Cour d’appel administrative de Nancy, le 6 février 2025, n°21NC03102

Par un arrêt en date du 6 février 2025, la cour administrative d’appel s’est prononcée sur la légalité du classement d’une parcelle en zone naturelle et forestière par un plan local d’urbanisme intercommunal. En l’espèce, une société civile immobilière était propriétaire d’un terrain situé sur le territoire d’une commune membre d’une communauté d’agglomération. Par une délibération du 18 décembre 2019, l’organe délibérant de cet établissement public de coopération intercommunale a approuvé un plan local d’urbanisme intercommunal, classant la majeure partie de la parcelle concernée en zone naturelle et forestière, plus précisément en secteur NB, correspondant à des réservoirs de biodiversité. Contestant ce classement qui limitait drastiquement ses droits à construire, la société a saisi le tribunal administratif de Besançon d’une demande d’annulation de cette délibération. Par un jugement du 26 octobre 2021, le tribunal a rejeté sa demande. La société a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant principalement que le rapport de présentation du plan était insuffisant, que le classement de sa parcelle était entaché d’une erreur manifeste d’appréciation et qu’il était incohérent avec les orientations du projet d’aménagement et de développement durables. Il revenait donc à la cour administrative d’appel de déterminer si le classement en zone naturelle d’un terrain, fondé sur des considérations écologiques, relevait d’un choix suffisamment justifié et exempt d’erreur manifeste de la part de l’autorité de planification. La cour rejette la requête, considérant que les auteurs du plan disposent d’une large appréciation pour déterminer le parti d’aménagement et que leur choix, en l’occurrence fondé sur des études environnementales précises, n’était entaché d’aucune illégalité.

La décision commentée illustre avec clarté l’étendue du pouvoir d’appréciation reconnu aux auteurs d’un document d’urbanisme dans l’exercice de leur mission de planification territoriale (I), ce pouvoir demeurant néanmoins encadré par des exigences de justification et de cohérence qui garantissent sa légalité (II).

I. La consécration d’un large pouvoir d’appréciation de l’autorité de planification

La cour administrative d’appel confirme le pouvoir discrétionnaire de l’autorité compétente en écartant l’existence d’une erreur manifeste dans le classement opéré (A) et en validant la suffisance des justifications générales du rapport de présentation (B).

A. Le rejet de l’erreur manifeste d’appréciation dans le choix du classement

Le juge administratif exerce un contrôle restreint sur l’opportunité des choix de classement opérés par les auteurs d’un plan local d’urbanisme, ne censurant que l’erreur manifeste d’appréciation. En l’espèce, la société requérante soutenait que sa parcelle constituait une « dent creuse » au sein d’un secteur déjà urbanisé et desservi par les réseaux, rendant son classement en zone naturelle manifestement erroné. La cour écarte cet argument en se fondant sur une analyse concrète de la situation du terrain. Elle relève que la parcelle, « compte-tenu tant de sa superficie de plus de 12 hectares que de sa localisation en bordure de village et à proximité immédiates d’espaces boisés et de la rivière », ne pouvait être qualifiée de simple espace interstitiel. Au contraire, son urbanisation aurait constitué une forme d’étalement urbain, contraire aux objectifs de préservation des espaces naturels poursuivis par le plan. La cour prend soin de noter que l’intérêt écologique du terrain avait été spécifiquement identifié par des études objectives, notamment une étude phytosociologique qui a recensé le site comme un habitat naturel à préserver. Ainsi, face à des éléments probants justifiant la valeur écologique du terrain, les arguments de la requérante relatifs à une occupation passée ou à la perte de valeur vénale de sa propriété sont jugés inopérants. Le juge confirme par là que la protection d’un intérêt écologique avéré prime sur les considérations purement économiques ou sur l’état antérieur du terrain, dès lors que le choix de l’administration n’apparaît pas comme une aberration au vu des éléments du dossier.

B. La validation de la suffisance du rapport de présentation

La requérante invoquait également l’insuffisance du rapport de présentation du plan, estimant qu’il ne justifiait pas spécifiquement le classement de sa parcelle. La cour rappelle la portée de l’article L. 151-4 du code de l’urbanisme, qui impose au rapport de présentation d’expliquer les choix retenus pour établir le règlement, mais n’exige pas une motivation détaillée pour chaque unité foncière du territoire couvert. Le juge considère que le rapport était suffisamment précis en l’espèce, car il exposait clairement les motifs de la création de la zone NB, destinée à « préserver le domaine naturel de toute urbanisation » au sein de « réservoirs de biodiversité ». Le rapport identifiait les secteurs géographiques concernés, comme la vallée de la Loue, et décrivait les types de milieux naturels à protéger, tels que les prairies humides et les abords des cours d’eau. La cour conclut que « les auteurs du plan local d’urbanisme n’étaient pas tenus de justifier dans le rapport de présentation le classement zonal de chaque parcelle du territoire et il ne ressort pas des pièces du dossier que, par son objet ou ses effets, le classement de la parcelle litigieuse aurait dû faire l’objet d’une mention particulière ». Cette solution est classique et pragmatique : exiger une justification parcellaire paralyserait l’élaboration des documents d’urbanisme à grande échelle. L’essentiel est que les critères de délimitation des zones soient clairs, cohérents et justifiés au regard des objectifs généraux du plan.

Si le pouvoir d’appréciation de l’autorité de planification est donc largement reconnu, il n’en demeure pas moins que sa validité repose sur la solidité de ses fondements et sa cohérence interne.

II. Un pouvoir encadré par les exigences de justification et de cohérence

La décision de la cour met en lumière que la légalité du classement en zone naturelle est conditionnée par la pertinence de sa justification environnementale (A) et par une appréciation souple de sa cohérence avec les autres documents du plan (B).

A. Le rôle central de la justification environnementale objective

Au-delà du contrôle de l’erreur manifeste, la cour examine attentivement la matérialité des faits sur lesquels l’administration a fondé sa décision. Le classement en zone NB n’a été validé que parce qu’il reposait sur des données tangibles. La cour relève que le parti d’aménagement s’appuie non seulement sur des inventaires existants, mais également sur « une étude spécifique des habitats naturels et de la flore des milieux ouverts dont la méthodologie, conforme au cahier des charges établi par le conservatoire botanique national de Franche-Comté, a consisté (…) en la réalisation de relevés phytosociologiques de terrain ». Cette expertise externe et méthodologiquement rigoureuse a permis d’identifier précisément la parcelle litigieuse comme présentant une valeur pour la biodiversité. De même, s’agissant de l’identification d’une partie du terrain comme « habitat d’intérêt communautaire », le juge écarte l’argument selon lequel la parcelle n’était pas incluse dans un site Natura 2000, considérant que cette circonstance « ne suffit pas à remettre en cause les conclusions de l’étude des habitats naturels ». La décision enseigne ainsi que la robustesse du volet environnemental d’un plan local d’urbanisme est la meilleure garantie de sa sécurité juridique. Un zonage restrictif pour les droits de propriété sera d’autant plus difficilement contestable qu’il sera étayé par des diagnostics écologiques précis et objectifs, démontrant que le choix de classement n’est pas arbitraire mais répond à un impératif de protection effectif.

B. L’appréciation de la cohérence avec le projet d’aménagement et de développement durables

Enfin, la société requérante soulevait une incohérence entre le classement en zone NB, très restrictif, et le projet d’aménagement et de développement durables (PADD) qui prévoyait le passage de liaisons cyclables sur sa parcelle. Le PADD étant la clef de voûte du plan local d’urbanisme, le règlement doit en principe être cohérent avec ses orientations. Toutefois, la cour adopte une lecture pragmatique de cette exigence. Elle relève d’abord que le document cartographique montrant les futures pistes cyclables n’avait qu’une valeur illustrative, n’étant pas identifié comme une orientation d’aménagement et de programmation (OAP) ayant une portée contraignante. Le juge en déduit que « sa valeur ne saurait être qu’illustrative et n’exclut pas que les itinéraires de liaisons cyclables soient finalement décalés ». Cette analyse témoigne de la hiérarchie des normes au sein même du plan et de la nécessité de ne pas conférer une portée juridique excessive à de simples schémas d’intention. En outre, la cour rappelle que la cohérence avec le PADD doit « s’apprécier de manière globale à l’échelle de l’ensemble du territoire du PLUi ». Le PADD fixant des objectifs parfois contradictoires, comme le développement urbain et la préservation de l’environnement, le règlement opère nécessairement une conciliation. Un classement ponctuel ne saurait être jugé incohérent au seul motif qu’il semble contredire une orientation isolée, dès lors qu’il participe à la réalisation d’un autre objectif fondamental du projet de territoire.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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