Un constructeur, après avoir obtenu des permis de construire pour deux projets immobiliers, a réalisé une voie de desserte interne. Estimant que cet ouvrage constituait un équipement public dont le coût ne pouvait lui incomber, il a engagé une action en répétition de l’indu à l’encontre de l’établissement public de coopération intercommunale compétent. Saisi du litige, le tribunal administratif de Bordeaux a, par un jugement du 22 février 2023, fait droit à cette demande et a condamné la collectivité publique au remboursement des sommes exposées par l’opérateur. L’affaire a été portée en appel par l’établissement public, qui a contesté tant la qualification d’équipement public retenue par les premiers juges que la recevabilité de l’action du constructeur, au motif que ce dernier n’était plus propriétaire de la voie litigieuse. La cour administrative d’appel de Bordeaux était ainsi amenée à se prononcer sur la question de savoir si une voie réalisée par un opérateur privé, dans le cadre d’un projet de construction, peut être qualifiée d’équipement public ouvrant droit à remboursement, au regard de sa destination prévue par les documents d’urbanisme, et si le constructeur qui en a supporté le coût conserve un intérêt à agir en répétition de l’indu après en avoir transféré la propriété. Par un arrêt du 27 juin 2025, la cour administrative d’appel de Bordeaux rejette la requête de l’établissement public, confirmant que la voie en cause est un équipement public dont le financement incombe à la collectivité, et que l’action en remboursement est ouverte au constructeur qui a supporté la dépense, indépendamment de la propriété actuelle de l’ouvrage.
I. La qualification d’équipement public déterminée par la finalité de l’ouvrage
La cour administrative d’appel de Bordeaux, pour déterminer la nature de la voie litigieuse, s’est attachée à l’intention des auteurs du plan local d’urbanisme, consacrant ainsi une interprétation finaliste de la notion d’équipement public (B) et écartant une analyse purement fonctionnelle liée aux seuls besoins du projet de construction (A).
A. Le dépassement du critère de la desserte exclusive du projet
L’établissement public soutenait que la voie répondait « strictement aux besoins relatifs à la desserte des 235 logements créés » et ne devait donc être considérée que comme un équipement propre au projet, à la charge du constructeur. Une telle argumentation repose sur une appréciation matérielle de l’usage de l’équipement, limitée à sa fonction immédiate. Toutefois, la cour ne retient pas cette approche restrictive. Elle confirme l’analyse des premiers juges, qui s’inscrit dans la lignée d’une décision antérieure du Conseil d’État, en considérant que la seule circonstance que la voie desserve les constructions autorisées est insuffisante pour la qualifier d’équipement propre au sens de l’article L. 332-15 du code de l’urbanisme. En agissant ainsi, le juge administratif refuse de limiter son analyse à la seule utilité de l’ouvrage pour le projet immobilier. Il signifie que les caractéristiques d’un équipement ne peuvent être appréciées indépendamment du contexte urbanistique dans lequel il s’insère, ce qui l’amène à rechercher sa véritable destination.
B. La prévalence de la destination de l’ouvrage fixée par le plan local d’urbanisme
Le juge d’appel fonde sa solution sur l’examen des documents de planification. Il relève que « l’intention des auteurs de ce plan local d’urbanisme est bien de réduire les flux de circulation en centre-ville et donc d’ouvrir à la circulation publique une voie nouvelle ». Cette voie a une « double vocation de desservir les constructions nouvelles et de contourner le bourg ». Le caractère d’équipement public est ainsi déduit non pas de son usage effectif et immédiat, mais de sa finalité d’intérêt général telle que définie par la collectivité elle-même dans son document de planification. La cour souligne également que « le gabarit de cette voie, du fait de sa largeur et de ses aménagements, permet à la fois de desservir les nombreuses constructions nouvelles et de répondre aux besoins de délestage du flux de circulation en centre-bourg ». Les caractéristiques physiques de l’ouvrage viennent ainsi corroborer sa vocation à excéder les seuls besoins du lotissement. La qualification d’équipement public est donc une conséquence directe de la volonté de la puissance publique de l’intégrer dans un schéma de circulation plus large, peu important que sa réalisation ait été initialement liée à une opération de construction privée.
II. La garantie du droit au remboursement pour le constructeur
Une fois la nature publique de l’équipement établie, la cour confirme sans ambiguïté le droit pour le constructeur d’obtenir le remboursement des frais qu’il a indûment supportés. Cette solution se manifeste tant par la reconnaissance d’un droit d’action en répétition détaché de la propriété de l’ouvrage (A) que par une conception extensive des coûts sujets à restitution (B).
A. Une action en répétition indépendante du transfert de propriété
L’établissement public tentait de s’opposer à la demande en arguant que l’action en répétition ne pouvait émaner que du propriétaire de la voie, en l’espèce une association syndicale libre à laquelle la propriété avait été transférée. La cour écarte fermement cet argument en énonçant que « dès lors qu’il n’est pas contesté que la société (…) a pris en charge le coût des travaux de réalisation de la voie de desserte en litige (…), l’action tendant au remboursement de ce coût, prévue à l’article L. 332-30 du code de l’urbanisme, lui est ouverte sans qu’importe la circonstance qu’elle n’était plus propriétaire de l’ouvrage à la date à laquelle elle a exercé l’action ». Cette affirmation est d’une grande portée pratique. Elle ancre le droit à répétition non pas dans un droit réel sur la chose, mais dans le fait personnel d’avoir supporté une dépense sans cause. La solution est logique et équitable, car elle garantit que celui qui a financé un équipement public qui ne lui incombait pas puisse obtenir restitution, évitant ainsi un enrichissement sans cause de la collectivité publique.
B. Une restitution étendue aux aménagements paysagers connexes
De manière subsidiaire, l’établissement public demandait que le coût des aménagements paysagers soit déduit des sommes à rembourser. La cour rejette également cette prétention en se référant une nouvelle fois au plan local d’urbanisme. Elle constate que le règlement de ce dernier prévoit que les voies primaires doivent être assorties « d’espaces verts, plantés d’arbres d’alignement ». Elle en déduit que « les espaces verts aménagés se bornent à répondre à ces prescriptions relatives aux équipements publics composant la voirie communale ». Par conséquent, ces aménagements ne sont pas des embellissements propres au projet immobilier, mais des composantes indissociables de l’équipement public tel que défini par la collectivité elle-même. La solution est rigoureuse : dès lors qu’un élément est rendu obligatoire par la réglementation d’urbanisme au titre d’un équipement public, son coût doit être intégralement supporté par la personne publique compétente, confirmant ainsi que le constructeur ne peut se voir imposer aucune charge excédant celles limitativement énumérées par le code de l’urbanisme.