Cour d’appel administrative de Nancy, le 19 décembre 2024, n°22NC00068

Une société civile immobilière, détenue majoritairement par une société de capitaux, a fait l’objet d’une vérification de comptabilité à la suite de laquelle l’administration fiscale a procédé à des rehaussements d’impôt sur les sociétés au titre des années 2014 et 2015. L’administration a notamment considéré que la levée de l’option d’achat d’un immeuble pris en crédit-bail par la société civile constituait une cessation d’activité relevant des bénéfices non commerciaux, entraînant l’imposition d’une plus-value importante. Elle a en outre refusé la déduction d’amortissements et de certaines charges financières, et a appliqué une majoration de cent pour cent pour opposition à contrôle fiscal. La société holding, après avoir vainement contesté ces impositions devant le tribunal administratif de Strasbourg par un jugement du 30 novembre 2021, a interjeté appel. Le litige portait principalement sur la qualification fiscale de l’opération de levée d’option et sur la justification des pénalités. La question de droit centrale était de déterminer si les conséquences fiscales de la levée d’option d’un contrat de crédit-bail par une société de personnes devaient être évaluées selon les règles des bénéfices non commerciaux, en raison de la nature de son activité, ou selon celles des bénéfices industriels et commerciaux, en raison du régime fiscal de son associé principal. Par sa décision du 19 décembre 2024, la cour administrative d’appel censure l’analyse de l’administration sur le point de la plus-value, estimant que le régime fiscal de l’associé soumis à l’impôt sur les sociétés impose de retenir les règles des bénéfices industriels et commerciaux. Elle confirme cependant le rejet des déductions d’amortissements non comptabilisés et le bien-fondé de la pénalité pour opposition à contrôle. Si la cour rappelle ainsi la primauté du régime fiscal de l’associé dans la détermination du bénéfice de la société de personnes (I), elle confirme par ailleurs l’application rigoureuse des conditions formelles de déduction et de sanction (II).

I. La primauté du régime fiscal de l’associé dans la détermination du résultat

La décision commentée clarifie l’interaction entre le régime des sociétés de personnes et celui de leurs associés soumis à l’impôt sur les sociétés, en censurant l’analyse de l’administration qui se fondait sur la nature de l’activité de la filiale (A) pour réaffirmer la prévalence des règles applicables à l’associé (B).

A. La censure d’une qualification fiscale fondée sur l’activité de la société de personnes

L’administration fiscale avait considéré que la levée de l’option d’achat par la société civile immobilière entraînait un changement de son activité, passant de la sous-location de locaux nus à une activité de location. Elle en avait déduit une cessation d’activité relevant de la catégorie des bénéfices non commerciaux, en vertu de l’article 93 du code général des impôts. Cette analyse a conduit le service à imposer une plus-value professionnelle en application de l’article 93 quater du même code, calculée sur la base de la différence entre la valeur vénale de l’immeuble et son prix de revient. La cour relate précisément ce raisonnement : le service « a estimé que la levée de l’option d’achat sur l’immeuble qu’elle avait pris en crédit-bail constituait une cessation de son activité de sous-location de locaux nus, relevant de la catégorie d’imposition à l’impôt sur le revenu de l’article 93 du code général des impôts et occasionnant l’imposition d’une plus-value ». Cette approche, bien que reposant sur une analyse de l’activité intrinsèque de la société civile, méconnaissait les règles spécifiques applicables aux sociétés fiscalement translucides lorsque leurs parts sont détenues par une personne morale soumise à l’impôt sur les sociétés.

B. L’application déterminante des règles des bénéfices industriels et commerciaux

La cour administrative d’appel rappelle le mécanisme prévu par l’article 238 bis K du code général des impôts. Ce texte établit que lorsque les droits d’une société de personnes sont détenus par une personne morale passible de l’impôt sur les sociétés, la part de bénéfice revenant à cette dernière est déterminée selon les règles applicables au bénéfice réalisé par l’entreprise qui détient les droits. La juridiction en tire la conséquence logique pour l’affaire en cause, indiquant que « dès lors que la société Holding (…) est soumise à l’impôt sur les sociétés, c’est au regard des règles applicables aux bénéfices industriels et commerciaux que les éventuelles conséquences fiscales du transfert de propriété résultant de la levée d’option d’achat du contrat de crédit-bail auraient dû être appréciées ». Par cette motivation, la cour réaffirme le principe d’attraction du régime fiscal de l’associé. La nature de l’activité de la société de personnes devient secondaire pour la détermination des règles d’imposition de la quote-part de résultat revenant à l’associé soumis à l’impôt sur les sociétés. En annulant l’imposition de la plus-value, l’arrêt illustre de manière pédagogique la portée de ce principe et garantit une cohérence dans le traitement fiscal des bénéfices au sein des groupes de sociétés.

II. Une application rigoureuse des exigences formelles et procédurales

Si la société requérante a obtenu gain de cause sur la question de principe, la cour rejette ses autres prétentions en se fondant sur un formalisme strict, tant en ce qui concerne les conditions de déduction des charges (A) qu’en matière de sanction de l’obligation de coopération du contribuable (B).

A. L’exigence d’une comptabilisation effective pour la déduction des amortissements

La société demandait la déduction des amortissements afférents aux éléments d’actif de la société civile immobilière pour les exercices 2014 et 2015. La cour rejette fermement cette demande en se fondant sur les dispositions combinées des articles 39 et 39 B du code général des impôts. Elle rappelle que la déduction du bénéfice imposable n’est ouverte qu’aux « amortissements réellement effectués par l’entreprise ». Or, la juridiction constate qu’il « résulte, toutefois, de l’instruction que la SCI (…) ne dispose d’aucune comptabilité et n’a inscrit aucune dotation aux amortissements au titre des années litigieuses ». L’absence de toute inscription comptable fait donc obstacle à toute déduction, peu important la réalité de la dépréciation économique de l’actif. De même, le rejet de la déduction des frais financiers liés à l’acquisition des parts sociales repose sur une logique formelle, la cour relevant que ces frais ont été supportés par la société holding et non par la société civile elle-même, qui seule aurait pu les déduire de son propre résultat si la charge lui avait incombé.

B. La confirmation du bien-fondé de la pénalité pour opposition à contrôle fiscal

La société requérante contestait la majoration de cent pour cent pour opposition à contrôle fiscal, arguant que son attitude n’avait pas réellement fait obstacle au contrôle puisque les bénéfices provenaient d’une filiale dont la comptabilité avait été, elle, vérifiée. La cour écarte cet argument en soulignant qu’il « n’appartient cependant pas au contribuable d’apprécier l’opportunité de la vérification de comptabilité entreprise à son égard ». L’arrêt établit que l’obstruction au contrôle de la société holding est un fait matériel distinct et indépendant de la coopération manifestée au niveau de sa filiale. Le fait que le représentant légal se soit soustrait à plusieurs reprises aux rendez-vous fixés par le vérificateur et ait déclaré ne détenir aucun document comptable suffit à caractériser l’opposition à contrôle fiscal. La cour confirme ainsi que chaque entité juridique a des obligations fiscales propres et que le manquement de l’une ne saurait être excusé par la diligence de l’autre. La pénalité, prévue par l’article 1732 du code général des impôts, est donc jugée comme étant la conséquence automatique de la mise en œuvre de la procédure d’évaluation d’office et non comme une sanction disproportionnée.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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