Un particulier, après avoir essuyé un refus de permis de construire un bâtiment industriel, a saisi le tribunal administratif de Grenoble. Par un jugement du 17 février 2022, cette juridiction a annulé le refus opposé par le maire et lui a enjoint de délivrer l’autorisation d’urbanisme sollicitée. La commune a interjeté appel de ce jugement, considérant d’une part que la requête initiale était irrecevable car non signée, et d’autre part que le tribunal ne pouvait ordonner la délivrance du permis sans s’assurer de la conformité du projet aux prescriptions techniques relatives à l’assainissement non collectif entrées en vigueur postérieurement à la demande. Le pétitionnaire, quant à lui, soutenait que les motifs de refus successifs opprimés par l’administration méconnaissaient l’autorité de la chose jugée par de précédentes décisions de justice devenues définitives. La question soumise à la cour administrative d’appel consistait donc à déterminer si, après avoir annulé un refus de permis de construire en écartant tous les motifs opposés par l’administration, le juge de l’excès de pouvoir est tenu d’ordonner la délivrance de l’autorisation, sans tenir compte des évolutions normatives postérieures à la date de la demande, dès lors que les droits à construire du pétitionnaire ont été cristallisés. Dans son arrêt du 10 juin 2025, la cour administrative d’appel de Lyon rejette la requête de la commune, confirmant ainsi l’obligation pour l’administration de délivrer le permis de construire. Elle juge d’abord que l’identification de l’avocat via l’application Télérecours vaut signature de la requête, la rendant ainsi recevable. Elle estime ensuite que dès lors que le juge a écarté tous les motifs de refus soulevés par l’administration, il doit faire droit à une demande d’injonction de délivrance, sauf changement dans les circonstances de fait ou existence d’un motif de droit applicable à la date de la décision annulée qui y ferait obstacle, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.
Cette décision, qui sanctionne l’obstruction répétée d’une administration, illustre la portée de l’office du juge administratif lorsqu’il est confronté à la méconnaissance de ses décisions antérieures (I). Elle réaffirme avec force le principe de sécurité juridique qui protège le pétitionnaire contre les changements de normes défavorables (II).
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**I. La délivrance forcée du permis de construire, sanction de l’obstination administrative**
La cour écarte d’abord un moyen de procédure purement formel avant de confirmer l’étendue de son pouvoir d’injonction face à une administration récalcitrante.
A. L’éviction d’un formalisme procédural anachronique
La commune soulevait en appel l’irrégularité du jugement de première instance, au motif que la requête introductive d’instance n’était pas revêtue d’une signature manuscrite. La cour rejette ce moyen en appliquant sans détour les dispositions du code de justice administrative relatives à la dématérialisation des procédures. Elle rappelle que pour les requêtes transmises par un avocat via l’application Télérecours, « l’identification de l’auteur de la requête (…) vaut signature pour l’application des dispositions du présent code ». Cette solution pragmatique consacre la fiabilité du procédé d’identification électronique et écarte un formalisme qui serait devenu excessif à l’ère numérique. En refusant de faire prévaloir une exigence de forme sur le droit d’accès au juge, la cour administrative d’appel fait primer une lecture moderne et fonctionnelle des règles de procédure, neutralisant ainsi une manœuvre que l’on peut qualifier de dilatoire. La validité de la saisine étant ainsi assurée, la voie était libre pour l’examen du litige au fond.
B. L’injonction de délivrance comme ultime instrument du juge
Le cœur du litige portait sur l’injonction de délivrer le permis de construire, contestée par la commune. La cour rappelle cependant les termes de l’article L. 911-1 du code de justice administrative. Lorsqu’une annulation contentieuse a censuré l’intégralité des motifs de refus invoqués par l’autorité administrative, le juge est tenu d’ordonner à celle-ci de délivrer l’autorisation sollicitée. Cette obligation ne connaît que deux exceptions : soit un motif tiré des dispositions en vigueur à la date de la décision annulée y fait obstacle, soit un changement dans les circonstances de fait s’oppose à la délivrance. En l’espèce, le juge constate que le tribunal administratif avait écarté tous les arguments de la commune, y compris ceux présentés en cours d’instance. Par conséquent, aucune des deux exceptions ne pouvait être utilement invoquée. L’injonction de délivrance n’est donc pas une simple faculté pour le juge, mais la conséquence logique et nécessaire de l’annulation totale des motifs de refus, garantissant l’exécution effective de la chose jugée et mettant un terme à la résistance de l’administration.
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**II. La consolidation des droits du pétitionnaire par la cristallisation du droit applicable**
L’arrêt trouve sa pleine justification dans l’application rigoureuse des règles temporelles du droit de l’urbanisme, qui visent à protéger les administrés contre l’instabilité normative et l’arbitraire administratif.
A. Le principe de cristallisation des règles, rempart contre les évolutions normatives
La commune prétendait que le juge aurait dû assortir son injonction de prescriptions relatives au système d’assainissement, en se fondant sur un arrêté technique de 2009. La cour rejette cet argument en soulignant un principe fondamental du contentieux de l’urbanisme. En application de l’article L. 600-2 du code de l’urbanisme, lorsqu’un refus de permis de construire est annulé, la nouvelle décision prise par l’administration doit se fonder sur les règles en vigueur à la date de la décision annulée. Or, la demande initiale datant de 2005, la commune ne pouvait « utilement se prévaloir (…) d’obligations de forme et de fond (…) qui n’étaient pas en vigueur à la date de dépôt de la demande de permis de construire ». Ce mécanisme de cristallisation des règles applicables a pour objet de ne pas faire subir au pétitionnaire les conséquences des modifications de la réglementation intervenues durant la procédure contentieuse qu’il a dû engager. Il s’agit d’une garantie essentielle qui empêche l’administration de se prévaloir de nouvelles normes pour justifier, a posteriori, un refus illégal.
B. L’autorité de la chose jugée, barrière à la réitération des refus
Au-delà de la question des normes applicables, la décision révèle la persistance de l’administration à s’opposer à un projet pourtant validé à plusieurs reprises par la justice. La cour prend soin de noter que, par un arrêt de 2010 devenu définitif, le motif tiré de la non-conformité de l’assainissement autonome avait déjà été jugé illégal. Elle relève qu’il ne ressortait pas du dossier « qu’un bâtiment à usage de bureaux et entrepôt de matériel, ne peut être régulièrement raccordé à une installation d’assainissement autonome ». En tentant de se prévaloir de nouveau, sous une forme à peine modifiée, d’un argument déjà écarté, la commune a méconnu l’autorité de la chose précédemment jugée. La décision commentée, en rejetant l’appel, vient donc implicitement mais nécessairement sanctionner ce comportement et assurer la primauté des décisions de justice sur la volonté administrative. Elle met ainsi un point final à un contentieux de près de vingt ans, démontrant que si l’administration dispose d’un pouvoir d’appréciation, celui-ci ne saurait se transformer en un pouvoir d’obstruction face à la chose jugée.