Cour d’appel administrative de Lyon, le 11 septembre 2025, n°24LY03412

Par un arrêt en date du 11 septembre 2025, une cour administrative d’appel a statué sur la demande d’un propriétaire visant à la démolition d’un ouvrage public empiétant sur une de ses parcelles. En l’espèce, une collectivité publique avait réalisé un sentier pédestre et cyclable dans le cadre de l’aménagement d’un parc à vocation écologique et de loisirs. Une portion de ce chemin traversait la parcelle d’un particulier, qui estimait que cet empiètement ainsi que la présence de barrières portaient atteinte à son droit de propriété.

Le propriétaire a saisi l’administration d’une demande de démolition, qui fut rejetée par une décision du 7 octobre 2022. Il a alors saisi le tribunal administratif de Dijon afin d’obtenir l’annulation de ce refus et la destruction de l’ouvrage. Les premiers juges ayant rejeté sa requête par un jugement du 10 octobre 2024, le requérant a interjeté appel. Devant la cour, il a réitéré sa demande principale de démolition, en y ajoutant une demande de déplacement de l’ouvrage, et a, pour la première fois, formulé une demande subsidiaire d’indemnisation pour le préjudice de jouissance subi.

Il revenait ainsi à la cour de déterminer si la démolition d’un ouvrage public irrégulièrement implanté doit être ordonnée lorsqu’une régularisation s’avère impossible et que l’empiètement sur la propriété privée est avéré. Se posait également la question de la recevabilité d’une demande indemnitaire, accessoire à l’action principale, mais présentée pour la première fois au stade de l’appel.

La cour administrative d’appel rejette l’ensemble de la requête. Elle refuse d’ordonner la démolition ou le déplacement au motif qu’une telle mesure porterait une atteinte excessive à l’intérêt général. Elle déclare en outre la demande indemnitaire subsidiaire irrecevable comme étant nouvelle en appel, confirmant ainsi le jugement de première instance.

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La décision commentée illustre avec clarté la méthode du bilan que le juge administratif met en œuvre pour statuer sur le sort d’un ouvrage public irrégulièrement implanté, réaffirmant la primauté de l’intérêt général sur le droit de propriété lorsque l’atteinte à ce dernier est jugée mesurée. Si le juge confirme sans détour le caractère illicite de l’emprise sur le terrain privé, il en neutralise aussitôt les conséquences en opposant les impératifs supérieurs attachés à l’ouvrage.

D’une part, le juge constate l’existence d’une emprise irrégulière mais qui n’est pas susceptible d’être régularisée. L’arrêt rappelle le pouvoir et le devoir du juge de plein contentieux de « déterminer, en fonction de la situation de droit et de fait existant à la date à laquelle il statue, si l’ouvrage est irrégulièrement implanté ». Sur ce point, les faits sont établis : un sentier public traverse bien la partie émergée de la parcelle du requérant. L’irrégularité est donc constituée. Cependant, la cour examine ensuite la possibilité d’une régularisation, étape préalable obligatoire avant d’envisager la démolition. Elle relève que la proposition d’échange amiable a échoué et qu’aucune procédure d’expropriation n’a été engagée, concluant qu’« il ne résulte pas de l’instruction qu’une régularisation appropriée de l’irrégularité entachant l’implantation d’un chemin piétonnier serait envisageable ». Cette analyse démontre que la seule possibilité théorique de recourir à l’expropriation n’est pas suffisante pour considérer l’ouvrage comme régularisable.

D’autre part, la cour procède à une mise en balance concrète des intérêts en présence pour refuser la démolition. Conformément à une jurisprudence constante, elle recherche si la démolition n’entraîne pas « une atteinte excessive à l’intérêt général ». D’un côté, l’atteinte portée au propriétaire est qualifiée de limitée, au regard de la « superficie réduite de la parcelle en cause », de la « faible emprise du chemin piétonnier » et de « l’impact limité sur l’exercice par l’intéressé de ses droits de propriété ». De l’autre côté, l’intérêt général est jugé prépondérant, car l’ouvrage s’inscrit dans une « opération d’ensemble de création d’un éco-parc dédié aux activités de loisirs, de tourisme et de découverte de la nature ». Le juge prend en compte le coût, la sécurité des usagers et les conséquences environnementales qu’impliquerait un déplacement de l’ouvrage. Ce bilan conduit logiquement au rejet de la demande de démolition, le préjudice privé ne pesant pas suffisamment lourd face aux bénéfices collectifs.

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Au-delà de la question de la démolition, l’arrêt se prononce sur la demande indemnitaire formulée par le requérant, la jugeant irrecevable, ce qui a pour effet de laisser le propriétaire sans aucune forme de réparation pour l’atteinte subie. Cette solution, bien que juridiquement fondée, souligne la rigueur des règles de procédure et consacre une forme d’impunité pour l’administration lorsque le préjudice causé est considéré comme mineur par le juge.

En effet, la cour écarte la demande d’indemnisation par une application stricte des règles de la procédure contentieuse administrative. Le requérant n’avait demandé en première instance que la démolition de l’ouvrage, et non une compensation financière. La cour relève que « les conclusions indemnitaires présentées par […] en appel, qui ne figuraient pas dans sa demande de première instance, sont nouvelles en appel et par suite irrecevables ». Cette position est classique, le litige en appel étant en principe limité par ce qui a été soumis aux premiers juges. Le fait que ces conclusions aient été présentées à titre subsidiaire ne leur confère pas un caractère accessoire suffisant pour échapper à cette irrecevabilité. Le requérant se trouve ainsi privé de toute indemnité, non pas sur le fond, mais en raison d’un manquement procédural.

En définitive, cette décision, qui est une décision d’espèce, témoigne du pragmatisme du juge administratif face à la théorie de l’emprise irrégulière. En refusant à la fois la démolition et l’indemnisation, elle montre que le droit de propriété, bien que constitutionnellement protégé, peut céder lorsque l’atteinte matérielle est faible et que l’intérêt général servi par l’ouvrage public est substantiel. La solution laisse le propriétaire démuni face au fait accompli par l’administration, illustrant la difficulté d’obtenir une réparation effective pour des atteintes considérées comme de faible intensité, même lorsque l’illégalité de l’action administrative est patente. La portée de cette décision réside moins dans l’innovation juridique que dans sa confirmation d’un équilibre jurisprudentiel qui, tout en sanctionnant symboliquement l’irrégularité, privilégie la pérennité de l’ouvrage public et la maîtrise des deniers publics.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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