreur manifeste d’appréciation, la juridiction d’appel approfondit son raisonnement en analysant la fonction assignée à la parcelle au sein du zonage. Si le terrain ne présente pas « elle-même d’intérêt agronomique, biologique ou économique pour l’exploitation agricole », son classement en zone agricole n’en est pas pour autant illégal. La cour admet que la légalité du classement s’apprécie au regard de la vocation du secteur dans lequel la parcelle s’insère. Or, il ressort des pièces du dossier que le terrain s’intègre dans un vaste espace naturel et agricole. Surtout, la cour consacre la justification avancée par l’autorité intercommunale, selon laquelle le secteur classé en zone AA2, où se trouve la parcelle, a une finalité spécifique. Ce secteur « constitue un espace tampon séparant la zone urbaine voisine du secteur classé en zone AA1, situé à environ 500 mètres au nord, où sont susceptibles d’être implantées des installations agricoles engendrant des nuisances incompatibles avec la proximité d’habitations ». La parcelle, bien que non agricole, remplit donc une fonction urbanistique de transition et de protection, ce qui justifie son classement et écarte l’erreur manifeste d’appréciation.

II. La consécration pragmatique des objectifs de planification

En validant ce classement, la décision réaffirme la prééminence des objectifs de préservation des terres agricoles (A) tout en confirmant la portée limitée du contrôle juridictionnel en la matière (B).

A. La prééminence de la préservation agricole et de la limitation de l’urbanisation

L’arrêt s’inscrit dans un courant jurisprudentiel et législatif constant visant à lutter contre l’artificialisation des sols et à protéger les espaces agricoles. Le raisonnement du juge donne toute sa force aux objectifs affichés par le schéma de cohérence territoriale et le plan local d’urbanisme intercommunal. La cour reconnaît aux auteurs du plan une large marge d’appréciation pour définir les moyens d’atteindre ces buts. La création de « zones agricoles pérennes » et l’instauration de zones tampons sont ainsi validées comme des outils pertinents de la politique d’aménagement. Le juge administratif ne censure pas un choix de classement qui, bien que potentiellement discutable du point de vue des propriétaires, apparaît comme logiquement et directement connecté à la volonté de structurer le territoire et de maîtriser son développement. Cette solution confirme que les intérêts particuliers, notamment le souhait de voir son terrain devenir constructible, doivent céder le pas devant un projet de territoire cohérent visant à préserver l’activité agricole et les paysages. La protection du potentiel agronomique, biologique ou économique des terres s’entend donc de manière large, incluant les mesures qui permettent d’assurer la pérennité de l’activité agricole en la protégeant des conflits d’usage avec les zones habitées.

B. Une illustration du contrôle restreint de l’erreur manifeste

Cette décision est caractéristique de l’office du juge administratif lorsqu’il contrôle les choix d’urbanisme. Le contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation est un contrôle restreint, qui ne conduit le juge à censurer que les décisions qui sont à l’évidence insoutenables, illogiques ou fondées sur des faits matériellement inexacts. En l’espèce, les auteurs du plan ont opéré un choix cohérent avec leurs objectifs. Le fait que d’autres choix eussent été possibles, comme le maintien en zone à urbaniser ou l’inclusion dans le périmètre urbain, n’est pas suffisant pour qualifier leur décision de manifestement erronée. La cour le souligne en écartant comme sans incidence les arguments selon lesquels « leur parcelle aurait pu faire l’objet d’un classement en zone urbaine » ou « qu’elle était auparavant classée en zone 2AU ». Par cette retenue, le juge respecte le pouvoir d’appréciation qui appartient à l’administration en matière de planification. L’arrêt est donc une décision d’espèce, dont la solution est intimement liée à la justification factuelle et géographique du classement, mais elle réaffirme avec clarté un principe constant : en l’absence d’arbitraire, le juge n’est pas un urbaniste et ne saurait substituer sa propre vision de l’aménagement à celle des autorités démocratiquement élues.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

Laisser un commentaire

En savoir plus sur Avocats en droit immobilier et droit des affaires - Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture