En présence d’une demande d’autorisation d’urbanisme, les actes pris par l’administration durant la phase d’instruction déterminent la naissance éventuelle d’une décision implicite. Une cour administrative d’appel, par un arrêt rendu le 10 avril 2025, a eu à se prononcer sur les conséquences en chaîne de la légalité variable de tels actes. En l’espèce, une société avait déposé une demande de permis de construire pour un ensemble de logements collectifs. Moins d’un mois après, le maire avait notifié au pétitionnaire, par un même courrier, d’une part que son dossier était incomplet, et d’autre part que le délai d’instruction était majoré en raison de la localisation du projet. L’autorité municipale a finalement opposé un refus exprès à la demande plusieurs mois plus tard.
Le tribunal administratif, saisi par le pétitionnaire, a annulé cette décision de refus au motif qu’un permis de construire tacite était né et que l’acte litigieux, constituant en réalité un retrait, avait été pris en méconnaissance de la procédure contradictoire préalable. La commune a interjeté appel de ce jugement, contestant l’analyse des premiers juges sur la naissance d’un permis tacite et la qualification de sa décision. La question se posait de savoir si une demande de pièce complémentaire jugée illégale et une majoration de délai de simple information pouvaient, cumulativement, affecter le point de départ et la durée d’instruction au point de faire naître un permis tacite. Il s’agissait ensuite de déterminer si le retrait d’un tel permis, intervenant dans le délai légal, pouvait être annulé au seul motif de l’absence de procédure contradictoire, sans examen de son bien-fondé matériel.
À cette double interrogation, la cour administrative d’appel répond que le délai d’instruction court bien à compter de la demande initiale dès lors que la demande de pièce complémentaire est illégale, et ce, même si une majoration du délai est par ailleurs valablement notifiée. Elle en déduit qu’un permis tacite a pu naître à l’échéance de ce délai, requalifiant le refus exprès postérieur en décision de retrait. Surtout, elle juge qu’un tel retrait, pour être légal, doit impérativement être précédé d’une procédure contradictoire, dont l’omission vicie la décision et fait obstacle à toute possibilité de régularisation par une substitution de motifs au fond.
L’analyse de la cour clarifie ainsi les conditions de naissance du permis tacite en présence d’actes d’instruction multiples (I), avant de réaffirmer avec force les garanties procédurales attachées à son retrait (II).
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I. La naissance d’un permis de construire tacite conditionnée par la légalité des actes d’instruction
La formation d’une autorisation d’urbanisme implicite dépend du décompte d’un délai qui ne peut être affecté que par des actes administratifs réguliers. La cour examine avec une grande rigueur la demande de pièce complémentaire adressée au pétitionnaire, concluant à son inefficacité pour interrompre le délai d’instruction (A), tout en validant la notification de la majoration de ce même délai (B).
A. L’inefficacité d’une demande de pièce complémentaire illégale
Le code de l’urbanisme encadre strictement la possibilité pour l’administration de solliciter des pièces manquantes, une telle demande ayant pour effet de suspendre le délai d’instruction. En l’espèce, le juge d’appel observe que l’autorité compétente avait demandé une version modifiée du plan de masse au motif que « le traitement paysager des aires de stationnement étant à revoir ». Or, le dossier initial comportait bien tous les plans requis par l’article R. 431-9 du code de l’urbanisme.
La cour en conclut que la demande du maire ne portait pas sur une pièce manquante mais constituait en réalité une « appréciation sur l’adéquation entre le projet et les prévisions du PLU ». Une telle appréciation sur le fond du projet ne peut légalement fonder une demande de pièce complémentaire. Par conséquent, cette demande, étant illégale, ne pouvait produire l’effet prévu par le code, à savoir interrompre le délai d’instruction. Il en résulte que « le point de départ du délai d’instruction qui a commencé à courir à compter de la demande initiale déposée le 28 juin 2022 ». La solution est classique mais son application démontre une volonté de ne pas laisser l’administration se prévaloir de ses propres turpitudes pour faire échec à la naissance d’une décision implicite.
B. La validité d’une majoration de délai suffisamment motivée
Parallèlement à la demande de pièce, le maire avait informé le pétitionnaire que le délai d’instruction était porté de trois à quatre mois en raison de la situation du projet en zone d’archéologie préventive. La cour examine la validité de cette majoration, qui, si elle est légale, prolonge d’autant le délai à l’issue duquel naît le permis tacite. Elle relève que la notification a bien été effectuée dans le délai d’un mois à compter du dépôt du dossier.
Surtout, elle estime que la motivation de cette majoration était suffisante, quand bien même l’acte ne visait aucun article précis du code. La lettre indiquait clairement le motif factuel et juridique : le projet est « situé dans une zone d’archéologie préventive ». Pour le juge, une telle mention est suffisante au regard des exigences de l’article R. 423-42 du code de l’urbanisme, qui impose de mentionner « les motifs de la modification de délai » sans exiger la précision des considérations de droit et de fait applicable aux décisions faisant grief. Cette souplesse pragmatique contraste avec la rigueur de l’analyse précédente et permet d’établir que le délai d’instruction applicable était de quatre mois. En combinant ces deux éléments, la cour fixe l’expiration du délai au 28 octobre 2022, entraînant la naissance d’un permis tacite à cette date.
II. Le retrait du permis tacite vicié par le non-respect d’une garantie procédurale substantielle
Une fois l’existence du permis tacite acquise, la décision de refus expresse s’analyse en un retrait. La cour s’attache alors à vérifier la régularité de cette nouvelle décision, en soulignant le caractère impératif de la procédure contradictoire (A) et en écartant toute tentative de sauvetage de l’acte par l’administration (B).
A. L’obligation d’une procédure contradictoire préalable au retrait
Le retrait d’une décision créatrice de droits, tel un permis de construire, est une prérogative encadrée de l’administration, qui ne peut l’exercer que si l’acte est illégal et dans un délai de trois mois. Bien que l’acte du 24 novembre 2022 ait été pris dans ce délai, il n’en demeure pas moins soumis aux garanties procédurales édictées par le code des relations entre le public et l’administration.
La cour rappelle avec force que, sur le fondement des articles L. 121-1 et L. 122-1 de ce code, une décision de retrait doit être précédée d’une procédure contradictoire permettant à l’intéressé de présenter ses observations. Or, il n’était ni établi ni même allégué que le pétitionnaire avait été informé de l’intention de la commune et mis à même de se défendre. Cette omission constitue une irrégularité qui, selon le juge, a privé la société « de la garantie prévue par les articles L. 121-1 et L. 122-1 ». Le non-respect du caractère contradictoire de la procédure est ainsi sanctionné pour lui-même, en ce qu’il porte atteinte à une garantie substantielle du justiciable.
B. L’impossibilité de régulariser un vice de procédure par substitution de motifs
Face à ce vice de forme, la commune demandait à la cour de substituer aux motifs erronés de sa décision plusieurs motifs de fond tirés de la violation de diverses règles du plan local d’urbanisme. Une telle substitution est une technique jurisprudentielle permettant de sauver un acte dont le dispositif est légalement justifié par d’autres motifs que ceux initialement invoqués.
Cependant, la cour oppose une fin de non-recevoir catégorique à cette demande. Elle juge que l’arrêté étant « entaché d’un vice de procédure », la commune ne peut utilement faire valoir que sa décision serait fondée sur des motifs de fond. Cette solution réaffirme un principe fondamental : la substitution de motifs ne peut couvrir un vice de procédure affectant les conditions d’édiction de l’acte lui-même. La légalité externe de la décision est un préalable à l’examen de sa légalité interne. En refusant de purger l’acte de son vice originel, le juge administratif rappelle que le respect des formes et des garanties procédurales n’est pas une simple formalité, mais une condition de la validité même de l’action administrative.