Un arrêt rendu par une cour administrative d’appel le 27 mars 2025 offre un éclairage sur l’étendue du contrôle juridictionnel exercé sur les choix d’urbanisme opérés par les auteurs d’un plan local d’urbanisme. En l’espèce, une société immobilière, propriétaire d’une parcelle, a contesté le refus de permis de construire opposé par le maire d’une commune. Ce refus était motivé par la non-conformité du projet de construction, porté par un acquéreur potentiel, avec les dispositions du plan local d’urbanisme intercommunal. Le projet prévoyait notamment l’implantation d’un garage dans une partie du terrain classée en zone naturelle, et ne respectait pas la règle d’emprise au sol maximale fixée pour les espaces verts à protéger.
La société propriétaire a saisi le tribunal administratif de Lille, qui a rejeté sa demande tendant à l’annulation de ce refus. Elle a interjeté appel de ce jugement, soulevant par la voie de l’exception l’illégalité de plusieurs dispositions du plan local d’urbanisme intercommunal. La requérante soutenait que le classement d’une partie de sa parcelle en zone naturelle, ainsi qu’en espace vert à protéger, procédait d’une erreur manifeste d’appréciation. Elle arguait également du caractère disproportionné de la règle limitant l’emprise au sol des constructions à dix pour cent de la surface de l’unité foncière.
Se posait ainsi la question de savoir si le classement d’un terrain en zone naturelle et en espace vert à protéger, ainsi que l’imposition d’une limitation stricte de l’emprise au sol, peuvent être considérés comme une erreur manifeste d’appréciation ou une mesure disproportionnée lorsque ces choix s’inscrivent dans une politique de préservation paysagère. La cour administrative d’appel a répondu par la négative, confirmant le jugement de première instance et rejetant l’ensemble des moyens de la société requérante. Les juges du fond ont estimé que les choix de classement n’étaient pas entachés d’une erreur manifeste d’appréciation et que la restriction du droit de construire était proportionnée à l’objectif d’intérêt général poursuivi.
L’arrêt illustre ainsi la confirmation par le juge du pouvoir d’appréciation des auteurs d’un document d’urbanisme s’agissant du classement des parcelles (I), tout en validant la légalité de prescriptions restrictives dès lors qu’elles sont justifiées par un parti d’aménagement cohérent (II).
I. La confirmation du contrôle restreint sur la délimitation des zones
La décision commentée réaffirme la position traditionnelle du juge administratif, qui n’exerce qu’un contrôle restreint à l’erreur manifeste d’appréciation sur les choix de zonage. Cette approche est appliquée tant à la qualification de zone naturelle (A) qu’au classement en espace vert à protéger (B), dès lors que ces décisions relèvent d’un parti d’aménagement global.
A. Le rejet de l’erreur manifeste d’appréciation pour le classement en zone naturelle
L’arrêt rappelle utilement le cadre du contrôle juridictionnel en la matière, en précisant que l’appréciation des auteurs d’un plan « ne peut être censurée par le juge administratif qu’au cas où elle serait entachée d’une erreur manifeste ou fondée sur des faits matériellement inexacts ». La cour examine ensuite les caractéristiques de la parcelle pour conclure à l’absence d’une telle erreur. Elle constate que le terrain était libre de toute construction et jouxtait un vaste espace naturel boisé, justifiant son classement partiel en zone naturelle.
L’argument de la société requérante, selon lequel l’absence de boisement sur la partie concernée du terrain vicierait le classement, est écarté. Les juges estiment en effet que la classification en zone N peut se justifier par les « perspectives d’avenir et donc de la vocation d’une parcelle à se doter de boisement ou, à tout le moins, de conserver un caractère naturel ». Cette motivation souligne que le classement n’est pas seulement une photographie de l’état existant, mais un outil prospectif destiné à orienter l’évolution d’un territoire. La solution confirme que la protection d’un site peut être fondée sur son potentiel écologique et sa continuité avec des espaces naturels adjacents.
B. La validation du classement en espace vert à protéger
Le même raisonnement est appliqué au classement du reste de la parcelle en « espace vert à protéger » au titre de l’article L. 151-23 du code de l’urbanisme. La cour administrative d’appel entérine le raisonnement des premiers juges, qui avaient identifié l’objectif des auteurs du plan : accorder une protection particulière à la frange urbaine servant de transition avec l’espace forestier. Ce choix a conduit à l’institution d’une « zone tampon continue », dont la parcelle litigieuse constitue un élément.
La cohérence de ce classement avec l’objectif de préservation paysagère est mise en avant pour écarter l’erreur manifeste d’appréciation. La cour ne se limite pas à l’examen de la seule parcelle, mais l’inscrit dans un périmètre plus large et une logique d’aménagement d’ensemble. Le fait que d’autres dispositions du règlement poursuivent également des objectifs d’intégration paysagère est jugé inopérant. L’arrêt démontre ainsi que la légalité d’un classement s’apprécie au regard de sa contribution à un projet de territoire clairement défini, même si cela conduit à limiter substantiellement le droit de construire.
II. La légalité des prescriptions restrictives justifiées par le parti d’aménagement
Au-delà du zonage, l’arrêt se prononce sur la légalité d’une règle d’urbanisme particulièrement restrictive. Il applique le principe de proportionnalité aux prescriptions du règlement (A) pour conclure à la validité de la limitation de l’emprise au sol, justifiée par un objectif précis de préservation paysagère (B).
A. L’application du principe de proportionnalité aux règles d’emprise au sol
La cour rappelle le cadre légal applicable, issu des articles L. 151-19 et L. 151-23 du code de l’urbanisme, qui permettent d’édicter des protections pour des motifs paysagers ou écologiques. Elle souligne que de telles prescriptions « doivent être proportionnées et ne peuvent excéder ce qui est nécessaire à l’objectif recherché ». Ce contrôle de proportionnalité constitue une garantie pour les propriétaires fonciers contre des restrictions qui seraient excessives au regard du but d’intérêt général poursuivi.
Le juge vérifie si la contrainte imposée est bien le moyen adéquat et nécessaire pour atteindre l’objectif affiché par les auteurs du plan. Une interdiction totale de construire, par exemple, ne serait légale que si elle était l’unique moyen de préserver le site. En l’espèce, la règle contestée ne prohibe pas toute construction mais la limite. C’est l’adéquation entre cette limitation et l’objectif visé que le juge va examiner, déplaçant l’analyse du terrain de l’erreur manifeste vers celui, plus fin, de la proportionnalité.
B. La justification de la limitation par un objectif de préservation des perspectives
La cour examine concrètement la règle fixant une emprise au sol maximale de dix pour cent dans les espaces verts à protéger. Elle estime cette disposition proportionnée car elle s’inscrit dans la logique de la « zone tampon » précédemment identifiée. L’objectif est de « préserver les perspectives paysagères vers la forêt » en assurant une urbanisation de faible densité. La restriction est donc directement liée à l’objectif de conservation paysagère et écologique qui a motivé le classement.
L’arrêt prend soin de noter que la disposition « n’interdisent pas toute construction et préservent au contraire les droits à construire des propriétaires des parcelles concernées ». En ne fixant qu’une emprise au sol maximale, sans préjuger de la surface de plancher, le règlement permet une certaine constructibilité tout en assurant l’effet de transition verte souhaité. Par cette analyse, la cour conclut que la société requérante n’est pas fondée à soutenir que la règle serait disproportionnée, validant une contrainte forte au nom de la cohérence et de la légitimité du parti d’aménagement.