Cour d’appel administrative de Bordeaux, le 28 mai 2025, n°23BX01230

Par un arrêt en date du 28 mai 2025, la cour administrative d’appel de Bordeaux s’est prononcée sur la légalité d’un permis de construire délivré par une commune du littoral en méconnaissance des dispositions de la loi Littoral. En l’espèce, le maire d’une commune avait accordé à une société un permis de construire pour une maison individuelle sur une parcelle située dans un lieu-dit en bordure de lac, à environ deux kilomètres du centre-bourg. Saisi par la préfète du département, qui avait préalablement émis un avis conforme défavorable et dont le recours gracieux avait été rejeté, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé cet acte. La commune a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que le projet se situait dans un secteur déjà urbanisé et ne méconnaissait pas les règles d’urbanisme applicables, et que l’avis du préfet était par conséquent entaché d’illégalité.

Il revenait donc aux juges d’appel de déterminer si la zone d’implantation du projet pouvait être qualifiée d’agglomération ou de village au sens de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme, condition nécessaire pour autoriser une extension de l’urbanisation. En cas de réponse négative, il s’agissait de confirmer si le maire était lié par l’avis conforme défavorable du représentant de l’État.

La cour administrative d’appel rejette la requête de la commune, confirmant ainsi l’annulation du permis de construire. Elle juge que le lieu-dit concerné ne présente pas les caractéristiques d’un village ou d’une agglomération, en raison de sa discontinuité, de son éloignement du bourg principal et de l’absence de services et d’équipements significatifs. Par conséquent, elle estime que le projet méconnaissait bien le principe d’extension de l’urbanisation en continuité des zones urbanisées, et que le préfet était fondé à émettre un avis défavorable liant la commune.

Cet arrêt est l’occasion de rappeler la rigueur avec laquelle le juge administratif apprécie la notion de village en zone littorale (I), avant de réaffirmer la portée contraignante de l’avis de l’État lorsque les règles d’urbanisme d’ordre public sont méconnues (II).

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I. L’application orthodoxe de la notion de village littoral

La cour fonde sa décision sur une appréciation stricte et factuelle des critères jurisprudentiels définissant le village (A), tout en écartant les arguments de la commune jugés inopérants (B).

A. La confirmation d’une interprétation restrictive du critère de village

Pour déterminer si l’extension de l’urbanisation est possible, le juge doit qualifier l’espace dans lequel s’insère le projet. L’article L. 121-8 du code de l’urbanisme impose en effet que cette extension se réalise « en continuité avec les agglomérations et villages existants ». La jurisprudence a précisé de longue date ce qu’il faut entendre par ces termes, retenant que doivent être considérés comme tels « les secteurs déjà urbanisés caractérisés par un nombre et une densité significatifs de constructions ».

En l’espèce, la cour procède à une analyse détaillée des caractéristiques du lieu-dit pour conclure qu’il ne constitue pas un village. Elle relève d’abord sa situation géographique, séparé du centre-bourg par « de vastes espaces laissés à l’état naturel ». Elle examine ensuite sa morphologie, notant une urbanisation éclatée « en deux ensembles en forme de triangles séparés par des espaces naturels, sans cohérence globale ». Enfin, elle constate la faiblesse des équipements et services, soulignant que le secteur « abrite peu de commerces » dont l’ouverture permanente n’est pas établie. Cette méthode, qui s’appuie sur un faisceau d’indices concordants, est classique et démontre que la qualification de village ne saurait découler de la seule présence d’un habitat groupé, mais exige une véritable consistance urbaine. La référence au schéma de cohérence territoriale alors applicable, qui qualifiait la zone de « hameau lacustre », vient corroborer cette analyse et renforcer la motivation des juges.

B. Le rejet des circonstances de droit et de fait indifférentes

Face à cette qualification, la commune requérante avançait plusieurs arguments pour tenter de justifier la légalité du permis de construire. La cour les écarte successivement en rappelant les principes fondamentaux du contentieux administratif. En premier lieu, la commune invoquait le classement du secteur comme « village » par un nouveau schéma de cohérence territoriale approuvé postérieurement à la décision attaquée. Le juge rejette logiquement ce moyen, la légalité d’un acte administratif s’appréciant à la date de son édiction. Le nouveau document d’urbanisme, même plus favorable, était donc sans incidence sur la solution du litige.

En second lieu, la commune se prévalait d’une rupture d’égalité, au motif que d’autres permis de construire accordés dans le même secteur n’avaient pas été déférés par la préfecture. La cour rappelle avec fermeté une solution constante selon laquelle « le principe d’égalité des citoyens devant la loi ne saurait être invoqué pour justifier la demande d’un avantage illégal ». Un administré ne peut se prévaloir d’une illégalité commise au profit d’un tiers pour en obtenir le même bénéfice. Cet arrêt illustre ainsi la volonté du juge de ne pas laisser la protection du littoral, qui constitue une directive d’aménagement nationale, être affaiblie par des arguments étrangers à la correcte application de la règle de droit.

II. La portée réaffirmée de l’avis conforme de l’État

Au-delà de la qualification du secteur, l’arrêt met en lumière le mécanisme de contrôle de l’État sur les autorisations d’urbanisme dans les communes non dotées d’un document de planification local (A), et rappelle l’inefficacité des garanties procédurales lorsque la règle de fond d’ordre public est violée (B).

A. La force contraignante de l’avis préfectoral légalement justifié

Dans les communes non couvertes par un plan local d’urbanisme ou une carte communale, l’article L. 422-5 du code de l’urbanisme soumet la délivrance d’un permis de construire par le maire à l’avis conforme du préfet. Ce mécanisme assure le respect des règles nationales d’urbanisme, notamment dans les zones où la pression foncière et les enjeux environnementaux sont forts, comme le littoral. Un avis conforme négatif lie l’autorité locale, qui est alors tenue de refuser l’autorisation sollicitée.

En l’espèce, le maire avait décidé de passer outre l’avis défavorable du préfet. Cependant, l’analyse des juges démontre que cet avis était légalement justifié. Puisque le projet méconnaissait les dispositions de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme, le représentant de l’État était non seulement en droit, mais aussi en devoir de s’y opposer. La cour confirme ainsi que le maire a commis une illégalité en délivrant le permis de construire, se trouvant en situation de compétence liée pour refuser l’autorisation. La décision illustre parfaitement le rôle de garant du respect du droit supérieur que l’État exerce au travers de cette procédure d’avis conforme, privant le maire de son pouvoir d’appréciation.

B. L’inopérance des protections issues du droit des lotissements

La commune tentait également de se prévaloir des dispositions du III de l’article 42 de la loi du 23 novembre 2018, dite loi ELAN, qui ouvrait sous certaines conditions une possibilité de construire dans les secteurs déjà urbanisés non identifiés comme villages. La cour constate cependant que le projet, prévu sur des terrains boisés, aurait pour effet « d’étendre le périmètre du bâti existant », ce qui le rendait de toute façon non conforme à ces dispositions dérogatoires.

Plus fondamentalement, la cour prend soin de souligner que même si le préfet ne pouvait, en vertu de l’article L. 442-14 du code de l’urbanisme qui cristallise les règles de droit au profit des lotissements, fonder son avis sur des dispositions postérieures au permis d’aménager, l’illégalité principale du projet découlait de la méconnaissance de la version de l’article L. 121-8 applicable de longue date. Cette précision montre que la protection offerte par un permis d’aménager ne saurait faire échec à l’application des règles d’ordre public de la loi Littoral. La portée de cet arrêt, bien que rendu sur des faits d’espèce, réside dans cette claire réaffirmation de la primauté des objectifs de préservation des espaces naturels sur les mécanismes de stabilisation des droits à construire.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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