9ème chambre du Conseil d’État, le 6 mai 2025, n°491830

Par une décision en date du 6 mai 2025, le Conseil d’État se prononce sur l’étendue des prérogatives de compensation de l’administration fiscale dans le cadre d’une demande en restitution de taxe sur la valeur ajoutée. En l’espèce, un contribuable exerçant une double activité de marchand de biens et de location de locaux avait sollicité le remboursement d’un excédent de taxe sur la valeur ajoutée, qu’il estimait avoir indûment versé au titre de son activité de marchand de biens sur une période de 2007 à 2009. L’administration fiscale, si elle reconnut le bien-fondé de la créance du contribuable, refusa néanmoins toute restitution effective. Elle opposa en effet à cette créance des insuffisances de taxe non acquittée au titre de l’activité de location de locaux pour la même période, procédant ainsi à une compensation sur le fondement de l’article L. 203 du livre des procédures fiscales. Le litige fut porté devant le tribunal administratif de Nîmes qui rejeta la demande du contribuable. Saisie en appel, la cour administrative d’appel de Marseille confirma ce jugement, mais sa décision fut cassée par le Conseil d’État. Statuant sur renvoi, la même cour d’appel rejeta de nouveau l’appel, motivant le second pourvoi du contribuable devant la Haute Juridiction. Le requérant soutenait principalement que la compensation n’était pas applicable entre des activités distinctes, que le contrôle ayant révélé les insuffisances constituait une vérification de comptabilité irrégulière et que l’administration avait implicitement renoncé à son droit. Le Conseil d’État était ainsi conduit à déterminer si le mécanisme de compensation fiscale autorise l’administration, saisie d’une demande en restitution de taxe, à opposer des insuffisances relatives à la même imposition mais issues d’une activité distincte et révélées par un simple contrôle sur pièces. Par la décision commentée, le Conseil d’État rejette le pourvoi. Il juge que la demande en restitution s’analyse bien comme une contestation d’imposition au sens de l’article L. 203, que la compensation peut jouer pour une même taxe entre des activités différentes, et que les investigations de l’administration ne constituaient pas une vérification de comptabilité. Cette solution consacre une vision extensive des pouvoirs de compensation de l’administration, dont elle précise les conditions d’exercice. L’arrêt confirme ainsi la portée étendue du droit de compensation de l’administration fiscale dans le contentieux du remboursement (I), tout en maintenant une distinction pragmatique quant aux modalités du contrôle justifiant sa mise en œuvre (II).

I. La portée étendue du droit de compensation dans le contentieux du remboursement

Le Conseil d’État réaffirme avec force que le mécanisme de compensation de l’article L. 203 du livre des procédures fiscales s’applique largement au contentieux initié par le contribuable. Cette extension se manifeste par une interprétation fonctionnelle de la notion d’imposition contestée (A) et par une approche unitaire de l’imposition en cause, indifférente à la pluralité d’activités du redevable (B).

A. L’assimilation de la demande en restitution à une contestation de l’imposition

Le requérant tentait d’établir une distinction de nature entre la demande visant à obtenir le remboursement d’un trop-perçu et l’action contestant le bien-fondé d’une imposition. Une telle distinction aurait permis de soustraire sa demande au champ de l’article L. 203, lequel ne vise que les cas où un contribuable « demande la décharge ou la réduction d’une imposition quelconque ». Or, la Haute Juridiction écarte cette argumentation en validant sans réserve le raisonnement des juges du fond. Elle énonce que « dès lors qu’une demande de restitution d’un trop versé d’une imposition tend à la décharge ou à la réduction de celle-ci, la cour administrative d’appel n’a pas, contrairement à ce qui est soutenu, commis une erreur de droit ». Cette formule consacre une approche finaliste : l’objet économique d’une demande en restitution est bien d’obtenir une minoration de la charge fiscale globale pesant sur le contribuable pour une période donnée. En assimilant ainsi la restitution à une forme de décharge, le Conseil d’État garantit l’application de la compensation à l’ensemble du contentieux fiscal initié par le redevable, prévenant toute manœuvre qui viserait à échapper à ce mécanisme par le choix d’une procédure plutôt qu’une autre. La solution assure la cohérence du système et préserve l’efficacité d’un outil destiné à apurer les comptes entre le Trésor et le contribuable.

B. L’approche unitaire de la taxe en dépit de la pluralité d’activités

Le second axe de la contestation portait sur la possibilité pour l’administration de compenser une créance de taxe sur la valeur ajoutée issue d’une activité de marchand de biens avec une dette de même taxe provenant d’une activité de location. Le contribuable soutenait implicitement que chaque secteur d’activité devait être traité de manière étanche. Le Conseil d’État rejette cette vision cloisonnée. En jugeant que l’administration avait pu à bon droit « se prévaloir d’insuffisances de taxe collectée à raison de son activité de location de locaux au titre de la même période », il confirme que l’unité pertinente pour la compensation est celle de l’imposition et de la période contestée, non celle de l’activité génératrice du fait fiscal. Pour une même taxe, comme la taxe sur la valeur ajoutée, le contribuable est considéré comme un redevable unique, et l’ensemble de ses opérations sur la période litigieuse forme un tout. Cette solution est juridiquement orthodoxe, car elle correspond à la logique même de la taxe sur la valeur ajoutée, qui consolide les droits à déduction et la taxe collectée de toutes les opérations d’un même assujetti. Elle présente en outre l’avantage de la simplicité et prévient la complexification des litiges en évitant d’examiner séparément chaque branche d’activité.

II. La clarification des modalités du contrôle justifiant la compensation

Au-delà de l’étendue du droit de compensation, l’arrêt apporte des précisions importantes sur les prérogatives de contrôle de l’administration dans ce cadre particulier. Il maintient une distinction essentielle entre le simple contrôle sur pièces et la vérification de comptabilité (A) et écarte l’idée qu’une inaction passée de l’administration puisse valoir renonciation à se prévaloir d’insuffisances (B).

A. Le contrôle sur pièces distingué de la vérification de comptabilité

Le requérant soutenait que les investigations menées par l’administration pour établir les insuffisances de taxe s’analysaient en une vérification de comptabilité, dont les garanties procédurales n’avaient pas été respectées. L’enjeu était de taille, car une requalification en vérification irrégulière aurait privé de base légale la compensation opérée. Le Conseil d’État valide cependant l’appréciation des juges du fond, qui avaient refusé cette qualification. Il relève que pour reconstituer le chiffre d’affaires, l’administration « ne s’était pas déplacée sur place, n’avait pas procédé à un examen critique de ces pièces comptables mais s’était bornée à procéder à des calculs non contestés ». En conséquence, ce travail ne pouvait « être regardé comme constituant une vérification de comptabilité ». La décision fixe ainsi un critère pragmatique : la vérification de comptabilité suppose un examen approfondi et critique de la cohérence interne et de la vraisemblance des écritures. À l’inverse, un simple rapprochement de données déclaratives et comptables, même aboutissant à une reconstitution, demeure un contrôle sur pièces. Cette solution préserve la capacité de l’administration à instruire les demandes des contribuables sans être contrainte de déployer systématiquement la procédure lourde de la vérification de comptabilité.

B. Le rejet d’une renonciation implicite au droit de compenser

Enfin, le contribuable avançait que l’administration, ayant déjà procédé à l’examen d’une demande de remboursement de crédit de taxe pour une partie de la période litigieuse sans y déceler d’anomalie, aurait implicitement renoncé à se prévaloir ultérieurement d’insuffisances sur cette même période. Le Conseil d’État écarte cet argument, jugeant que la cour d’appel avait souverainement estimé que l’administration « n’avait pas volontairement (…) décidé de ne pas imposer les opérations de location ». Plus fondamentalement, il rappelle que le droit de compensation prévu à l’article L. 203 du livre des procédures fiscales « doit être mis en œuvre pour l’ensemble de la période qui fait l’objet de la demande en restitution ». Le déclenchement de ce droit est la réclamation du contribuable elle-même, qui ouvre une nouvelle phase d’instruction portant sur toute la période contestée. L’absence de redressement lors d’un contrôle antérieur, qui poursuivait un objet différent, ne peut donc créer un droit acquis pour le contribuable ni priver l’administration d’une prérogative que la loi lui confère expressément dans le cadre de la nouvelle procédure contentieuse. Cette solution renforce la sécurité juridique pour l’administration et rappelle au contribuable que l’ouverture d’un contentieux peut exposer l’ensemble de sa situation fiscale pour la période concernée à un nouvel examen.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

Laisser un commentaire

En savoir plus sur Avocats en droit immobilier et droit des affaires - Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture