La décision rendue par la Cour administrative d’appel le 8 juillet 2025 offre un éclairage précis sur les conséquences juridiques du transfert de compétences entre une commune et un établissement public de coopération intercommunale, spécifiquement en ce qui concerne le sort des biens nécessaires à l’exercice de ces compétences. En l’espèce, une métropole s’est vue privée par une délibération municipale de la jouissance de terrains qui lui avaient été conventionnellement mis à disposition pour la réalisation d’un grand projet de voirie. Ces conventions faisaient suite à un transfert de la compétence « voirie » de la commune vers l’établissement public, prédécesseur de la métropole. Saisi par cette dernière, le tribunal administratif a jugé la délibération municipale non seulement illégale mais inexistante, sanction d’une particulière gravité. La commune a interjeté appel de ce jugement, soutenant que les terrains n’avaient pas fait l’objet d’une mise à disposition automatique par l’effet de la loi et que la résiliation des conventions était justifiée par un motif d’intérêt général. Se posait ainsi la question de savoir si une délibération par laquelle une commune met fin à la mise à disposition de biens nécessaires à l’exercice d’une compétence transférée est entachée d’un vice d’une gravité telle qu’elle doit être regardée comme un acte inexistant, ou si elle encourt la sanction de l’annulation. La Cour administrative d’appel répond que, si une telle délibération est bien illégale en ce qu’elle méconnaît les effets du transfert de compétence, cette illégalité, aussi grave soit-elle, ne justifie pas de la déclarer inexistante mais conduit à son annulation. La juridiction d’appel réforme donc le jugement de première instance sur la nature de la sanction, tout en confirmant le caractère illicite de l’acte municipal.
L’arrêt permet ainsi de réaffirmer le caractère impératif de la mise à disposition des biens liés à une compétence transférée (I), tout en précisant la nature de la sanction applicable en cas de méconnaissance de ce principe par la commune anciennement compétente (II).
I. La confirmation du principe de mise à disposition de plein droit des biens nécessaires aux compétences transférées
La Cour rappelle avec force que les biens communaux indispensables à une compétence transférée suivent le sort de celle-ci, une affectation qui s’apprécie au regard de leur destination (A) et qui se perpétue à travers les réformes institutionnelles successives (B).
A. L’incorporation des parcelles au domaine public par leur affectation future
Le juge administratif opère une analyse rigoureuse pour déterminer si les terrains en cause relevaient du régime de la mise à disposition automatique. Il établit que la majorité de ces parcelles, bien que n’étant pas encore aménagées, avaient été acquises par la commune dans le but spécifique de réaliser une voie de circulation. Cette finalité préétablie suffit à elle seule à caractériser leur appartenance au domaine public routier communal. Comme le souligne l’arrêt, « L’affectation de ces parcelles à la circulation terrestre, pour les besoins de laquelle elles étaient destinées à recevoir un aménagement spécial, a eu pour effet de leur conférer, dès leur acquisition par la commune de Marseille, le caractère d’une dépendance du domaine public communal ». Ce faisant, la Cour confirme une conception finaliste de l’affectation, où l’intention de la personne publique et la destination future du bien priment sur son état matériel présent pour déterminer son incorporation au domaine public. Cette solution assure la cohérence de l’action administrative en garantissant que les moyens fonciers suivent la compétence à laquelle ils sont destinés.
B. La continuité de l’affectation au gré des successions d’établissements publics
L’arrêt retrace ensuite avec précision le parcours institutionnel des compétences et des biens associés. La compétence « voirie », initialement communale, a été transférée à une communauté urbaine, puis à la métropole qui lui a succédé. La Cour juge que les biens affectés à cette compétence ont suivi le même cheminement par l’effet de la loi. Elle précise que « la substitution de plein droit d’une métropole à une communauté urbaine (…) a pour effet de transférer à la métropole les immeubles nécessaires à l’exercice de cette compétence et précédemment affectés de plein droit à la communauté urbaine ». Cette continuité assure la pérennité de l’exercice des compétences intercommunales, en évitant toute discontinuité préjudiciable à l’intérêt général. Par conséquent, les conventions de mise à disposition signées ultérieurement entre la commune et la métropole étaient superfétatoires, ne faisant que constater une situation juridique déjà établie par la loi. La commune ne pouvait donc légalement prétendre y mettre fin, son acte constituant une tentative de réappropriation d’une prérogative qu’elle avait perdue.
II. La requalification de la sanction : de l’inexistence à l’annulation
Après avoir solidement établi l’illégalité de la délibération, la Cour se penche sur la sanction appropriée. Elle écarte la solution radicale de l’inexistence retenue en première instance (A) pour lui préférer celle, plus classique mais tout aussi efficace, de l’annulation (B).
A. Le rejet de la théorie de l’inexistence en l’espèce
Le tribunal administratif avait considéré le vice affectant la délibération comme étant d’une gravité telle qu’il justifiait de la déclarer inexistante. Cette sanction, la plus sévère qui soit, est réservée par la jurisprudence à des hypothèses exceptionnelles, telles qu’un acte pris par une personne n’ayant aucune qualité pour agir au nom de l’administration ou un acte au contenu manifestement insusceptible de se rattacher à l’exercice d’un pouvoir administratif. Or, la Cour d’appel adopte une position plus mesurée. Elle estime que si la commune a bien agi en méconnaissance de la répartition des compétences, son acte ne présente pas le degré de gravité extrême qui justifierait de le tenir pour néant. L’arrêt énonce clairement que « Une telle illégalité est ainsi de nature à justifier, compte tenu de son degré de gravité, non pas la déclaration d’inexistence de cette délibération, mais son annulation totale ». En agissant, la commune exerçait bien une prérogative de puissance publique, même si elle le faisait en dehors de son champ de compétence matériel. L’acte n’était donc pas dépourvu de toute apparence d’acte administratif.
B. La consécration de l’annulation comme sanction adéquate
En substituant l’annulation à l’inexistence, la Cour fait preuve d’une orthodoxie juridique et d’une volonté de ne pas banaliser une théorie aux effets particulièrement dérogatoires. L’annulation contentieuse, qui entraîne la disparition rétroactive de l’acte, constitue la sanction de droit commun de l’excès de pouvoir et s’avère parfaitement adaptée pour censurer l’illégalité commise. Elle suffit à rétablir la légalité en privant la délibération de tout effet juridique et en confirmant que la métropole n’a jamais cessé d’être l’affectataire légal des terrains. Cette décision a une portée pédagogique importante. Elle rappelle aux collectivités territoriales que le transfert de compétences emporte des conséquences définitives et irréversibles sur les biens qui y sont attachés. Elle indique également aux juges qu’un conflit de compétence entre deux personnes publiques, aussi caractérisé soit-il, ne doit pas nécessairement conduire à la mise en œuvre de la théorie de l’inexistence, l’annulation demeurant la sanction de principe pour garantir le respect de la légalité administrative.