Cour d’appel administrative de Lyon, le 16 janvier 2025, n°23LY00728

Par un arrêt en date du 16 janvier 2025, la Cour administrative d’appel de Lyon a précisé les conditions d’engagement de la responsabilité d’une commune pour une intervention matérielle sur une propriété privée, réalisée au titre des pouvoirs de police générale du maire.

En l’espèce, le maire d’une commune avait fait procéder à l’abattage de douze arbres sur un terrain appartenant à une propriétaire privée, au motif que ces arbres présentaient un risque de chute. Estimant cette intervention fautive, la propriétaire a saisi le tribunal administratif de Grenoble d’une demande d’indemnisation des préjudices subis. Par un jugement du 26 décembre 2022, cette juridiction a rejeté sa demande. La requérante a alors interjeté appel de ce jugement, en soutenant que la commune n’établissait pas l’existence d’un danger grave et imminent justifiant son action et en demandant la réparation de ses préjudices matériels et de la dévalorisation de sa propriété. La commune intimée a conclu au rejet de la requête, affirmant n’avoir commis aucune faute et contestant la réalité des préjudices allégués. Se posait donc la question de savoir si une commune engage sa responsabilité lorsqu’elle procède à l’abattage d’arbres sur une propriété privée sans justifier du caractère grave et imminent du danger que ces derniers étaient censés représenter.

La Cour administrative d’appel de Lyon répond par l’affirmative. Elle annule le jugement de première instance et condamne la commune à indemniser la propriétaire, au motif que l’intervention du maire était fautive en l’absence de preuve d’un danger grave et imminent. La juridiction d’appel considère que « le maire de Glières-Val-de-Borne a commis une faute » dès lors que la commune ne produit « aucune pièce au soutien de ses allégations » relatives au risque de chute des arbres. En conséquence, elle alloue à la requérante une indemnité correspondant aux frais de replantation, mais rejette les autres chefs de préjudice faute de justifications.

Il convient d’analyser la caractérisation de la faute de la commune résultant d’un exercice injustifié des pouvoirs de police (I), avant d’examiner les modalités de la réparation du préjudice qui en découle, strictement limitée aux dommages prouvés (II).

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I. La faute de la commune résultant d’un exercice injustifié des pouvoirs de police

La décision de la Cour administrative d’appel rappelle d’abord fermement le cadre légal de l’intervention du maire en cas de péril (A), pour ensuite caractériser la faute de la commune par l’absence de preuve concrète du danger allégué (B).

A. Le rappel des conditions strictes d’intervention du maire

La Cour prend soin de viser les dispositions du code général des collectivités territoriales qui fondent l’action administrative en matière de police. Elle rappelle que le maire dispose, au titre de son pouvoir de police générale de l’article L. 2212-2, de la compétence pour assurer la sécurité publique, notamment en prévenant les accidents naturels. L’arrêt souligne surtout le caractère dérogatoire de l’article L. 2212-4 du même code, qui autorise le maire, « en cas de danger grave ou imminent », à prescrire l’exécution de mesures de sûreté exigées par les circonstances.

Ces dispositions permettent exceptionnellement à l’autorité municipale d’intervenir directement sur une propriété privée, y compris sans l’accord du propriétaire, pour faire cesser un péril. Toutefois, cette prérogative exorbitante du droit commun est subordonnée à une condition essentielle : l’existence d’un danger présentant un double caractère de gravité et d’imminence. La jurisprudence administrative exerce un contrôle rigoureux sur le respect de cette condition, afin de concilier les exigences de l’ordre public avec la protection du droit de propriété. L’intervention ne peut être justifiée par un simple risque hypothétique ou un danger ordinaire.

B. La caractérisation de la faute par l’absence de preuve du danger

C’est sur le terrain de la preuve que la Cour administrative d’appel fonde sa solution. Elle constate que si la commune « fait valoir que la parcelle sur laquelle se situaient les arbres se trouve en zone d’aléa fort à modéré », elle « ne produit aucune pièce au soutien de ses allégations, contestées pour la première fois en appel, suivant lesquelles les arbres en litige, non entretenus ni élagués, auraient été exposés à un sérieux risque de chute ». Le juge administratif sanctionne ici non pas l’inaction de l’administration, mais son action insuffisamment justifiée.

En l’absence de tout document probant, tel qu’un rapport d’expert ou un constat technique, l’affirmation du danger par le maire reste une simple allégation. La Cour relève également qu’aucune mise en demeure préalable de réaliser des travaux d’élagage n’a été adressée à la propriétaire. En agissant de la sorte, le maire a privé sa décision du fondement juridique indispensable que constitue le danger grave et imminent. L’intervention matérielle devient alors une voie de fait administrative, constitutive d’une faute de nature à engager la responsabilité de la collectivité. La décision illustre ainsi l’exigence faite à l’administration d’apporter la preuve des faits qui justifient une mesure de police portant atteinte à une liberté fondamentale.

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II. Une réparation consécutive à la faute limitée au préjudice direct et certain

Une fois la faute établie, la Cour se prononce sur l’indemnisation du dommage. Elle applique le principe de la réparation intégrale pour le coût de remise en état (A), tout en rejetant rigoureusement les chefs de préjudice non établis (B).

A. L’indemnisation du coût de la remise en état

La requérante sollicitait l’indemnisation des frais nécessaires à l’enlèvement des arbres abattus et à leur remplacement. Pour ce faire, elle produisait un devis d’un exploitant forestier chiffrant l’opération à 11 400 euros. La Cour juge que ce préjudice est direct et certain, et que son montant est justifié. Elle écarte les arguments de la commune, qui contestait la validité du devis en raison de l’appartenance de son auteur à l’opposition municipale et de son caractère jugé sommaire.

Le juge estime que ces critiques ne sont pas suffisantes pour remettre en cause sérieusement la force probante du document. Il précise également que l’indemnisation doit être calculée sur la base du montant toutes taxes comprises, dès lors qu’il n’est pas établi que la victime, en tant que particulier, soit assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée. L’arrêt fait ainsi une application classique du principe de réparation intégrale du préjudice, qui vise à replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si la faute n’avait pas été commise, sans perte ni profit.

B. Le rejet des préjudices non établis

Si la Cour admet la réparation du coût de remplacement des arbres, elle se montre plus stricte pour les autres préjudices invoqués. La requérante demandait également une indemnisation pour la perte de valeur vénale de sa parcelle et pour la valeur du bois coupé. Sur ces deux points, la Cour rejette la demande au motif que la preuve du préjudice n’est pas rapportée.

Elle considère en effet que « la requérante n’établit pas que ces travaux auraient entrainé une perte de valeur vénale de sa parcelle ». De même, elle juge qu’il n’existe pas d’obstacle à ce que le bois coupé soit valorisé par la propriétaire, écartant ainsi la demande d’indemnisation pour sa perte. Cette partie de la décision rappelle un autre principe fondamental du droit de la responsabilité administrative : la charge de la preuve du préjudice, dans sa nature et son étendue, incombe au demandeur. Un préjudice simplement allégué, sans être étayé par des éléments concrets, ne peut donner lieu à réparation, même lorsque la faute de l’administration est avérée.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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