Cour d’appel administrative de Douai, le 26 juin 2025, n°24DA02319

Par un arrêt en date du 26 juin 2025, une cour administrative d’appel se prononce sur le niveau de précision requis dans un dossier de demande de permis de construire au regard des prescriptions d’un plan de prévention des risques. En l’espèce, une société civile de construction-vente avait sollicité un permis de construire pour la réalisation d’un immeuble de logements collectifs, après démolition d’un bâtiment existant. Le maire d’une commune s’était opposé à ce projet par un arrêté, confirmé sur recours gracieux, au motif que le dossier de demande ne détaillait pas suffisamment la nature des matériaux employés pour garantir leur résistance à l’eau, en méconnaissance d’une disposition du plan de prévention des risques littoraux et inondations applicable.

Saisi par la société pétitionnaire, le tribunal administratif de Rouen avait annulé ce refus, jugeant le motif illégal, et avait enjoint au maire de délivrer l’autorisation d’urbanisme. La commune a interjeté appel de ce jugement, soutenant que les juges de première instance avaient commis une erreur de droit et une erreur de fait en considérant que le respect de la prescription relative aux matériaux n’avait pas à être vérifié en amont de la délivrance du permis. Le débat se concentrait ainsi sur la portée des obligations incombant au demandeur d’une autorisation d’urbanisme pour justifier de la conformité de son projet aux règles générales d’un plan de prévention des risques.

Il était ainsi demandé à la cour administrative d’appel de déterminer si une disposition d’un plan de prévention des risques imposant l’usage de matériaux résistants à l’eau exige du pétitionnaire la fourniture de leurs caractéristiques techniques détaillées dès le stade de l’instruction de la demande de permis, ou si elle constitue une prescription de résultat s’imposant lors de la construction.

La cour rejette la requête de la commune, confirmant l’analyse des premiers juges. Elle estime qu’une telle prescription « se borne à prescrire de manière prospective l’utilisation de matériaux adaptés et résistants à l’eau sans exiger la présentation, dès le stade de l’instruction du permis, de leurs caractéristiques techniques ». Faute de constater un manque avéré d’adaptation des matériaux décrits dans le dossier, l’autorité administrative ne pouvait légalement fonder son refus sur l’insuffisance des justifications fournies à cet égard.

Cette décision conduit à préciser le degré de contrôle que l’administration exerce sur les aspects techniques d’un projet de construction au moment de l’instruction du permis (I), tout en définissant les limites de cette approche pragmatique afin de garantir l’effectivité des règles de prévention des risques (II).

***

I. La confirmation du contrôle restreint de l’administration sur les caractéristiques techniques des matériaux

La cour administrative d’appel valide le raisonnement du tribunal administratif en adoptant une lecture finaliste de la réglementation applicable (A), ce qui la conduit à considérer comme suffisants les éléments généraux fournis par la société pétitionnaire (B).

A. L’interprétation finaliste d’une prescription du plan de prévention des risques

L’arrêt commenté s’attache à définir la nature de l’obligation issue de l’article 2.4.3 du règlement du plan de prévention des risques. Cette disposition prévoit que les projets autorisés doivent « utiliser des matériaux de construction de premier et second œuvre adaptés résistants à l’eau ». La commune appelante interprétait cette règle comme une condition de recevabilité du dossier, exigeant une démonstration technique préalable à toute autorisation. Or, la cour écarte cette lecture en jugeant que cette condition est « posée de manière générale et se borne à prescrire de manière prospective ».

Ce faisant, le juge administratif distingue l’obligation de conception du projet, qui doit être compatible avec les règles d’urbanisme, de l’obligation de réalisation matérielle, qui doit être conforme aux normes de construction. La prescription du plan de prévention des risques est analysée comme une règle de fond s’imposant au constructeur, et non comme une exigence documentaire s’imposant au demandeur du permis. L’objectif de la norme est d’assurer la durabilité et la sécurité de l’ouvrage face au risque inondation, un objectif qui se matérialise lors de l’exécution des travaux et non dans la composition administrative du dossier initial. Cette interprétation pragmatique évite de transformer l’instruction du permis de construire en une validation technique exhaustive de chaque composant.

B. La suffisance des éléments descriptifs généraux fournis par le pétitionnaire

Conséquence directe de cette interprétation, la cour examine les pièces du dossier pour vérifier si elles ne révèlent pas une incompatibilité manifeste avec la règle de prévention. Elle relève que la notice descriptive du projet mentionne l’usage de « façades en plaquette de brique et en enduit taloché fin, des ouvrants et structures en aluminium, des toitures en ardoise et des gouttières en zinc ». Le juge constate qu’il ne peut être déduit de la seule description de ces matériaux « un manque avéré ou probable d’adaptation et de résistance au risque de ruissellement ».

En outre, la cour prend en compte l’attestation de l’architecte du projet et l’engagement de la société pétitionnaire à respecter les normes techniques unifiées du bâtiment. Ces éléments, bien que non contraignants à ce stade, constituent un faisceau d’indices suffisant pour écarter le doute de l’administration. Le contrôle du juge se limite donc à l’absence d’inadéquation flagrante, sans exiger une preuve positive et détaillée de la performance technique des matériaux. L’arrêté de refus est ainsi jugé illégal, car il se fonde sur une absence de justification là où la réglementation n’en imposait pas de manière aussi spécifique.

Cette solution, en clarifiant le degré d’exigence applicable, dessine les contours d’une approche pragmatique du contrôle de légalité des autorisations d’urbanisme, dont il convient de mesurer la portée.

II. La portée de la solution : un équilibre entre sécurité et souplesse administrative

L’arrêt établit une distinction claire entre le contrôle opéré au stade de l’autorisation et celui intervenant à l’achèvement des travaux (A), tout en préservant implicitement la capacité de l’administration à s’opposer à un projet manifestement non conforme (B).

A. La distinction entre l’obligation de conformité et l’exigence de preuve

La décision commentée réaffirme une division fonctionnelle dans le processus de construction. L’autorisation d’urbanisme a pour objet de vérifier la conformité d’un projet à la réglementation d’urbanisme sur la base des plans et des documents descriptifs fournis. Le contrôle de la mise en œuvre effective des prescriptions, notamment techniques, intervient ultérieurement, lors de la déclaration attestant l’achèvement et la conformité des travaux. Exiger une justification technique détaillée de chaque matériau dès le dépôt du permis reviendrait à fusionner ces deux étapes et à imposer au pétitionnaire une charge excessivement lourde à un stade précoce du projet.

Cette solution préserve une certaine souplesse pour les porteurs de projet, qui peuvent affiner leurs choix techniques après l’obtention de l’autorisation. Elle évite également d’engorger les services instructeurs avec des données complexes dont l’analyse ne relève pas de leur mission première. L’équilibre trouvé par le juge garantit que l’administration se concentre sur les grands équilibres du projet (insertion, volumétrie, respect des zones de risque) sans se substituer au maître d’œuvre dans la définition des modalités constructives. La solidité juridique de la construction reste garantie par le contrôle de conformité final et la responsabilité des constructeurs.

B. La préservation de la marge d’appréciation face à une non-conformité manifeste

Si la cour écarte l’exigence d’une preuve détaillée, sa décision ne prive pas pour autant l’administration de tout pouvoir de contrôle. Le raisonnement suivi repose en effet sur l’absence de « manque avéré ou probable d’adaptation et de résistance » des matériaux envisagés. A contrario, si un projet décrivait l’utilisation de matériaux notoirement inadaptés à une zone inondable, le maire conserverait la faculté de refuser le permis de construire sur ce fondement. Le contrôle de l’administration n’est donc pas supprimé mais proportionné à l’objet de la demande.

La portée de cet arrêt est donc de cantonner le refus de permis aux cas d’incompatibilité manifeste avec la réglementation. L’administration ne peut se fonder sur un simple doute ou une absence de précisions superfétatoires pour rejeter une demande. Elle doit motiver son refus en démontrant en quoi le projet, tel que décrit, méconnaît la règle d’urbanisme. Cette solution protège les pétitionnaires contre l’arbitraire administratif tout en maintenant l’objectif de sécurité des plans de prévention des risques, qui peuvent toujours être assortis de prescriptions spécifiques dans l’autorisation elle-même ou faire l’objet d’un contrôle rigoureux lors de la réception des travaux.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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