Par une décision en date du 23 janvier 2025, la cour administrative d’appel s’est prononcée sur la légalité d’un arrêté préfectoral déclarant une commune en état de carence au regard de ses obligations de production de logements locatifs sociaux. En l’espèce, une commune s’était vu notifier par le représentant de l’État un objectif triennal de réalisation de 198 logements sociaux pour la période 2017-2019. À l’issue de cette période, il fut constaté que seuls 67 logements avaient été produits, correspondant à un taux de réalisation d’environ 34 %. En conséquence, le préfet, par un arrêté du 21 décembre 2020, a prononcé la carence de la commune et a fixé une majoration de 60 % du prélèvement financier auquel elle est assujettie.
Saisi par la commune, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande d’annulation de cet arrêté par un jugement du 31 juillet 2023. La commune a interjeté appel de ce jugement, soutenant que l’arrêté litigieux était insuffisamment motivé, que le constat de carence procédait d’une erreur manifeste d’appréciation au regard des difficultés rencontrées et des efforts consentis, et que la sanction financière infligée était disproportionnée. Se posait alors la question de savoir dans quelle mesure une commune, n’ayant pas atteint ses objectifs quantitatifs de construction de logements sociaux, peut se prévaloir des difficultés matérielles et de sa politique volontariste pour échapper au constat de sa carence et à la sanction financière qui en découle.
La cour administrative d’appel rejette la requête de la commune. Elle juge que le constat de carence est fondé dès lors que le déficit de réalisation est substantiel et que la commune n’a pas mobilisé l’ensemble des outils juridiques à sa disposition pour atteindre ses objectifs. Elle estime en outre que la majoration du prélèvement n’est pas disproportionnée, eu égard à l’importance de l’écart constaté et au caractère répété de la défaillance de la commune. Cette décision illustre la rigueur avec laquelle le juge administratif apprécie le respect par les communes de leurs obligations issues de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (I), confirmant ainsi l’étendue du pouvoir de contrôle et de sanction du préfet en la matière (II).
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I. L’appréciation rigoureuse de l’obligation de résultat en matière de logement social
La cour administrative d’appel confirme que l’obligation pesant sur la commune s’analyse comme une obligation de résultat, dont l’appréciation repose principalement sur le déficit quantitatif constaté (A), la simple allégation de difficultés ou d’une politique volontariste ne suffisant pas à exonérer la commune si elle n’a pas mobilisé tous les instruments à sa portée (B).
A. La prééminence du critère quantitatif dans la caractérisation de la carence
Le juge administratif fonde son raisonnement sur un élément objectif et incontestable : l’écart entre les objectifs fixés et les réalisations effectives. L’arrêt relève ainsi que « seuls 67 logements, soit 33,84 % de l’objectif initial, avaient été réalisés sur la période concernée ». Ce constat factuel constitue le point de départ de l’analyse et pèse de tout son poids dans la démonstration. Face à un déficit de plus des deux tiers, les arguments de la commune visant à relativiser son échec perdent de leur pertinence.
La cour écarte ainsi méthodiquement les justifications avancées, telles que l’absence d’emprise foncière disponible ou les prix élevés de l’immobilier. Ces difficultés, bien que réelles, sont considérées comme inhérentes à l’action des collectivités en zone tendue et ne sauraient suffire à justifier une défaillance d’une telle ampleur. Le juge rappelle implicitement que la loi a précisément pour objet de contraindre les communes à surmonter ces obstacles pour assurer la mixité sociale sur leur territoire. En se concentrant sur le résultat chiffré, la décision renforce la nature contraignante des objectifs triennaux et limite les possibilités d’échappatoire pour les communes récalcitrantes.
B. La sanction de l’insuffisante mobilisation des prérogatives communales
Au-delà du seul constat quantitatif, la cour examine le comportement de la commune et les moyens qu’elle a effectivement mis en œuvre. L’arrêt prend soin de souligner l’inertie de la collectivité, qui n’a pas usé de toutes ses prérogatives pour faciliter la construction de logements sociaux. Le juge relève ainsi qu’elle « n’a pas sollicité la modification des dispositions d’urbanisme aux fins d’instaurer une servitude de mixité sociale, ni demandé à abaisser le seuil de dix-sept logements déclenchant l’obligation de construction de logements sociaux (…), ni même saisi le préfet en vue de l’exercice des compétences du droit de préemption ».
Cette énumération démontre que le juge n’attend pas seulement de la commune qu’elle subisse passivement la pression foncière, mais qu’elle agisse en tant que puissance publique pour créer les conditions de la réalisation de ses objectifs. La signature d’un contrat de mixité sociale est jugée insuffisante si elle ne se traduit pas par des actions concrètes et efficaces. De même, l’argument tiré des recours contentieux contre les permis de construire est écarté, le juge rappelant leur caractère non suspensif et l’absence de preuve d’un impact global sur la politique de logement. La carence est donc caractérisée non seulement par un échec en termes de résultats, mais aussi par un manque de diligence dans les moyens employés.
II. La confirmation du pouvoir d’appréciation du préfet sous un contrôle juridictionnel limité
Le juge administratif, bien qu’exerçant un recours de pleine juridiction, opère un contrôle restreint sur l’opportunité de la décision préfectorale. Il valide le bien-fondé du constat de carence en l’absence d’erreur manifeste d’appréciation (A) et confirme la proportionnalité de la sanction financière retenue (B).
A. Un contrôle restreint sur l’opportunité du prononcé de la carence
L’arrêt rappelle qu’il appartient au préfet d’apprécier, au cas par cas, s’il y a lieu de prononcer la carence. Cette appréciation doit tenir compte de plusieurs critères : l’écart entre objectifs et réalisations, les difficultés rencontrées par la commune et les projets en cours. Saisi d’un recours, le juge de plein contentieux vérifie si la décision du préfet n’est pas entachée d’une erreur d’appréciation. En l’espèce, la cour estime que les faits justifiaient pleinement la décision prise.
Le juge valide l’analyse du préfet, qui avait estimé que les difficultés alléguées par la commune n’étaient pas de nature à excuser un bilan aussi faible. L’appréciation des efforts fournis, tels que les projets engagés hors de la période triennale concernée, est jugée non pertinente pour évaluer la défaillance sur la période 2017-2019. En refusant de substituer sa propre appréciation à celle de l’administration sur l’opportunité du constat de carence, le juge conforte le rôle central du préfet comme garant de la mise en œuvre de la loi sur le territoire. Le contrôle se limite à vérifier que la décision n’est pas manifestement erronée, ce qui laisse une marge de manœuvre importante au représentant de l’État.
B. Une validation de la proportionnalité de la sanction financière
Le contrôle du juge de plein contentieux s’étend à la proportionnalité de la sanction infligée. La commune soutenait que la majoration de 60 % de son prélèvement annuel était disproportionnée. Pour rejeter cet argument, la cour se fonde sur une série d’éléments convergents qui attestent de la gravité du manquement. Elle relève d’abord que « la commune de Mouvaux n’a pas réalisé 66,16 % de son objectif », ce qui constitue une défaillance majeure.
Surtout, le juge prend en compte « un contexte de carence réitérée », soulignant que la commune n’en était pas à son premier échec. Cet élément d’appréciation est déterminant et justifie une sévérité accrue. La cour se réfère également à l’avis de la commission nationale SRU, qui avait recommandé un « renforcement significatif du niveau de majoration » pour les communes dans cette situation. En fixant le taux à 60 %, alors que la loi autorise une majoration pouvant aller jusqu’à cinq fois le montant du prélèvement initial, le préfet a fait preuve d’une modération relative. Le juge estime donc que la sanction n’est nullement excessive au regard de la persistance de la commune à ne pas respecter ses obligations légales.