5ème chambre du Conseil d’État, le 18 février 2025, n°495117

En matière d’urbanisme, l’édification d’une construction sans l’autorisation requise expose son auteur à des sanctions. Des particuliers, confrontés à l’édification d’un abri pour chevaux sur une parcelle voisine sans permis, ont sollicité du maire de la commune qu’il dresse un procès-verbal d’infraction. Face au refus de l’édile, les intéressés ont saisi le juge des référés du tribunal administratif d’une demande de suspension de cette décision de rejet. Le juge de première instance a fait droit à leur demande, suspendant le refus et enjoignant au maire de constater l’infraction. Saisi d’un pourvoi par le ministre compétent, le Conseil d’État a été amené à se prononcer sur les conditions d’application de la procédure de référé-suspension dans un tel contexte. Par une décision en date du 18 février 2025, la haute juridiction administrative annule l’ordonnance du premier juge. Après avoir relevé une insuffisance de motivation, elle statue au fond et rejette la demande des requérants. Le Conseil d’État estime que l’urgence, condition nécessaire à la suspension, ne peut être présumée lorsque les travaux de construction sont achevés. Il se pose alors la question de savoir dans quelles circonstances la condition d’urgence peut être considérée comme remplie pour obtenir la suspension du refus d’un maire de dresser procès-verbal pour une construction illégale déjà terminée. À cette interrogation, la décision répond que si l’urgence est en principe reconnue lorsque les travaux sont en cours, elle disparaît une fois ceux-ci achevés, sauf pour le requérant à démontrer l’existence de circonstances particulières justifiant une intervention rapide du juge.

La solution retenue par le Conseil d’État ancre l’appréciation de la condition d’urgence dans une temporalité stricte, la liant à l’état d’avancement des travaux. Cette approche conduit à distinguer nettement le régime de la suspension selon que la construction est en cours ou achevée (I), ce qui a pour effet de limiter l’office du juge des référés une fois l’ouvrage terminé, sans pour autant priver les tiers de toute voie de droit (II).

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I. La temporalité de la construction comme critère dirimant de l’urgence

Le Conseil d’État fait de l’état d’avancement des travaux le pivot de son raisonnement quant à l’appréciation de l’urgence. Il consacre ainsi une présomption d’urgence lorsque les travaux sont en cours (A), laquelle est logiquement écartée lorsque la construction est achevée (B).

A. La consécration d’une présomption d’urgence pour les travaux en cours

La décision rappelle que la suspension du refus du maire de dresser un procès-verbal revêt un caractère urgent lorsque les travaux n’ont pas encore été menés à leur terme. Le juge énonce clairement que « la condition d’urgence doit en principe, sauf circonstance particulière, être constatée lorsque les travaux vont commencer ou ont déjà commencé sans être pour autant achevés ». Cette position s’explique par la finalité même du procès-verbal d’infraction en matière d’urbanisme. En effet, l’article L. 480-2 du code de l’urbanisme permet au maire, une fois le procès-verbal dressé, d’ordonner l’interruption des travaux. Le refus de constater l’infraction fait donc directement obstacle à l’exercice de ce pouvoir de police spéciale.

En liant l’urgence à la possibilité d’interrompre le chantier, le Conseil d’État adopte une lecture pragmatique et finaliste de l’article L. 521-1 du code de justice administrative. L’atteinte grave et immédiate aux intérêts des requérants réside dans la poursuite même des travaux illégaux, qui modifient de manière difficilement réversible l’état des lieux. La présomption d’urgence se justifie donc par la nécessité de prévenir un dommage irréparable ou, du moins, coûteux à réparer. En suspendant le refus du maire, le juge des référés permet de déclencher à temps l’action administrative et d’éviter que les tiers et la collectivité ne soient placés devant le fait accompli d’une construction achevée en violation des règles d’urbanisme.

B. L’absence d’urgence présumée pour les travaux achevés

A contrario, lorsque les travaux sont terminés, la logique qui sous-tend la présomption d’urgence disparaît. Le Conseil d’État le constate sobrement en relevant que « les travaux de construction de l’abri pour chevaux sont achevés. Par suite, la condition d’urgence ne peut être constatée par la seule nécessité de faire obstacle à l’achèvement de ces travaux ». Le mécanisme d’interruption des travaux prévu par le code de l’urbanisme devient sans objet. Dès lors, le refus du maire de dresser procès-verbal ne produit plus les mêmes effets immédiats ; il ne fait plus obstacle à une mesure conservatoire destinée à paralyser un chantier, mais retarde simplement l’enclenchement de la phase répressive.

Dans cette hypothèse, la charge de la preuve de l’urgence pèse de nouveau entièrement sur les épaules du requérant. Il lui appartient d’établir l’existence d’une « circonstance particulière » qui justifierait une intervention rapide du juge. La décision ne donne pas d’exemple de telles circonstances, mais l’on peut imaginer des situations où l’usage de la construction achevée créerait un préjudice particulièrement grave et imminent, comme des nuisances sonores ou olfactives intenses, ou un risque pour la sécurité publique. En l’espèce, les demandeurs n’ayant fait valoir aucune circonstance de cette nature, leur demande ne pouvait qu’être rejetée. Cette solution restreint de manière significative la possibilité d’obtenir une suspension en référé dans le cas le plus fréquent où l’infraction n’est découverte qu’une fois la construction terminée.

II. La portée de la solution sur l’office du juge et les droits des tiers

En définissant ainsi les contours de l’urgence, la décision a des conséquences directes sur le rôle du juge des référés (A) et conduit à réorienter l’action des tiers vers d’autres voies de droit (B).

A. Une limitation de l’office du juge des référés

La position du Conseil d’État conduit à une autolimitation de l’office du juge du référé-suspension. En refusant de reconnaître une urgence par principe lorsque l’ouvrage est achevé, le juge administratif renonce à intervenir de manière systématique pour sanctionner l’inaction de l’administration dans la constatation des infractions. Cette approche peut être vue comme une manifestation de la retenue du juge, qui distingue clairement ce qui relève de la mesure d’urgence et ce qui appartient au traitement au fond du litige. L’achèvement des travaux fait basculer le contentieux de la sphère de la prévention à celle de la réparation.

Cette limitation est cohérente avec l’économie générale des procédures de référé, qui ne sont pas destinées à se substituer au jugement sur le fond. En l’absence de travaux à interrompre, l’intérêt d’une suspension immédiate du refus du maire s’amenuise considérablement. L’enjeu n’est plus d’empêcher une modification de l’état des lieux, mais d’initier une procédure qui aboutira, à terme, à d’éventuelles sanctions pénales ou à une mesure de démolition. Ces dernières relèvent d’une temporalité plus longue, compatible avec celle de la procédure au fond. La décision s’inscrit ainsi dans une logique de bonne administration de la justice, évitant l’engorgement des prétoires de l’urgence pour des situations où l’immédiateté de la mesure n’est pas avérée.

B. La persistance des voies de droit au fond

La décision commentée ne laisse pas les tiers démunis face à une construction illégale achevée. Elle ne fait que fermer la porte du référé-suspension en l’absence de circonstances particulières, mais elle laisse intactes les autres voies de droit. Les requérants peuvent, et doivent, poursuivre leur action principale en annulation du refus du maire devant le tribunal administratif. Si le juge du fond leur donne raison, il annulera la décision de l’édile et pourra lui enjoindre de dresser le procès-verbal d’infraction.

Cette action au fond, bien que plus lente, demeure le remède de droit commun pour contraindre l’administration à exercer ses pouvoirs de police. Le procès-verbal, une fois dressé, sera transmis au ministère public, qui décidera de l’opportunité des poursuites pénales. C’est dans ce cadre que la question de la régularisation ou de la démolition de la construction sera tranchée. Par conséquent, la solution du Conseil d’État ne constitue pas un blanc-seing pour les constructions illégales ; elle opère une ventilation des contentieux entre le juge de l’urgence, dont le rôle est circonscrit à la prévention des dommages imminents, et le juge du fond, gardien de la légalité et de la sanction des infractions établies.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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