Par un arrêt en date du 23 mai 2025, la Cour administrative d’appel a été amenée à se prononcer sur la légalité d’un arrêté préfectoral accordant un enregistrement au titre de la législation sur les installations classées pour la protection de l’environnement. La question centrale de cette affaire résidait dans la dissimulation, par le pétitionnaire, d’informations relatives à la précarité de sa maîtrise foncière.
Une société exploitant une installation de concassage et de criblage, dont l’activité dépassait les seuils autorisés, a été mise en demeure de régulariser sa situation administrative. En réponse, elle a sollicité l’enregistrement de ses installations, procédure simplifiée d’autorisation. L’administration préfectorale a fait droit à cette demande. Cependant, la commune sur le territoire de laquelle se situait l’installation a contesté la légalité de cet arrêté devant le tribunal administratif de Toulon, qui a prononcé son annulation. La société exploitante a alors interjeté appel de ce jugement. Devant la Cour, l’entreprise soutenait principalement l’irrecevabilité de la demande de première instance, arguant de l’incompétence du maire pour agir en justice et de la tardiveté du recours. Sur le fond, elle contestait toute illégalité de son projet. La commune, pour sa part, concluait au rejet de la requête et soulevait notamment l’existence d’une fraude tenant à l’absence de maîtrise foncière du terrain d’assiette du projet.
Il revenait ainsi au juge d’appel de déterminer si la dissimulation intentionnelle par le demandeur à un enregistrement de l’absence de titre l’autorisant à occuper le terrain d’assiette de son projet était constitutive d’une fraude de nature à vicier l’autorisation administrative.
La Cour administrative d’appel rejette la requête de la société. Elle juge que si l’action de la commune était bien recevable, l’arrêté préfectoral a en revanche été obtenu par fraude. La Cour relève que le pétitionnaire a délibérément omis d’informer l’administration que son titre d’occupation du terrain, appartenant à la commune, n’avait pas été renouvelé. Cette manœuvre, visant à tromper l’administration sur un élément substantiel de la demande, justifie l’annulation de l’autorisation.
Cette décision permet de rappeler les conditions de recevabilité d’une action contentieuse engagée par une commune (I), avant de consacrer une conception exigeante de la loyauté du pétitionnaire quant à sa maîtrise foncière (II).
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I. La recevabilité de l’action communale, une application rigoureuse des règles procédurales
La Cour, avant d’examiner le fond du litige, a dû répondre aux fins de non-recevoir soulevées par la société requérante. Elle confirme la recevabilité de la demande de première instance en validant la compétence du maire pour ester en justice (A) et en écartant la tardiveté du recours (B).
A. L’interprétation extensive de la délégation de pouvoir au maire
La société appelante contestait la capacité du maire à intenter une action en justice au nom de la commune. Elle mettait en cause la portée de la délibération du conseil municipal ayant délégué cette compétence. Le juge administratif rappelle que selon l’article L. 2122-22 du code général des collectivités territoriales, le maire peut être chargé par délégation « d’intenter au nom de la commune les actions en justice ou de défendre la commune dans les actions intentées contre elle, dans les cas définis par le conseil municipal ». En l’espèce, la délibération litigieuse se bornait à reprendre les termes de cet article tout en précisant que « la délégation s’exerce dans tous les cas ». La Cour en déduit logiquement qu’en l’absence de toute mention restrictive, cette délégation présentait bien un caractère général. Le maire était par conséquent pleinement compétent pour saisir le tribunal administratif afin de contester l’arrêté préfectoral, sans qu’une nouvelle autorisation du conseil municipal fût nécessaire pour cette action spécifique. Cette solution, conforme à une jurisprudence constante, favorise une bonne administration de la commune en permettant à son exécutif d’agir avec célérité pour la défense de ses intérêts.
B. La charge de la preuve en matière de délai de recours
La requérante soutenait également que l’action de la commune avait été introduite tardivement, au-delà du délai de quatre mois prévu par l’article R. 514-3-1 du code de l’environnement. La Cour rappelle le mécanisme de déclenchement de ce délai, qui court à compter du premier jour de l’accomplissement de la dernière des formalités de publicité, à savoir la publication de l’arrêté sur le site internet de la préfecture et son affichage en mairie. Le juge relève que « le délai de recours de quatre mois qu’elles instituent court à compter du premier jour de la publication ou du premier jour de l’affichage s’il est plus tardif ». Or, la société n’apportait aucun élément de preuve permettant d’établir la date à laquelle ces mesures de publicité avaient été effectuées. Il lui appartenait, en tant que partie qui soulevait l’irrecevabilité, de démontrer que le recours était tardif. En l’absence de cette preuve, la Cour ne pouvait que rejeter ce moyen. Cette approche garantit la sécurité juridique des tiers et préserve leur droit à un recours effectif en faisant peser la charge de la preuve sur celui qui entend se prévaloir de la forclusion.
II. La sanction de la déloyauté du pétitionnaire, une conception matérielle de la maîtrise foncière
Une fois la recevabilité de l’action confirmée, la Cour se concentre sur le moyen tiré de la fraude, qui s’avère décisif. Elle consacre l’obligation de sincérité du pétitionnaire sur ses droits d’usage du sol (A), ce qui la conduit à caractériser la manœuvre et à en tirer les conséquences sur la légalité de l’acte (B).
A. L’exigence d’un droit d’usage effectif du terrain d’assiette
L’argumentation du juge repose sur une distinction subtile mais fondamentale. En principe, les textes régissant les demandes d’enregistrement d’installations classées, notamment l’article R. 512-46-4 du code de l’environnement, n’exigent pas du pétitionnaire qu’il fournisse un titre de propriété ou un bail. Cette souplesse procédurale vise à ne pas faire de la question foncière un obstacle prématuré au processus d’autorisation administrative. Toutefois, la Cour affirme avec force que cette absence d’exigence formelle ne dispense pas le demandeur de toute obligation quant à la réalité de ses droits. Le juge souligne que le régime des installations classées peut imposer des obligations au propriétaire du terrain, notamment en matière de remise en état du site. Il en résulte que « le pétitionnaire, lorsqu’il n’est pas propriétaire du terrain d’assiette, doit détenir le droit d’y réaliser son projet ou avoir engagé une procédure pour l’obtenir lorsqu’il dépose sa demande d’enregistrement ». L’administration doit pouvoir s’assurer que l’exploitant dispose d’une maîtrise suffisante du site pour assumer ses responsabilités futures.
B. La caractérisation de la manœuvre frauduleuse et son annulation
Le raisonnement de la Cour culmine dans l’application de ce principe aux faits de l’espèce. La société avait joint à son dossier une convention d’occupation précaire, laissant entendre qu’elle disposait d’un droit sur le terrain. Cependant, elle avait sciemment omis de mentionner que la commune propriétaire l’avait informée de son intention de ne pas renouveler cette convention et lui avait demandé de libérer les lieux. Plus encore, elle avait fallacieusement évoqué un renouvellement systématique de cette convention par le passé pour accréditer l’idée d’une stabilité de sa situation. La Cour qualifie cette présentation trompeuse de « manœuvre de nature à induire l’administration en erreur ». Une telle dissimulation, portant sur un élément essentiel à l’appréciation de la pérennité de l’exploitation, constitue une fraude. Conformément à l’adage *Fraus omnia corrumpit*, la décision obtenue par de tels procédés est nécessairement illégale. Cet arrêt réaffirme avec clarté que la loyauté et la sincérité des déclarations du pétitionnaire sont une condition substantielle de la légalité des autorisations d’urbanisme et environnementales, au-delà du simple respect formel des pièces à produire.