Par un arrêt du 11 février 2025, le Conseil d’État a statué sur les conditions de transmission du droit à réparation pour une carence de l’État dans l’exécution d’une décision de relogement d’urgence. En l’espèce, l’époux d’une requérante avait été reconnu comme prioritaire et devant être logé en urgence par une décision d’une commission de médiation départementale en date du 14 octobre 2015. Face à l’inertie de l’administration, et après le décès de son mari survenu le 24 février 2021, son épouse a saisi la juridiction administrative afin d’obtenir une indemnisation pour le préjudice subi par le foyer du fait de l’absence de relogement. Le tribunal administratif de Montreuil, par un jugement du 2 octobre 2023, a rejeté sa demande au motif qu’elle ne se prévalait pas de la qualité d’ayant droit pour l’indemnisation des préjudices personnels de son époux, et qu’elle n’avait pas elle-même été reconnue prioritaire par la commission. Saisi d’un pourvoi, le Conseil d’État était donc conduit à s’interroger sur le point de savoir si le droit à indemnisation né de la carence fautive de l’État à reloger une personne prioritaire peut être exercé par son conjoint survivant, et à quelles conditions, y compris pour la période postérieure au décès. La haute juridiction administrative répond par l’affirmative et annule le jugement de première instance. Elle juge que le conjoint survivant, membre du foyer bénéficiaire, peut prétendre à une indemnisation pour son propre préjudice, à condition que la situation de mal-logement perdure et qu’il soit lui-même demandeur d’un logement social. Le Conseil d’État précise que ce droit s’étend « y compris pour la période postérieure au décès de celui-ci ».
L’arrêt consacre ainsi une extension du droit à réparation au conjoint survivant (I), tout en encadrant strictement les modalités et la portée de cette indemnisation (II).
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I. L’extension du droit à réparation au conjoint survivant
La décision du Conseil d’État opère un glissement significatif en dépassant le caractère strictement personnel du droit à réparation initialement reconnu (A) pour consacrer l’existence d’un droit dérivé au profit du conjoint survivant (B).
A. Un droit à réparation initialement attaché à la personne du demandeur
La responsabilité de l’État pour carence dans l’exécution d’une décision de la commission de médiation est engagée au titre des troubles dans les conditions d’existence subis par la personne reconnue prioritaire. Le Conseil d’État rappelle ce principe en des termes clairs, précisant que la carence fautive de l’État « engage sa responsabilité à l’égard du seul demandeur ». Ce fondement ancre fermement le droit à réparation dans la sphère personnelle de celui qui a été désigné par la commission. La réparation vise à compenser un préjudice qui lui est propre, résultant directement du maintien dans des conditions de logement indignes ou inadaptées, lesquelles avaient précisément justifié la décision administrative. Le droit à indemnisation apparaît donc comme la contrepartie de l’atteinte portée aux droits du demandeur, ce qui explique que son périmètre soit, par principe, limité à sa personne.
B. La consécration d’un droit dérivé au profit du conjoint
L’apport majeur de l’arrêt réside dans le dépassement de cette approche strictement personnelle lorsque le demandeur décède. Le Conseil d’État admet que le conjoint, bien que n’étant pas le bénéficiaire direct de la décision de la commission, puisse obtenir réparation. Il ne s’agit pas d’une simple transmission successorale du droit à réparation du défunt, mais de la reconnaissance d’un droit propre au conjoint, né de la persistance de la situation préjudiciable. En effet, la haute juridiction juge que ce dernier « bénéficie (…) du même droit à indemnisation que le demandeur initial ». Cette formulation établit une continuité dans le droit à réparation qui survit au décès du bénéficiaire originel. La logique sous-jacente est que le préjudice, lié aux conditions de logement du foyer, ne disparaît pas avec le décès d’un de ses membres mais continue d’affecter ceux qui y demeurent.
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II. Les modalités et la portée de l’indemnisation du conjoint
Cette extension du droit à indemnisation n’est cependant pas inconditionnelle ; elle est subordonnée à des exigences précises (A) et sa portée temporelle est clairement définie par la juridiction (B).
A. Des conditions factuelles et procédurales cumulatives
Le Conseil d’État subordonne le bénéfice de cette transmission du droit à réparation à deux conditions cumulatives. D’une part, il est nécessaire que « la situation qui a motivé la décision de la commission perdure ». Cette exigence factuelle garantit que le droit à réparation reste lié à l’existence continue d’un préjudice matériel et moral. D’autre part, le conjoint survivant doit être lui-même « demandeur d’un logement social ». Cette condition procédurale assure que le bénéficiaire du droit à réparation est engagé dans une démarche active visant à remédier à sa situation de mal-logement, ce qui justifie le maintien de l’obligation de l’État à son égard. En censurant le tribunal administratif qui ne s’est pas livré à cette recherche, le Conseil d’État impose aux juges du fond de vérifier systématiquement la réunion de ces deux critères pour évaluer le droit du conjoint survivant.
B. Une réparation étendue au-delà du décès
L’aspect le plus notable de la décision est l’affirmation selon laquelle le droit à indemnisation du conjoint couvre la période postérieure au décès du demandeur initial. La haute juridiction administrative précise explicitement que le conjoint survivant bénéficie du même droit, « y compris pour la période postérieure au décès de celui-ci ». Cette solution est remarquable car elle reconnaît que la carence de l’État continue de produire ses effets dommageables sur la personne du conjoint, de manière autonome, après la disparition du bénéficiaire originel. Le préjudice n’est plus seulement celui du foyer dans son ensemble, mais un préjudice personnel et continu subi par le survivant. L’arrêt confère ainsi une pleine effectivité au droit au logement opposable en assurant sa protection au-delà des aléas personnels, et en garantissant une réparation intégrale du préjudice subi par les membres du foyer restés dans une situation indigne.