Cour d’appel administrative de Marseille, le 22 janvier 2025, n°23MA00816

Par un arrêt en date du 22 janvier 2025, la cour administrative d’appel se prononce sur l’étendue du droit à réparation du bénéficiaire d’un permis de construire illégalement délivré par une commune.

En l’espèce, des époux ont acquis un terrain sur le territoire d’une commune, assorti d’un permis de construire autorisant une maison individuelle, permis qui leur fut transféré. Saisis par des voisins, le tribunal administratif puis la cour administrative d’appel ont annulé ce permis de construire pour erreur manifeste d’appréciation au regard des règles d’urbanisme. Parallèlement, une longue procédure judiciaire a conduit à l’annulation de la vente du terrain et à des condamnations pécuniaires partielles à l’encontre de la venderesse, de l’architecte et du notaire. Estimant leur préjudice insuffisamment réparé, les époux ont alors recherché la responsabilité pour faute de la commune ayant délivré l’acte annulé. Le tribunal administratif, après avoir sursis à statuer dans l’attente des décisions judiciaires, a condamné la commune à verser une indemnité limitée. Les époux ont interjeté appel de ce jugement afin d’obtenir une indemnisation supérieure, tandis que la commune, par la voie de l’appel incident, en a demandé l’annulation et le rejet de toute condamnation.

Il était donc demandé à la cour administrative d’appel de déterminer dans quelle mesure les différents chefs de préjudice invoqués par les titulaires d’une autorisation d’urbanisme illégale pouvaient être considérés comme une conséquence directe et certaine de la faute commise par l’administration.

La cour administrative d’appel répond en confirmant la responsabilité de principe de la commune, tout en adoptant une approche restrictive de l’évaluation des préjudices indemnisables. Elle juge que si la délivrance d’un permis illégal constitue bien une faute, seules les conséquences directes de celle-ci peuvent être réparées. En application de ce principe, elle écarte l’ensemble des préjudices économiques et financiers invoqués, faute de preuve d’un lien de causalité suffisant, mais admet l’indemnisation des troubles dans les conditions d’existence et du préjudice moral, ramenant ainsi le montant de la condamnation prononcée en première instance à une somme de dix mille euros.

I. La réaffirmation d’une responsabilité de principe encadrée par l’exigence du lien de causalité

La juridiction d’appel commence par établir fermement le principe de la responsabilité de l’administration pour la délivrance d’une autorisation d’urbanisme illégale (A), avant de rappeler que cette responsabilité ne peut être engagée que si un lien de causalité direct et certain avec le préjudice est démontré (B).

A. La faute incontestée de l’administration résultant de l’illégalité du permis de construire

La cour rappelle de manière didactique le principe selon lequel « toute illégalité est constitutive d’une faute ». L’annulation définitive du permis de construire par le juge de l’excès de pouvoir suffit donc à caractériser la faute de la commune, ouvrant la voie à une action en responsabilité. Cette position constante du juge administratif ancre solidement l’obligation pour les autorités publiques de s’assurer de la légalité des actes qu’elles édictent, sous peine de devoir en assumer les conséquences dommageables.

Face à cette faute, la commune tentait de s’exonérer en invoquant, d’une part, une prétendue fraude du pétitionnaire initial, et d’autre part, une négligence fautive des acquéreurs. La cour écarte ces deux arguments de manière rigoureuse. Concernant la fraude, elle relève que ce moyen avait déjà été soulevé et écarté lors du contentieux de l’annulation, liant ainsi son appréciation. S’agissant de la prétendue imprudence des victimes, qui n’auraient pas vérifié le caractère définitif du permis, la cour considère qu’elles pouvaient « raisonnablement espérer » que le notaire, professionnel garant de la sécurité juridique de la transaction, les aurait informées d’un tel risque. La condamnation de cet officier public par le juge judiciaire vient d’ailleurs corroborer cette analyse et priver la commune de toute cause d’exonération à ce titre.

B. La subordination de la réparation à la preuve d’un lien de causalité direct et certain

Si la faute de la commune est établie, l’indemnisation n’est pas automatique. L’arrêt met en exergue le rôle de filtre du lien de causalité, qui doit être direct et certain entre l’illégalité fautive et chacun des préjudices invoqués. Cette exigence classique du droit de la responsabilité administrative est ici appliquée avec une particulière méticulosité, conduisant le juge à examiner chaque chef de dommage de manière distincte pour vérifier s’il découle bien de la seule faute de l’administration.

La démarche de la cour illustre que la reconnaissance d’une faute n’emporte pas réparation de l’ensemble des déconvenues subies par la victime. Il appartient à cette dernière de prouver, pour chaque poste de préjudice, qu’il n’aurait pas existé sans l’illégalité commise. C’est à l’aune de ce critère strict que les juges d’appel vont procéder à une évaluation restrictive des demandes des requérants, distinguant nettement les dommages matériels non avérés des troubles moraux incontestables.

II. Une appréciation restrictive des préjudices réparables

L’application concrète des principes de la responsabilité conduit la cour à rejeter la quasi-totalité des préjudices financiers allégués (A), pour ne retenir qu’une indemnisation symbolique au titre des préjudices personnels (B).

A. Le rejet des préjudices économiques et financiers faute de preuve

La cour opère un tri sévère parmi les demandes d’indemnisation financière. Le préjudice le plus important, tiré du manque à gagner résultant de l’impossibilité de réaliser l’opération de construction, est écarté par une motivation de principe. Le juge affirme que les requérants « doivent être regardés comme n’ayant jamais obtenu un droit à construire », et que par conséquent, « le bénéfice qu’ils auraient pu retirer de la construction envisagée serait résulté d’une opération elle-même illégale ». La réparation ne saurait donc couvrir un gain espéré d’une situation illicite.

Pour les autres frais, la cour se livre à un contrôle minutieux des pièces justificatives produites. Sont ainsi rejetés les frais de remboursement anticipé du prêt, les frais de géomètre, les frais de justice et la taxe d’urbanisme, au motif que les requérants n’apportent pas la preuve de la réalité des dépenses ou de leur lien direct avec l’illégalité du permis. Les annotations manuscrites sur des relevés bancaires ou des factures sont jugées insuffisantes, tout comme les notes d’honoraires trop laconiques. Cette exigence probatoire, si elle peut paraître sévère, rappelle que le juge ne peut statuer qu’au vu des éléments concrets qui lui sont soumis et ne peut suppléer la carence des parties dans l’administration de la preuve.

B. La reconnaissance limitée aux seuls troubles dans les conditions d’existence

En contraste avec sa rigueur sur le terrain des préjudices matériels, la cour admet l’existence d’un préjudice moral et de troubles dans les conditions d’existence. Elle reconnaît que les requérants « ont connu de nombreuses difficultés durant de longues années du fait de l’illégalité du permis de construire qui leur avait été transféré, et ont dû abandonner le projet qu’ils avaient élaboré ». C’est donc bien la dimension humaine du litige, les tracas et l’incertitude prolongée, que le juge accepte d’indemniser.

Toutefois, en fixant la réparation à la somme de dix mille euros, la cour procède à une « juste appréciation » qui demeure modeste au regard des années de procédure et de l’effondrement d’un projet de vie. Cette décision, tout en reconnaissant la souffrance morale des victimes, signale que l’indemnisation de ce type de préjudice par le juge administratif reste mesurée. Elle confirme ainsi que si la faute de l’administration engage sa responsabilité, la réparation des dommages immatériels qui en découlent conserve un caractère essentiellement symbolique.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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