Cour d’appel administrative de Lyon, le 3 avril 2025, n°23LY03560

Par un arrêt en date du 3 avril 2025, la Cour administrative d’appel de Lyon se prononce sur la légalité d’un permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale pour l’extension d’un supermarché.

En l’espèce, une société exploitant un supermarché a sollicité et obtenu un permis de construire l’autorisant à démolir puis reconstruire son magasin en l’agrandissant. Une société concurrente, estimant que cette autorisation violait plusieurs dispositions du code de commerce et du code de l’urbanisme, a saisi la juridiction administrative d’une demande d’annulation. La procédure a débuté par un avis favorable de la commission départementale d’aménagement commercial, suivi d’un avis également favorable de la Commission nationale d’aménagement commercial. Fort de ces avis, le maire de la commune d’implantation a délivré l’arrêté octroyant le permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale. La société requérante a alors formé un recours, soulevant des moyens de légalité tant externe, relatifs à la compétence du signataire et à la régularité de la procédure consultative, qu’interne, touchant à l’appréciation du projet au regard des objectifs d’aménagement du territoire.

Il revenait ainsi à la cour de déterminer si un permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale, délivré à la suite d’avis favorables des commissions départementale et nationale d’aménagement commercial, est entaché d’illégalité au regard tant des règles de procédure et de compétence que des objectifs de fond prévus par le code de commerce. La cour administrative d’appel répond par la négative et rejette la requête, considérant que l’arrêté n’est vicié par aucune des illégalités soulevées. La solution retenue par la cour permet de clarifier, d’une part, les exigences de régularité formelle et procédurale encadrant la délivrance d’une telle autorisation (I) et, d’autre part, l’étendue du contrôle exercé par le juge sur l’appréciation des critères matériels d’aménagement du territoire et de développement durable (II).

***

I. La consolidation des exigences de régularité procédurale

La cour administrative d’appel a d’abord examiné la validité de l’acte au regard des règles de compétence et de procédure. Elle a ainsi validé les aspects formels de l’instruction (A) avant de préciser les conditions de recevabilité d’une nouvelle demande après un premier refus (B).

A. La validation des aspects formels de la compétence et de la consultation

La société requérante contestait en premier lieu la compétence du signataire de l’arrêté, ainsi que la régularité de la consultation de la Commission nationale d’aménagement commercial (CNAC). La cour écarte ces moyens en procédant à une application rigoureuse des textes. Concernant la compétence, elle rappelle qu’une délégation de compétence du maire à un adjoint pour les décisions relevant du code de l’urbanisme couvre la signature d’un permis de construire, même lorsque celui-ci vaut autorisation pour un établissement recevant du public, dès lors que l’accord de l’autorité compétente sur ce volet a été recueilli. La cour relève que « par un arrêté du 27 avril 2023 régulièrement publié le 2 mai suivant, le maire […] a délégué à son deuxième adjoint […] ses compétences en matière d’urbanisme ». Cette motivation réaffirme une solution pragmatique, évitant d’annuler un acte pour un motif de pure forme alors que les différentes autorités compétentes se sont prononcées.

De même, la cour a rejeté les arguments relatifs aux irrégularités supposées de la procédure devant la CNAC, notamment la convocation de ses membres et la compétence des signataires des avis ministériels. Elle constate que les convocations ont été adressées par voie dématérialisée dans les délais impartis et que les pièces du dossier ont été mises à disposition, jugeant que « les pièces produites sont suffisantes pour établir que les membres de la CNAC ont été mis en mesure d’accéder par ces moyens aux documents en cause ». Quant aux avis des ministres, la cour vérifie que leurs signataires, des sous-directeurs d’administration centrale, bénéficiaient bien d’une délégation de signature en vertu du décret du 27 juillet 2005. Cette approche formaliste mais concrète démontre que le juge administratif, tout en veillant au respect des garanties procédurales, les apprécie sans excès de formalisme, dès lors que l’objectif de bonne information des instances consultatives a été atteint.

B. L’appréciation de la prise en compte des motifs d’un précédent refus

Un aspect notable de la décision réside dans l’interprétation de l’article L. 752-21 du code de commerce, qui impose à un pétitionnaire, dont le projet a été rejeté, de prendre en compte les motivations de ce refus pour présenter une nouvelle demande. La cour examine si les modifications apportées au projet suffisaient à rendre la nouvelle demande recevable. Le premier projet avait été refusé en raison de sa desserte automobile quasi exclusive, de son incompatibilité avec le schéma de cohérence territoriale et de son impact en termes d’imperméabilisation des sols.

La cour constate que le nouveau projet a été modifié sur ces points précis. Elle note que la desserte par les transports en commun a été améliorée, que le projet est désormais compatible avec les documents d’urbanisme et que des mesures significatives ont été prises pour limiter la consommation d’espace et l’imperméabilisation des sols. Elle en conclut que « les ajustements et précisions qui ont été apportés par la société Arilanne à sa demande étaient en lien avec les motifs ayant fondé l’avis défavorable de la CNAC du 9 juillet 2020, ce qui suffisait à la rendre recevable ». Cette analyse clarifie la portée de l’obligation de « prise en compte » : il ne s’agit pas de présenter un projet radicalement différent, mais d’apporter des réponses substantielles et ciblées aux critiques ayant fondé le refus initial. La cour consacre ainsi une approche souple, qui permet au porteur de projet d’améliorer sa proposition sans le priver de la possibilité de la soumettre à nouveau.

II. L’exercice d’un contrôle restreint sur l’appréciation des critères de fond

Après avoir validé la procédure, la cour s’est penchée sur l’appréciation des critères de fond par les commissions d’aménagement commercial. Elle exerce un contrôle limité sur la définition technique de la zone de chalandise (A) et une appréciation globale de la compatibilité du projet avec les objectifs légaux (B).

A. La délimitation de la zone de chalandise : une marge d’appréciation du pétitionnaire

La société requérante soutenait que la zone de chalandise avait été sous-estimée, ce qui aurait faussé l’analyse des impacts du projet. La cour examine la méthodologie utilisée par la société pétitionnaire, qui a défini cette zone comme regroupant les communes situées à quinze minutes de trajet en voiture, en se fondant sur les données de son magasin existant. La juridiction reconnaît la validité de cette approche en l’absence d’éléments probants contraires.

La cour écarte l’argument selon lequel l’étude aurait dû prendre en compte l’attractivité d’un autre commerce situé à proximité, en relevant qu’il n’existe pas entre les deux établissements de liens suffisants pour les qualifier « d’ensemble commercial » au sens de l’article L. 752-3 du code de commerce. Elle conclut que, pour un projet de reconstruction avec un agrandissement modéré, « la zone de chalandise a pu sans erreur être délimitée au vu de la clientèle du supermarché existant ». Cette position illustre le contrôle restreint du juge sur les questions techniques et économiques. Sauf erreur manifeste d’appréciation, il n’appartient pas à la cour de substituer sa propre évaluation à celle des commissions, qui disposent en la matière d’une marge d’appréciation importante.

B. La mise en balance des objectifs d’aménagement du territoire et de développement durable

Le cœur de l’argumentation de la société requérante portait sur la méconnaissance des objectifs listés à l’article L. 752-6 du code de commerce. La cour rappelle le principe directeur de son contrôle : « l’autorisation d’aménagement commercial ne peut être refusée que si, eu égard à ses effets, le projet contesté compromet la réalisation des objectifs énoncés par la loi ». Ce considérant de principe montre que le juge opère une mise en balance globale, un bilan des avantages et inconvénients du projet.

La cour examine successivement les critères relatifs à l’aménagement du territoire, au développement durable et à la protection des consommateurs. En matière d’aménagement, elle relève que le projet s’insère dans une zone d’activité existante, qu’il est accessible par plusieurs modes de transport et qu’il répond à une croissance démographique avérée sans déséquilibrer le commerce local. Sur le plan du développement durable, elle note que le terrain est déjà « particulièrement anthropisé » et que le projet prévoit des mesures compensatoires positives, comme la plantation de nombreux arbres et la création de surfaces perméables. Elle souligne que « la société Arilanne s’est engagée à conserver une surface perméable de 41,44 % ». En se fondant sur cet ensemble d’éléments factuels, la cour conclut que le projet ne méconnaît pas les objectifs légaux. Cette décision, bien qu’étant une décision d’espèce, est une illustration pédagogique de la méthode du bilan, par laquelle le juge administratif apprécie concrètement un projet au regard d’objectifs multiples et parfois contradictoires.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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