Une société exerçant une activité de fabrication et de négoce d’articles textiles a fait l’objet d’une vérification de comptabilité ayant conduit à une réévaluation des bases de sa cotisation foncière des entreprises pour les années 2015 à 2020. L’administration fiscale a en effet réintégré dans l’assiette de l’impôt la valeur de nombreuses immobilisations que l’entreprise considérait comme des outillages exonérés. Suite au rejet de sa réclamation, la société a saisi le tribunal administratif de Lille, lequel n’a que partiellement fait droit à sa demande en n’excluant des bases d’imposition que la valeur d’un transformateur électrique. L’entreprise a interjeté appel de ce jugement, soutenant à titre principal que l’administration aurait dû reprendre une évaluation antérieure établie lors d’un contrôle portant sur les années 1999 à 2005, et ce en vertu du principe de sécurité juridique. Subsidiairement, elle demandait l’exonération de plusieurs autres biens au titre d’outillages industriels. Se posait alors la question de savoir si une prise de position administrative, adoptée pour un impôt différent et à l’égard de sociétés absorbées depuis, pouvait être valablement opposée à l’administration au nom du principe de sécurité juridique. Il s’agissait également de déterminer selon quels critères des équipements, notamment de sécurité, peuvent être qualifiés d’outillages spécifiquement adaptés à une activité industrielle et ainsi bénéficier d’une exonération de cotisation foncière des entreprises. Par un arrêt du 16 janvier 2025, la cour administrative d’appel a rejeté l’argument principal de la contribuable, jugeant inopposable la position antérieure de l’administration. Elle a en revanche fait partiellement droit à sa demande subsidiaire, en considérant que le système de sécurité incendie constituait bien un outillage exonéré en raison de sa nécessité intrinsèque pour l’activité exercée.
L’analyse de la décision conduit à examiner le strict encadrement par le juge des garanties invocables par le contribuable (I), avant de s’attacher à l’appréciation concrète du critère d’adaptation spécifique à l’activité qui conditionne l’exonération de certains biens (II).
I. Le rejet d’une application extensive des garanties du contribuable
La cour administrative d’appel a adopté une lecture restrictive des garanties que la société requérante entendait tirer tant d’une prise de position passée de l’administration (A) que du principe plus général de sécurité juridique (B).
A. L’inopposabilité d’une prise de position administrative antérieure
La société soutenait que l’administration était liée par les conclusions d’un contrôle fiscal antérieur, mené de 2002 à 2005, qui avait fixé la valeur locative de ses installations. Elle invoquait à ce titre une méconnaissance de la garantie prévue à l’article L. 80 B du livre des procédures fiscales. La cour écarte ce moyen en soulignant que la situation de l’espèce ne remplissait pas les conditions d’application de cette disposition. Elle relève en effet que le contrôle invoqué « avait été diligenté à l’égard de contribuables distincts », à savoir les sociétés ayant précédé l’entité actuelle issue d’une fusion, et concernait « un impôt différent », la taxe professionnelle, et non la cotisation foncière des entreprises. Dès lors, la position adoptée par l’administration ne pouvait être considérée comme « une prise de position formelle de l’administration sur une situation de fait au regard de la loi fiscale dont l’appelante pourrait se prévaloir ». Le juge refuse ainsi de transposer une analyse effectuée dans un contexte juridique et factuel distinct, réaffirmant la nécessité d’une identité de situation pour qu’une prise de position formelle puisse être utilement invoquée par un contribuable.
B. La portée limitée du principe de sécurité juridique face à l’évolution de la situation
Au-delà de la garantie spécifique de l’article L. 80 B, l’entreprise se prévalait d’une violation du principe de sécurité juridique, qui implique qu’une situation consolidée ne puisse être indéfiniment remise en cause. La cour rejette également cet argument en précisant la portée de ce principe en matière fiscale. Elle juge que ce principe « implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l’effet du temps, et non qu’une situation évolutive soit insusceptible de faire l’objet d’appréciations différentes au fil du temps ». Le juge souligne ainsi que la situation de l’établissement industriel n’était pas figée, des investissements ayant été réalisés depuis le précédent contrôle. En refusant de cristalliser la valeur locative de l’établissement, la cour rappelle que l’évaluation des biens industriels doit suivre leur évolution matérielle et comptable, conformément aux règles de détermination de la base imposable propres à chaque exercice. Le principe de sécurité juridique ne saurait donc faire obstacle à la correcte application de la loi fiscale à une situation factuelle nouvelle ou modifiée.
II. La qualification d’outillage exonéré : l’appréciation pragmatique du critère d’adaptation spécifique à l’activité
Si la cour a rejeté les moyens principaux de la requérante, elle s’est livrée à une analyse détaillée de la nature des différents biens pour lesquels l’exonération était demandée, aboutissant à une solution nuancée. Elle a ainsi maintenu dans l’assiette de l’impôt les biens intégrés à l’immeuble ou d’usage général (A), tout en reconnaissant le caractère spécifique des équipements de sécurité directement liés au processus industriel (B).
A. L’exclusion des biens intégrés à l’immeuble ou non spécifiques à l’industrie
La société demandait l’exonération de nombreux éléments tels que des rayonnages, des racks, un portail, des chaudières ou encore des aérothermes. Pour rejeter ces prétentions, la cour a mobilisé les critères traditionnels d’exonération des outillages prévus au 11° de l’article 1382 du code général des impôts. Elle a d’abord écarté les biens qui, en l’absence de preuve contraire, constituent « des installations destinées à stocker des produits », tels que les rayonnages et les racks, les faisant ainsi relever de l’article 1381 du même code et non de l’exonération. Pour d’autres éléments, comme les chaudières ou les générateurs d’air chaud, elle a estimé qu’il « ne résulte pas de l’instruction que [ces biens] constitueraient des éléments spécifiquement adaptés aux activités susceptibles d’être exercées dans un établissement industriel ». En appliquant ce critère d’adaptation spécifique, le juge a refusé l’exonération pour des équipements qui, bien qu’utiles à l’exploitation, ne sont pas intrinsèquement liés à la nature de l’activité industrielle textile et pourraient se retrouver dans un autre type de bâtiment.
B. La reconnaissance du caractère spécifique des équipements de sécurité imposés par l’activité
La solution retenue par la cour est particulièrement éclairante en ce qui concerne le système de sécurité incendie, comprenant un sprinkler, des portes coupe-feu et une alarme. Contrairement aux autres biens, la cour a jugé que cet ensemble était éligible à l’exonération. Son raisonnement se fonde sur une analyse concrète et fonctionnelle de l’équipement au regard de l’activité de l’entreprise. Elle juge que cette installation « doit être regardée comme nécessitée par la nature de l’activité exercée dans les locaux en cause, qui implique de stocker et de transformer des grandes quantités de matières textiles particulièrement inflammables, et, par suite, comme adaptée et dimensionnée aux activités susceptibles d’être exercées dans un établissement industriel ». Par cette motivation précise, la cour ne se contente pas de constater la présence d’un équipement de sécurité, mais lie sa nature et sa dimension à une contrainte inhérente et spécifique au processus de production textile. C’est cette nécessité imposée par le risque industriel particulier qui confère à l’installation son caractère d’outillage spécifiquement adapté, ouvrant droit à l’exonération et affinant ainsi la jurisprudence relative à la qualification des biens industriels.