Par un arrêt en date du 16 janvier 2025, la cour administrative d’appel de Lyon a rejeté la requête d’une société tendant à l’annulation d’une délibération municipale et à l’indemnisation de son éviction du domaine public. En l’espèce, une société exploitait un fonds de commerce de bar-restaurant sur le domaine public d’une commune en vertu d’une convention d’occupation qui avait été renouvelée et prorogée jusqu’au 31 décembre 2019. Au terme de cette convention, la commune a lancé un appel à candidatures pour l’attribution d’un « droit au bail » sur ce même emplacement. La candidature de la société occupante a été écartée au profit d’une autre par une délibération du conseil municipal en date du 27 février 2020.
Saisie par la société évincée, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande d’annulation de cette délibération et sa demande indemnitaire par un jugement du 9 mai 2023. La société a alors interjeté appel de ce jugement, contestant la légalité de la délibération et réitérant ses prétentions indemnitaires au titre de la perte d’une prétendue propriété commerciale et d’un enrichissement sans cause de la commune. Elle soutenait notamment que la commune ne pouvait autoriser la conclusion d’un bail commercial sur une dépendance du domaine public et que la procédure d’attribution était entachée d’irrégularités.
La question posée à la cour était donc double. Il s’agissait d’abord de déterminer la nature des droits dont pouvait se prévaloir un occupant du domaine public au terme de sa convention. Ensuite, il convenait de déterminer si une personne publique pouvait légalement autoriser par délibération la conclusion d’un futur bail commercial sur un bien relevant encore de son domaine public.
La cour administrative d’appel de Lyon a répondu à ces questions en confirmant le caractère précaire de l’occupation du domaine public et en validant la délibération litigieuse. Elle juge que la convention était une simple autorisation d’occupation domaniale n’ouvrant aucun droit au renouvellement ni à une indemnité d’éviction. Surtout, elle considère que la délibération autorisant la signature future d’un bail commercial est légale, dès lors qu’elle « n’ayant ni pour objet ni pour effet d’exclure leur déclassement avant la signature du contrat ».
La cour opère ainsi une distinction rigoureuse entre la nature de l’occupation domaniale et ses conséquences (I), tout en faisant preuve d’un pragmatisme notable quant à la gestion par les personnes publiques de la transition de leurs biens vers le domaine privé (II).
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I. La confirmation du statut précaire de l’occupant du domaine public
La cour rappelle avec fermeté la distinction fondamentale entre une convention d’occupation domaniale et un bail commercial, rejetant par conséquent toute prétention à un droit au maintien ou à une indemnisation pour l’occupant évincé.
A. La qualification stricte de convention d’occupation domaniale
La juridiction d’appel écarte sans ambiguïté la thèse de la société requérante qui tentait de se prévaloir des attributs d’un preneur commercial. L’arrêt souligne qu’il « résulte des termes mêmes de la convention conclue » que celle-ci « ne constituait pas un bail commercial, mais une convention d’occupation du domaine public ». Cette requalification met fin à toute confusion que les termes employés par la commune dans son appel à candidatures, notamment la mention d’une « vente du droit au bail », auraient pu entretenir. La nature juridique d’un contrat est déterminée par son contenu et son objet, non par la terminologie parfois approximative des parties.
La décision réaffirme ainsi le principe selon lequel l’occupation du domaine public est par nature précaire et révocable, et ne peut donner naissance aux droits protecteurs du statut des baux commerciaux. La cour précise que la convention « ne conférait aucun droit à l’occupant à son renouvellement » et « avait pris fin dès le 31 décembre 2019 ». Le simple fait que l’occupant se soit maintenu dans les lieux postérieurement à cette date ne saurait valoir prolongation implicite de la convention. Cette solution est classique et découle de l’incompatibilité entre les impératifs de la domanialité publique et la stabilité offerte par la propriété commerciale.
B. L’exclusion consécutive de tout droit à l’indemnisation
Découlant directement de cette qualification, le rejet des conclusions indemnitaires de la société requérante apparaît logique et inévitable. La cour écarte la demande fondée sur l’article L. 2124-32-1 du code général de la propriété des personnes publiques, qui instaure un droit à indemnisation pour la perte du fonds de commerce en cas de refus de renouvellement d’un titre d’occupation. Elle constate que les conditions d’application de ce texte ne sont pas réunies, dès lors que le titre d’occupation était arrivé à son terme et n’ouvrait aucun droit à renouvellement. L’absence de toute « illégalité fautive » de la part de la commune dans le processus de non-renouvellement et de mise en concurrence prive la demande de son fondement principal.
De même, le moyen tiré de l’enrichissement sans cause est écarté avec une motivation tout aussi rigoureuse. La cour relève que « la perception d’un droit d’entrée par la commune de Tresserve ayant pour cause le bail à conclure », il ne peut y avoir d’enrichissement sans fondement juridique. L’indemnité versée par le nouvel attributaire trouve sa justification dans le nouveau contrat, et non dans l’éviction de l’ancien occupant. L’arrêt illustre ainsi parfaitement que la précarité de l’occupation domaniale a pour corollaire l’absence de droit à une compensation financière en fin de convention, sauf disposition légale ou contractuelle expresse.
II. La validation de la gestion anticipée du domaine par la personne publique
L’apport principal de l’arrêt réside dans la validation d’une délibération qui anticipe le déclassement d’une dépendance domaniale. La cour distingue avec soin la légalité de l’acte autorisateur de celle des actes d’exécution subséquents, consacrant une solution pragmatique pour la gestion domaniale.
A. La dissociation temporelle de l’appréciation de la légalité
Face aux moyens de la requérante contestant la conformité de l’exécution du contrat avec la procédure de sélection, la cour formule un principe directeur clair. Elle énonce que « la légalité de la délibération litigieuse s’appréciant à la date à laquelle elle a été adoptée », l’appelante « ne peut utilement se prévaloir, pour la contester, de circonstances intervenues postérieurement ». Ainsi, des faits tels que la substitution d’une société à une autre pour signer le bail, ou l’octroi de modalités financières prétendument avantageuses, sont sans incidence sur la validité de la délibération initiale.
Cette dissociation temporelle est essentielle en contentieux administratif. Elle permet de circonscrire le contrôle du juge à l’acte attaqué, sans le polluer par des événements ultérieurs qui relèvent de l’exécution du contrat et peuvent, le cas échéant, faire l’objet d’un contentieux distinct. La délibération n’est qu’un acte préparatoire, une autorisation de signer. En l’espèce, elle désignait un attributaire et fixait un cadre ; elle n’était pas viciée par des irrégularités qui ne sont apparues que plus tard. Cette orthodoxie juridique assure la sécurité des actes administratifs.
B. La légalité d’une promesse de bail commercial conditionnée au déclassement
Le point le plus novateur de la décision concerne la légalité même de l’objet de la délibération. La requérante soutenait qu’une commune ne peut autoriser un bail commercial sur son domaine public. La cour admet que la délibération « doit être regardée (…) comme autorisant la signature d’un bail commercial ». Elle constate également que « les dépendances en cause appartenaient alors au domaine public ». Pourtant, elle ne conclut pas à l’illégalité.
Le raisonnement de la cour est subtil et pragmatique. Elle juge que la délibération est légale car elle « n’a ni pour objet ni pour effet d’exclure leur déclassement avant la signature du contrat ». En d’autres termes, autoriser un bail commercial sur un bien du domaine public n’est pas illégal en soi, si cette autorisation est entendue comme étant conditionnée à l’accomplissement de la procédure nécessaire pour rendre cet acte possible, à savoir le déclassement du bien. La commune a d’ailleurs procédé à ce déclassement par une délibération ultérieure. L’arrêt valide ainsi une forme de gestion par anticipation, permettant à une personne publique de sécuriser un futur contrat privé avant même d’avoir formellement fait sortir le bien du domaine public. Cette solution offre une souplesse appréciable aux collectivités dans la valorisation de leur patrimoine, tout en maintenant l’exigence de la procédure de déclassement comme préalable indispensable à la signature du bail.