Par un arrêt en date du 27 mars 2025, la cour administrative d’appel de Douai s’est prononcée sur les modalités de la répression d’une occupation irrégulière du domaine public fluvial.
En l’espèce, une personne avait déposé des gravats sur une dépendance du domaine public fluvial. L’établissement public gestionnaire de ce domaine a saisi la juridiction administrative par la voie d’un procès-verbal de contravention de grande voirie. Par un jugement du 12 janvier 2023, le tribunal administratif de Rouen a condamné la contrevenante à une amende de 2 500 euros, lui a enjoint de remettre les lieux en état sous un mois, sous peine d’une astreinte de 50 euros par jour de retard, et a autorisé l’administration à procéder d’office à la remise en état aux frais de l’intéressée passé ce délai. La personne a interjeté appel de ce jugement, sollicitant une réduction du montant de l’amende et la suppression de l’astreinte, en invoquant sa situation de précarité financière et les problèmes de santé d’un de ses enfants. Le problème de droit posé à la cour était de déterminer dans quelle mesure les circonstances personnelles et financières du contrevenant peuvent infléchir la sévérité des sanctions pécuniaires et des mesures de contrainte prononcées par le juge administratif en matière de contravention de grande voirie. La cour administrative d’appel rejette la requête, considérant que la gravité de la faute l’emporte sur la situation personnelle du contrevenant pour la fixation du montant de l’amende, et que le prononcé d’une astreinte est justifié au regard des circonstances de l’espèce.
Il conviendra d’analyser la portée de la décision s’agissant d’une part de l’appréciation souveraine du juge dans la modulation de l’amende (I), et d’autre part de la confirmation du caractère quasi-absolu de l’obligation de remise en état (II).
I. L’appréciation souveraine du juge dans la modulation de l’amende
La cour administrative d’appel, tout en rappelant l’existence du principe d’individualisation des peines qui guide le juge dans la fixation de l’amende (A), affirme la prééminence de la gravité objective du manquement sur les considérations personnelles invoquées par la contrevenante (B).
A. Le rappel du principe de l’individualisation des peines
La décision commentée prend soin de rappeler les principes directeurs gouvernant l’action du juge administratif face à une contravention de grande voirie. Elle souligne qu’une fois la matérialité de l’infraction constatée, le juge ne peut dispenser son auteur de la condamnation à l’amende prévue par les textes. Cependant, la juridiction dispose d’une marge d’appréciation pour en fixer le montant. L’arrêt énonce clairement que, « eu égard au principe d’individualisation des peines, il lui appartient cependant de fixer, dans les limites prévues par les textes applicables, le montant des amendes dues compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’affaire et notamment de la gravité de la faute commise ».
Cette motivation confirme que le juge ne se comporte pas comme un automate appliquant un barème fixe. Il doit procéder à une analyse concrète de chaque situation pour adapter la sanction. Ce pouvoir de modulation est essentiel pour que la peine soit juste et proportionnée. Le juge doit ainsi peser l’ensemble des éléments du dossier, ce qui inclut non seulement la nature de l’infraction et ses conséquences dommageables pour le domaine public, mais également les circonstances entourant sa commission. C’est dans ce cadre que la situation personnelle du contrevenant peut, en théorie, être prise en considération.
B. La primauté de la gravité de la faute sur la situation personnelle du contrevenant
Face aux arguments de la requérante qui mettait en avant sa situation d’impécuniosité et la situation médicale de son enfant, la cour opère une hiérarchisation claire des critères d’appréciation. Elle considère que ces éléments ne sauraient suffire à justifier une réduction significative de la sanction. En effet, elle juge que « au regard de l’ensemble des circonstances de l’espèce, compte tenu de la gravité de la faute et alors que l’amende qui pouvait lui être infligée pouvait atteindre un montant maximum de 12 000 euros », le montant de 2 500 euros n’est pas excessif.
Cette approche révèle que, dans la balance des intérêts, la protection de l’intégrité du domaine public et la nécessité de réprimer les atteintes qui y sont portées pèsent plus lourd que la situation individuelle de l’auteur de l’infraction. La gravité de la faute, appréciée ici au regard de l’étendue du dépôt de gravats et de sa persistance dans le temps, constitue le critère déterminant. La décision illustre ainsi une certaine rigueur du contentieux de la grande voirie, où la clémence motivée par des considérations sociales trouve ses limites face à l’impératif de préservation du patrimoine public. Le juge administratif entend signifier que les difficultés personnelles, si réelles soient-elles, ne peuvent constituer une excuse pour porter atteinte au domaine public.
Au-delà de la sanction pécuniaire, la protection du domaine public impose avant tout sa remise en état, une obligation dont le régime juridique présente une rigueur accrue.
II. La confirmation du caractère quasi-absolu de l’obligation de remise en état
La cour confirme la solution des premiers juges non seulement sur l’amende mais aussi sur les mesures visant à assurer la réparation matérielle du dommage. L’injonction de réparation apparaît comme une conséquence intangible de l’infraction (A), dont l’effectivité est garantie par le recours discrétionnaire à l’astreinte (B).
A. L’injonction de réparation, conséquence automatique de l’infraction
L’arrêt rappelle avec force le second volet de la répression des contraventions de grande voirie : l’action domaniale. Celle-ci vise à effacer les conséquences matérielles de l’infraction et à restituer au domaine son état initial. La cour énonce un principe fondamental en la matière : « Il ne peut légalement décharger le contrevenant de l’obligation de réparer les atteintes portées au domaine public qu’au cas où le contrevenant produit des éléments de nature à établir que le dommage est imputable, de façon exclusive, à un cas de force majeure ou à un fait de l’administration assimilable à un cas de force majeure. »
Cette formulation souligne le caractère quasi-inéluctable de l’obligation de remise en état. Contrairement à l’amende qui est modulable, l’obligation de réparer est un principe qui ne souffre que de très rares exceptions, limitées à des causes d’exonération de la responsabilité strictement définies et rarement admises en jurisprudence. L’injonction de faire cesser l’atteinte et de réparer le dommage n’est donc pas une faculté laissée à l’appréciation du juge, mais une obligation qui s’impose à lui dès lors que l’infraction est constituée. La situation personnelle du contrevenant est, à ce stade, totalement inopérante pour échapper à cette obligation.
B. L’astreinte, un outil discrétionnaire au service de l’effectivité de la réparation
Si l’injonction de remise en état est de droit, les moyens pour en assurer l’exécution relèvent davantage du pouvoir d’appréciation du juge. L’arrêt confirme que le juge « peut, s’il l’estime nécessaire, prononcer une astreinte en fixant lui-même, dans le cadre de son pouvoir d’appréciation, le point de départ de cette astreinte ». Le prononcé d’une astreinte n’est donc pas automatique ; il s’agit d’une mesure coercitive que le juge décide d’adjoindre à l’injonction pour vaincre la résistance éventuelle du contrevenant.
En l’espèce, la cour estime que c’est « à bon droit » que le tribunal administratif a assorti son injonction d’une astreinte de 50 euros par jour. Elle motive sa décision en se référant aux « circonstances de l’espèce telles que rappelées au point 7 », c’est-à-dire la gravité de la faute et la persistance de l’occupation illicite. La situation de précarité de la requérante n’a pas été jugée suffisante pour écarter cette mesure de contrainte, le juge considérant sans doute que l’astreinte était le seul moyen efficace pour garantir la prompte libération du domaine public. L’astreinte est ainsi consacrée comme un outil pragmatique et dissuasif, indispensable à l’autorité des décisions du juge domanial.