Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 13 décembre 2001. – Georg Heininger et Helga Heininger contre Bayerische Hypo- und Vereinsbank AG. – Demande de décision préjudicielle: Bundesgerichtshof – Allemagne. – Protection des consommateurs – Démarchage à domicile – Droit de révocation – Contrat de crédit garanti par une sûreté immobilière. – Affaire C-481/99.

Par un arrêt du 13 mars 2001, la Cour de justice des Communautés européennes s’est prononcée sur l’interprétation de la directive 85/577/CEE relative à la protection des consommateurs dans le cas de contrats négociés en dehors des établissements commerciaux. La Cour a clarifié le champ d’application de ce texte protecteur, notamment en ce qui concerne les contrats de crédit garantis par une sûreté immobilière, et a précisé les conditions d’exercice du droit de révocation qu’il institue.

En l’espèce, des consommateurs avaient souscrit un contrat de prêt auprès d’un établissement bancaire afin de financer l’acquisition d’un bien immobilier. Ce contrat avait été négocié et conclu à leur domicile à la suite de la visite d’un intermédiaire, sans que les consommateurs aient expressément sollicité cette démarche. Le prêt était garanti par une sûreté réelle immobilière. Plusieurs années après la conclusion du contrat, les consommateurs ont entendu révoquer leur engagement, arguant qu’ils n’avaient jamais été informés de leur droit de révocation conformément à la législation applicable.

L’affaire fut portée devant les juridictions allemandes. Après que leur demande eut été rejetée en première instance puis en appel, les consommateurs formèrent un pourvoi devant le Bundesgerichtshof. Cette juridiction a constaté une incertitude quant à l’articulation du droit national avec le droit communautaire. La législation allemande semblait exclure les contrats de crédit immobilier du champ d’application de la loi sur le démarchage à domicile, les soumettant à une loi sur le crédit à la consommation qui, elle-même, n’offrait pas de droit de révocation pour ce type de contrat spécifique. Face à ce vide juridique apparent, le Bundesgerichtshof a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour de justice deux questions préjudicielles. Il s’agissait de déterminer, d’une part, si la directive 85/577/CEE s’appliquait à un contrat de crédit immobilier et, d’autre part, si cette directive s’opposait à une réglementation nationale qui éteindrait le droit de révocation après un an, même en l’absence d’information du consommateur.

La Cour de justice a répondu que la directive 85/577/CEE « doit être interprétée en ce sens qu’elle s’applique à un contrat de crédit foncier », accordant ainsi au consommateur le droit de révocation prévu à son article 5. Elle a en outre jugé que cette même directive « s’oppose à ce que le législateur national applique un délai d’un an à compter de la conclusion du contrat pour l’exercice du droit de révocation […] lorsque le consommateur n’a pas bénéficié de l’information prévue à l’article 4 de ladite directive ».

L’analyse de cette décision révèle une volonté de garantir une protection étendue et effective au consommateur. La Cour opère d’abord une qualification extensive du champ d’application de la directive au contrat de crédit immobilier (I), pour ensuite consacrer la pérennité du droit de révocation comme sanction du défaut d’information du professionnel (II).

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I. L’extension du champ d’application de la protection consumériste aux contrats de crédit immobilier

La Cour de justice consacre une interprétation large de la directive sur le démarchage à domicile, la rendant applicable aux contrats de crédit immobilier. Pour ce faire, elle procède à une lecture téléologique de l’exception relative aux droits immobiliers (A) et confirme la primauté de la protection liée aux circonstances de la conclusion du contrat sur les régimes spécifiques au crédit (B).

A. Une interprétation téléologique de l’exception relative aux droits immobiliers

La directive 85/577/CEE exclut de son champ d’application, par son article 3, paragraphe 2, sous a), les « contrats portant sur d’autres droits relatifs à des biens immobiliers ». L’enjeu était de savoir si un contrat de prêt garanti par une sûreté immobilière entrait dans cette catégorie. La Cour écarte une telle qualification en se fondant sur une interprétation stricte des dérogations aux règles de protection des consommateurs. Elle considère que l’objet principal d’un tel contrat n’est pas le droit réel immobilier, mais bien l’octroi de fonds.

Le raisonnement des juges s’attache à la finalité de l’opération pour les parties. Pour le consommateur comme pour le prêteur, « l’objet d’un contrat de crédit tel que celui en cause au principal est l’octroi de fonds lié à l’obligation corrélative de remboursement et de paiement d’intérêts ». La sûreté immobilière, bien qu’essentielle à l’opération, n’en est qu’un accessoire et non l’objet même du contrat. Cette approche fonctionnelle permet de ne pas priver le consommateur de la protection offerte par la directive, protection dont la nécessité n’est nullement diminuée par la nature de la garantie. La Cour souligne en effet que « le fait que le contrat de crédit est garanti par une sûreté immobilière ne saurait rendre moins nécessaire la protection accordée au consommateur ».

B. La primauté maintenue de la directive sur le démarchage à domicile

La Cour devait également examiner si la directive 87/102/CEE sur le crédit à la consommation, adoptée postérieurement, n’avait pas instauré un régime spécial pour les contrats de crédit qui primerait celui de la directive sur le démarchage. Certains gouvernements soutenaient qu’en tant que *lex specialis*, elle aurait dû s’appliquer de manière exclusive. La Cour rejette cette analyse en rappelant que les deux directives poursuivent des objectifs distincts et complémentaires.

La directive de 1985 vise à protéger le consommateur contre l’effet de surprise lié à la conclusion d’un contrat en dehors d’un établissement commercial. La directive de 1987, quant à elle, a pour objet d’harmoniser les conditions de fond des contrats de crédit. L’une protège le consentement au moment de la formation du contrat, l’autre encadre le contenu même de celui-ci. La Cour conclut donc logiquement que « ni le préambule ni le dispositif de la directive sur le crédit à la consommation ne comportent des éléments faisant apparaître que le législateur communautaire a entendu, par l’adoption de cette directive, limiter le champ d’application de la directive sur le démarchage à domicile ». La protection contre le démarchage conserve ainsi toute son autonomie et sa force.

II. La consécration d’un droit de révocation affranchi de toute déchéance en l’absence d’information

Après avoir affirmé l’applicabilité de la directive, la Cour en tire les conséquences quant à l’exercice du droit de révocation. Elle fait du point de départ du délai une garantie essentielle de l’effectivité de ce droit (A), et fait prévaloir cette exigence sur le principe de sécurité juridique invoqué par le professionnel (B).

A. Le point de départ du délai comme garantie d’effectivité du droit

La seconde question posée à la Cour portait sur la compatibilité avec la directive d’une disposition nationale qui limiterait dans le temps le droit de révocation, même si le consommateur n’a pas été informé de l’existence de ce droit. L’article 5 de la directive prévoit que le délai de renonciation court « à compter du moment où le consommateur a reçu l’information » sur son droit. Le texte est donc dépourvu de toute ambiguïté.

La Cour en déduit qu’une législation nationale ne peut prévoir un délai de forclusion qui commencerait à courir dès la conclusion du contrat. Une telle règle priverait le droit de révocation de son effet utile, car le consommateur ne pourrait exercer un droit dont il ignore l’existence. La Cour souligne ainsi l’évidence selon laquelle « si le consommateur n’a pas connaissance de l’existence d’un droit de révocation, il se trouve dans l’impossibilité de l’exercer ». En subordonnant le début du délai à la bonne exécution par le professionnel de son obligation d’information, la Cour assure la pleine efficacité du mécanisme de protection et sanctionne le manquement du commerçant.

B. Le rejet de la sécurité juridique au profit de la protection du consommateur

Face à la perspective d’un droit de révocation potentiellement perpétuel, l’établissement bancaire et certains gouvernements invoquaient le principe de sécurité juridique pour justifier la fixation d’un délai butoir. La Cour ne nie pas l’importance de ce principe, mais elle refuse qu’il puisse « prévaloir dans la mesure où ils impliquent une limitation des droits expressément accordés par la directive ». Elle opère une mise en balance des intérêts en présence et fait peser le risque sur la partie qui n’a pas respecté ses obligations.

Le raisonnement de la Cour est empreint de pragmatisme : il appartient au professionnel de garantir la sécurité juridique de ses propres contrats. Pour ce faire, il lui suffit de respecter la loi. La Cour énonce que les établissements de crédit « peuvent sans difficulté sauvegarder tant les intérêts des consommateurs que leurs propres exigences de sécurité juridique en se conformant à leur obligation d’informer ceux-ci ». La solution n’est donc pas de limiter les droits du consommateur, mais d’inciter le professionnel à adopter un comportement diligent. En refusant de limiter dans le temps les effets de son arrêt, la Cour confirme la portée fondamentale de cette interprétation pour toutes les relations juridiques passées et futures.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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