Cour d’appel administrative de Marseille, le 13 février 2025, n°24MA00872

Par un arrêt du 13 février 2025, la cour administrative d’appel de Marseille s’est prononcée sur la légalité du retrait de décisions de non-opposition à déclaration préalable, en raison d’une fraude commise par les pétitionnaires. En l’espèce, des propriétaires avaient obtenu une première autorisation pour des travaux de toiture. Un procès-verbal d’infraction a par la suite constaté la réalisation de travaux bien plus importants, incluant une démolition-reconstruction, une surélévation et la création d’une surface de plancher substantielle, conduisant le maire à édicter un arrêté interruptif de travaux. Pour régulariser leur situation, les intéressés ont alors déposé, non pas une, mais deux déclarations préalables successives, distinctes, pour le même bâtiment. Le silence de l’administration a fait naître deux décisions tacites de non-opposition. Ayant ultérieurement connaissance de la manœuvre, le maire a retiré ces deux autorisations. Les propriétaires ont contesté ces retraits devant le tribunal administratif de Marseille, qui a rejeté leurs demandes. Ils ont alors interjeté appel, soutenant principalement l’absence d’intention frauduleuse et arguant que l’administration avait connaissance de la nature réelle des travaux avant le dépôt des déclarations. La question de droit posée à la cour était donc de savoir si la dissimulation de l’ampleur réelle des travaux et leur scission artificielle en plusieurs demandes distinctes caractérisaient une fraude permettant à l’administration de retirer les autorisations obtenues sans condition de délai. La cour administrative d’appel répond par l’affirmative, jugeant que ces agissements démontrent une intention de tromper l’administration afin de se soustraire au régime du permis de construire, qui était légalement requis.

Le raisonnement des juges s’articule autour de la reconnaissance d’une manœuvre frauduleuse caractérisée (I), justifiant une sanction rigoureuse qui réaffirme la portée du principe selon lequel la fraude corrompt tout (II).

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I. La caractérisation d’une fraude justifiant le retrait de l’autorisation d’urbanisme

La cour identifie la fraude à travers deux éléments complémentaires. Elle retient d’abord la dissimulation manifeste de la consistance du projet (A), aggravée par une division artificielle de la demande de régularisation (B).

A. La dissimulation intentionnelle de l’ampleur des travaux

La décision de la cour administrative d’appel repose en premier lieu sur la divergence substantielle entre les travaux déclarés et ceux réellement effectués. Les juges relèvent que les pétitionnaires ont réalisé des opérations d’une toute autre nature que celles présentées dans leurs dossiers de déclaration préalable. Ils soulignent que les travaux ne pouvaient être qualifiés de simples modifications de toiture ou de création d’ouvertures, mais constituaient une véritable reprise de l’intégralité du gros-œuvre. L’arrêt constate en effet que « le mur de façade est du bâtiment en R+1 a été entièrement démoli et reconstruit », qu’une « mezzanine créée à l’intérieur » et qu’une « reprise de l’intégralité du gros-œuvre » ont eu lieu. Ces transformations majeures, qui ont mené à la création d’une surface de plancher estimée à quatre-vingts mètres carrés, auraient dû légalement conduire au dépôt d’une demande de permis de construire, conformément à l’article R. 421-14 du code de l’urbanisme.

En omettant de mentionner ces éléments déterminants, les pétitionnaires ont sciemment présenté un projet minoré à l’administration. La cour considère que cette absence de mention de « la démolition d’une grande partie de la construction principale et de sa reconstruction » ne constitue pas une simple erreur ou omission. Elle y voit la marque d’une volonté délibérée de masquer la réalité et l’ampleur du projet, dans le but évident de se maintenir sous le seuil du régime déclaratif, moins contraignant que celui du permis de construire.

B. La division artificielle des demandes comme manœuvre frauduleuse

Au-delà de la dissimulation matérielle, la cour retient un second élément caractérisant l’intention de tromper : la stratégie procédurale adoptée par les propriétaires. L’arrêt met en évidence le dépôt de deux déclarations préalables distinctes et successives pour régulariser un seul et même projet de construction sur un même ensemble immobilier. La cour souligne que « les appelants [n’expliquent] pas la raison pour laquelle ils ont déposé deux déclarations successives et non une seule ». Cette démarche contrevient directement à la règle jurisprudentielle constante selon laquelle une demande de régularisation doit porter sur l’ensemble des travaux non autorisés affectant un bâtiment. Le juge rappelle ce principe en visant le cas où « il appartient au propriétaire qui envisage d’y faire de nouveaux travaux de présenter une demande d’autorisation d’urbanisme portant sur l’ensemble du bâtiment ».

Cette scission du projet est interprétée par la cour comme une manœuvre visant à complexifier l’examen du dossier par les services instructeurs et à masquer l’ampleur globale de l’opération. En présentant séparément des travaux qui, pris dans leur ensemble, relevaient manifestement d’un permis de construire, les pétitionnaires ont cherché à obtenir des autorisations qu’ils n’auraient pu se voir accorder en suivant la procédure adéquate. La cour conclut que cette lacune, « ajoutée à la circonstance que, pour la régularisation des mêmes travaux, deux dossiers différents ont été déposés », est décisive pour « démontrer l’intention frauduleuse des pétitionnaires et leur volonté d’induire l’administration en erreur ».

II. La portée réaffirmée de la sanction de la fraude en droit de l’urbanisme

La décision commentée illustre avec force les conséquences de la fraude en matière d’urbanisme. Elle confirme que la connaissance des faits par l’administration est sans incidence sur l’existence de la fraude (A), et consacre la possibilité pour l’autorité administrative de procéder au retrait de l’acte frauduleux sans être contrainte par le temps (B).

A. L’indifférence de la connaissance des faits par l’administration

L’un des arguments des requérants consistait à soutenir que la fraude ne pouvait être retenue dès lors que la commune avait parfaitement connaissance de la nature et de l’étendue des travaux litigieux, notamment par le biais du procès-verbal d’infraction et de l’arrêté interruptif de travaux pris plusieurs mois avant le dépôt des déclarations. La cour écarte ce moyen avec une grande fermeté, le jugeant inopérant. Elle affirme que « la circonstance que la commune était nécessairement informée de la nature des travaux antérieurement réalisés (…) est sans incidence sur la caractérisation de la fraude commise par les intéressés ». Cette position est fondamentale car elle rappelle que la fraude s’apprécie au regard du comportement et de la loyauté du demandeur lors du dépôt de sa demande.

L’obligation de sincérité qui pèse sur le pétitionnaire est ainsi réaffirmée comme une condition substantielle de la validité de l’autorisation qui en découle. Peu importe que l’administration ait eu les moyens de déceler la supercherie ; la faute réside dans l’intention même de tromper, matérialisée par des déclarations sciemment incomplètes ou inexactes. La décision souligne que la fraude « entache les deux décisions de non-opposition à déclaration préalable tacitement obtenues ». L’illégalité ne naît pas de l’erreur de l’administration, mais de la tromperie initiale qui vicie le processus d’instruction et, par conséquent, l’acte qui en est l’aboutissement.

B. Le retrait sans condition de délai, une prérogative justifiée

La conséquence logique de la qualification de fraude est la possibilité pour l’administration de rapporter l’acte obtenu illégalement. L’arrêt applique sans détour la jurisprudence établie en la matière, selon laquelle la fraude fait échec à la règle de stabilité des actes administratifs créateurs de droits. En temps normal, une décision de non-opposition à déclaration préalable ne peut être retirée que dans un délai de trois mois. Or, la cour valide ici le retrait de l’une des décisions plus de cinq mois après sa naissance, au motif que la fraude neutralise cette protection. Elle indique clairement que le maire « a pu légalement les retirer, pour ce motif (…) postérieurement (…) au délai de trois mois imparti par les dispositions de l’article L. 424-5 du code de l’urbanisme ».

Cette solution, application de l’adage *Fraus omnia corrumpit*, confirme que les garanties procédurales et la sécurité juridique qu’elles instaurent ne sauraient bénéficier à celui qui s’est placé en dehors du cadre légal par des manœuvres malhonnêtes. La décision réaffirme avec force que la protection accordée au bénéficiaire d’une autorisation d’urbanisme suppose sa bonne foi. En sanctionnant la déloyauté du pétitionnaire par la précarité totale de l’acte obtenu, la cour administrative d’appel rappelle que le respect des règles d’urbanisme constitue un enjeu d’ordre public auquel il ne peut être dérogé par la tromperie.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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