Par un arrêt en date du 22 mai 2025, une cour administrative d’appel a été amenée à se prononcer sur la légalité d’un permis de construire contesté par des riverains. En l’espèce, le maire d’une commune avait autorisé un office public de l’habitat à réaliser un projet immobilier comprenant la réhabilitation d’un bâtiment et la construction d’un nouvel immeuble. Des voisins, après avoir vu leur recours gracieux rejeté, ont saisi le tribunal administratif afin d’obtenir l’annulation de ce permis ainsi que du permis modificatif qui s’en est suivi. Le tribunal administratif de Besançon, par un jugement du 11 avril 2024, a rejeté leur demande, considérant que les moyens soulevés n’étaient pas de nature à entraîner l’annulation des autorisations d’urbanisme. Les requérants ont alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que le projet méconnaissait plusieurs dispositions du plan local d’urbanisme relatives tant à l’assainissement des eaux pluviales qu’à l’aspect extérieur des constructions et aux terrassements. Se posaient ainsi à la cour les questions de savoir si, d’une part, les modalités de gestion des eaux pluviales prévues par le projet respectaient les exigences du règlement d’urbanisme et si, d’autre part, les importants remblais projetés pouvaient être regardés comme techniquement indispensables. À ces interrogations, la juridiction d’appel a répondu par la négative, annulant le jugement de première instance ainsi que les permis de construire. Elle a jugé que le projet ne respectait ni les conditions de déversement des eaux pluviales, faute de réseau public adéquat, ni l’obligation de prévoir un dispositif de récupération et de réutilisation de ces eaux. Elle a en outre estimé que la nécessité technique des remblais n’était pas démontrée.
La décision commentée illustre la rigueur avec laquelle le juge administratif contrôle le respect des prescriptions d’urbanisme, particulièrement lorsqu’elles touchent à la protection de l’environnement. Il convient ainsi d’examiner la censure des violations relatives à la gestion des eaux pluviales (I), avant d’analyser celle portant sur l’interdiction des modifications non justifiées du terrain naturel (II).
I. La primauté réaffirmée des prescriptions environnementales du plan local d’urbanisme
La cour administrative d’appel exerce un contrôle méticuleux des règles d’urbanisme visant la gestion des eaux, en examinant d’une part le respect des modalités de leur évacuation (A) et d’autre part l’effectivité des obligations de récupération (B).
A. Le contrôle scrupuleux des conditions d’évacuation des eaux pluviales
Le règlement du plan local d’urbanisme applicable imposait, par son article UA 4, le principe de l’infiltration des eaux pluviales sur la parcelle du projet. Ce n’est qu’en cas d’impossibilité technique démontrée que ces eaux pouvaient être déversées dans un réseau séparatif. En l’espèce, le pétitionnaire avait produit une étude géotechnique concluant à une très faible perméabilité des sols, justifiant ainsi le recours à la dérogation. Toutefois, la cour relève que cette dérogation était elle-même conditionnée à l’existence d’un réseau de collecte des eaux pluviales de type séparatif. Or, elle constate que la rue où se situe le projet en est dépourvue.
La juridiction en déduit que le projet méconnaît les dispositions du règlement, car la seconde condition pour l’application de l’exception n’est pas remplie. Elle affirme ainsi que « ces dispositions ne peuvent trouver à s’appliquer qu’en présence d’un réseau séparatif de collecte des eaux pluviales dont il ressort des pièces du dossier qu’il est inexistant ». En adoptant cette position, la cour rappelle que les conditions posées par les règles d’urbanisme sont cumulatives et que l’impossibilité de satisfaire à la prescription principale ne dispense pas du respect des conditions de la prescription subsidiaire. L’absence de l’infrastructure publique requise fait donc obstacle à la légalité du projet, peu important que le pétitionnaire n’ait aucune maîtrise sur sa réalisation. Cette solution, rigoureuse, souligne que la protection de la ressource en eau et la prévention des risques d’inondation constituent des objectifs que le juge ne saurait écarter au nom de considérations purement techniques ou économiques propres au projet.
B. L’interprétation finaliste de l’obligation de récupération des eaux de pluie
Au-delà de la question de l’évacuation, le même article UA 4 du règlement d’urbanisme imposait la mise en place d’un dispositif de stockage et de récupération des eaux de pluie en vue de leur réutilisation. Le projet prévoyait un bassin enterré sous la voirie, destiné à stocker temporairement les eaux avant leur rejet. La cour considère que cet aménagement ne répond pas à l’exigence réglementaire. Elle juge que ce bassin, qui « a une simple fonction de réservoir tampon », ne peut être assimilé à un dispositif permettant une réutilisation effective des eaux collectées.
Pour parvenir à cette conclusion, la cour se réfère explicitement aux finalités de la norme, en rappelant que le règlement renvoie à un arrêté ministériel précisant les usages possibles de l’eau de pluie récupérée. Il s’agit d’une interprétation téléologique qui dépasse la simple vérification de l’existence d’une capacité de stockage. Le juge recherche si le dispositif est conçu pour permettre une valorisation de la ressource, conformément à l’esprit de la réglementation. Un simple bassin de rétention, visant uniquement à réguler le débit de fuite vers le réseau public, ne satisfait pas à cette obligation. Cette analyse promeut une approche qualitative et fonctionnelle de la gestion de l’eau dans les projets de construction, incitant les constructeurs à intégrer de véritables solutions d’économie circulaire plutôt que de simples palliatifs techniques.
II. La sanction rigoureuse des atteintes non justifiées au terrain naturel
Après avoir sanctionné les manquements aux règles de gestion des eaux, la cour s’attache à contrôler le respect du terrain naturel. Elle confirme la nécessité d’une justification technique stricte pour les terrassements (A), ce qui la conduit à prononcer l’annulation face à un vice jugé non régularisable (B).
A. L’appréciation stricte de la nécessité technique des remblais
L’article UA 11 du règlement local d’urbanisme disposait que les constructions devaient s’adapter au terrain naturel et que les déblais et remblais devaient être limités à ce qui est « techniquement indispensable ». Le projet litigieux prévoyait des remblais importants, justifiés par la commune et le pétitionnaire comme étant nécessaires à la stabilité du bâtiment et à l’aménagement de ses accès. La cour écarte cette argumentation, relevant que les pièces du dossier ne contiennent aucun élément probant à cet égard.
Au contraire, elle observe que ces terrassements semblent avoir pour finalité principale « de permettre la création de jardins privatifs pour les logements situés en rez-de-chaussée ». Une telle motivation, liée à l’agrément des futurs occupants, ne saurait caractériser une nécessité technique impérieuse. La cour estime en conséquence que « la nécessité technique de ces remblais n’est pas établie ». Cette analyse place la charge de la preuve sur le pétitionnaire, qui doit démontrer de manière circonstanciée le caractère indispensable des modifications du profil du terrain. Le juge administratif réaffirme ici que la préservation des sites et des paysages prime sur les considérations de confort ou de convenance, et qu’une autorisation d’urbanisme ne peut légalement permettre des altérations substantielles du sol qui ne seraient pas justifiées par des contraintes constructives avérées.
B. Le caractère inéluctable de l’annulation face à un vice non régularisable
La censure de ces multiples illégalités conduit la cour à s’interroger sur la possibilité d’une régularisation, notamment par le biais des dispositions de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme qui permettent au juge de surseoir à statuer pour laisser le temps au pétitionnaire de corriger un vice. Concernant les illégalités relatives à la gestion des eaux pluviales, la cour adopte une position dirimante. Elle constate que le vice lié à l’absence de réseau séparatif public ne peut être corrigé par le seul pétitionnaire.
Face à ce constat, et « en l’absence de toute perspective quant à la mise en place d’un réseau séparatif de collecte des eaux pluviales », elle juge que le vice n’est pas régularisable. Cette impossibilité de régularisation d’un des vices majeurs du projet rend inutile l’examen de la régularisabilité des autres illégalités et la conduit à prononcer l’annulation pure et simple des autorisations de construire. Cette décision marque une limite claire au pouvoir de modulation du juge : si la loi l’incite à sauver les permis de construire chaque fois que possible, cette faculté disparaît lorsque le vice est structurel et dépend d’une action de la puissance publique elle-même, dont la réalisation n’est ni certaine ni prochaine. L’annulation redevient alors la sanction logique et nécessaire de l’illégalité constatée.